Les troupes éthiopiennes et érythréennes ont violé des centaines de femmes et filles dans la région en guerre du Tigré, imposant à certaines victimes esclavage sexuel et mutilations, selon un rapport d’Amnistie internationale publié mercredi et critiqué par Addis Abeba. Le rapport intitulé “Je ne sais pas s’ils ont réalisé que j’étais une personne : viols et autres violences sexuelles dans le conflit du Tigré”, écrit Nigrizia, ouvre “une fenêtre faisant autorité sur l’une des violations les plus graves signalées jusqu’à présent : viol systématique, utilisé comme arme de guerre”. Il s’agit d’un document de 39 pages qui recueille les témoignages de 63 femmes qui ont survécu à des violences indicibles. 15 ont été interrogés en personne, dans les camps de réfugiés Tigrinya à l’est du Soudan ; 48 ont témoigné depuis l’intérieur du pays, grâce à l’utilisation de moyens de communication sécurisés.
Ce rapport, établi à partir d’entretiens avec les victimes, documente des exactions pour lesquelles des enquêtes ont été ouvertes par les autorités éthiopiennes, avec à ce jour au moins trois soldats condamnés pour viols et 25 autres poursuivis pour “violences sexuelles et viols”.
Certaines rescapées ont dit avoir été violées en réunion pendant qu’elles étaient retenues prisonnières pendant des semaines, d’autres ont été violées devant des membres de leur famille et certaines disent avoir eu des objets, comme des clous et du gravier, introduits dans leur vagin, “causant des blessures durables et peut-être irréversibles”, selon Amnistie.
“Il est clair que le viol et la violence sexuelle ont été utilisés comme une arme de guerre pour infliger des dommages physiques et psychologiques durables sur les femmes et les filles au Tigré. Des centaines d’entre elles ont été soumises à des traitements brutaux visant à les dégrader et les déshumaniser”, selon la secrétaire générale d’Amnistie, Agnès Callamard.
“La gravité et l’ampleur des crimes sexuels commis sont particulièrement choquants, passibles de crimes de guerre et possiblement de crimes contre l’humanité”, a-t-elle ajouté.
Soulignant le travail mené par les autorités pour traduire en justice les militaires auteurs de violences sexuelles, le ministère éthiopien des Affaires étrangères a dénoncé un rapport basé sur une “méthodologie erronée » et une enquête “mince et manquant décidément de rigueur”.
“Amnistie parvient à des conclusions radicales et générales qui sont difficilement étayées par “l’enquête” limitée et menée à distance qu’elle prétend avoir conduite”, écrit le ministère dans un communiqué, en affirmant que l’ONG “semble déterminée à mener des campagnes sensationnalistes et diffamatoires contre le gouvernement”.
Violées et affamées
L’AFP a, ces derniers mois, interviewé de nombreuses femmes ayant raconté avoir été violées en réunion par des soldats éthiopiens et érythréens.
Les combats dans la région du Tigré (nord) ont débuté en novembre après l’envoi par le premier ministre Abiy Ahmed de l’armée fédérale pour destituer les autorités régionales, issues du Front de libération du peuple du Tigré (TPLF). Selon le prix Nobel de la Paix 2019, cette opération répondait à des attaques contre des camps de l’armée fédérale ordonnées par le TPLF.
Avec l’intensification du conflit, le bilan humanitaire est dramatique : selon l’ONU, environ 400 000 personnes vivent dans des conditions de famine au Tigré tandis que l’aide humanitaire peine toujours à arriver.
Selon Amnistie, les auteurs présumés des exactions sont issues des troupes de l’Érythrée voisine, qui a soutenu le premier ministre éthiopien, et des forces de sécurité et miliciens de la région éthiopienne d’Amhara, voisine du Tigré.
Plus de vingt personnes ont dit à Amnistie avoir été violées par des Érythréens seuls, tandis que d’autres femmes ont indiqué qu’Érythréens et Éthiopiens étaient ensemble.
“Ils nous ont violées et affamées. Il y en avait tellement à nous violer à la suite”, a témoigné une femme de 21 ans, qui dit avoir été retenue pendant 40 jours. “On était une trentaine de femmes, ils nous ont toutes violées”.
Entre février et avril de cette année, les centres de santé du Tigré ont enregistré 1 288 interventions pour violences sexuelles. L’hôpital d’Adigrat a enregistré à lui seul 376 cas depuis le début du conflit en juin de cette année.
Processus “Pour les alouettes”
Pour l’instant, le gouvernement d’Addis-Abeba, qui dit qu’il n’est pas étranger à de telles atrocités, a traduit en justice une poignée de simples soldats. L’issue du procès n’est pas encore connue. “L’impression, voire la quasi-certitude – observe Bruna Sironi sur Nigrizia – est qu’il s’agit d’un chevron rouge pour l’utilisation et la consommation d’informations officielles, constamment manipulées, pour alimenter l’opinion publique interne et, surtout, internationale”.
“Nouvelle plus terrible. Continue le correspondant du Kenya – en attente de confirmation et d’éclaircissements. La dernière concerne l’assaut d’un camp de déplacés, dans la région d’Afar, dans lequel il y aurait eu au moins 200 morts, plus d’une centaine de dont les nouvelles sont encore fragmentaires, les responsabilités non encore déterminées, tout comme il n’est pas encore clair quels corps ont été retrouvés dans la rivière Setit, ou Tacazzé comme on l’appelle en Éthiopie.
Certainement des gens exécutés sommairement, à en juger par leurs blessures, et peut-être jetés dans la rivière pour que les crocodiles les fassent disparaître à jamais. Si tel est le cas, les corps récupérés et enterrés pourraient être une fraction des victimes d’un massacre, une autre parmi les nombreuses qui ont caractérisé cette période de l’histoire éthiopienne.
Bref, nous assistons chaque jour à une descente aux enfers plus profonde qui rendra encore plus difficiles les relations déjà complexes entre les différentes ethnies et les différentes régions qui composent l’État fédéral d’Éthiopie. Tant qu’il est possible de réparer des larmes aussi douloureuses”.