François embrasse les migrants à Chypre et se penche sur leurs blessures. “On regarde ce qui se passe et le pire c’est qu’on s’y habitue”

“Des fils barbelés pour empêcher le réfugié d’entrer. Celui qui vient demander la liberté, le pain, l’aide, la fraternité, la joie et qui fuit la haine est confronté à une haine appelée barbelés. Que le Seigneur réveille la conscience de nous tous face à ces choses. On ne peut pas se taire et regarder ailleurs dans cette culture de l’indifférence”. Des propos de dénonciation très forts ceux prononcés à l’improviste par le Pape François, à la fin de son discours à la prière œcuménique avec les migrants qui s’est déroulée en l’église de Santa Croce à Nicosie.

Environ 200 migrants ont envahi l’église de Santa Croce à Nicosie. Une partie du bâtiment borde la ligne verte qui sépare le territoire chypriote grec du territoire chypriote turc au cœur de la capitale de l’île divisée. Les casques bleus de l’ONU le président, des barbelés le surmontent. En regardant ce fer entrelacé d’épines, Bergoglio pense à tous les autres au monde qui sont construits pour ne pas laisser passer les réfugiés: “Celui qui vient demander la liberté, le pain, l’aide, la fraternité, la joie, celui qui fuit la haine, trouve devant lui une ‘haine’ appelée barbelés”.

Quatre jeunes migrants ont raconté leur histoire et immédiatement après, le Pape a pris la parole. “En vous écoutant, ils vous regardent en face, le souvenir va au-delà, il va aux souffrances. Vous êtes arrivé ici, mais combien de vos frères et sœurs sont restés dans la rue. Combien de personnes désespérées commencent leur voyage dans des conditions très difficiles et précaires et n’ont pas pu arriver.

On peut parler de cette mer qui est devenue un grand cimetière. En te regardant, je regarde les souffrances du voyage, tant de personnes kidnappées, vendues, exploitées, toujours en route et on ne sait où. Et l’histoire de l’esclavage universel. On regarde ce qui se passe et le pire c’est qu’on s’y habitue”.
“Cette habitude – a commenté Bergoglio – est une maladie grave, une maladie très grave et il n’y a pas d’antibiotique contre cette maladie. Il faut aller contre cette habitude de s’habituer à lire ces tragédies dans les journaux ou à les entendre dans les médias. En vous regardant, je pense à beaucoup de ceux qui ont dû rentrer car ils les ont rejetés et se sont retrouvés dans des camps de concentration, de vrais camps de concentration, où les femmes sont vendues, les hommes torturés et réduits en esclavage”.

Le message est clair et s’adresse aux responsables politiques qui exploitent le drame, mais aussi aux citoyens qui se laissent influencer: les migrants ne sont pas des touristes. “Ils donnent tout pour embarquer sur un bateau de nuit, sans savoir s’ils arriveront. C’est l’histoire d’une société développée que nous appelons l’Occident. Que le Seigneur réveille notre conscience”, implore-t-il.

Le pire péché de ceux qui vivent dans un pays aisé, prévient François, est qu’ils s’habituent aux naufrages en Méditerranée, ainsi qu’à ceux qui sont morts de froid à la frontière entre la Pologne et la Biélorussie.

Ce ne sont pas des histoires du siècle dernier: “Cela se passe aujourd’hui”, a exhorté le Pape, “j’en ai vu des témoignages filmés. Des lieux de torture, des gens qui vendent. Je dis cela parce qu’il est de ma responsabilité d’aider à ouvrir les yeux: la migration forcée n’est pas une habitude presque touristique. Le péché que nous avons à l’intérieur nous le fait penser. Pauvres, pauvres… mais alors on efface tout. C’est la guerre de ce moment, c’est la souffrance des frères et sœurs, que nous ne pouvons pas taire. Ceux qui ont tout donné, pour monter dans un bateau de nuit, sans savoir s’ils arriveront. Et puis beaucoup de rejetés pour finir dans des camps de concentration, véritables lieux d’enfermement, de torture et d’esclavage. C’est l’histoire de cette civilisation développée que nous appelons l’Occident”.

Comme on le sait, par décision du Pape, qui déménage demain à Athènes puis se rend à Lesbos, cette visite à Chypre aura une queue très concrète : le Vatican relocalisera 50 migrants de Chypre vers l’Italie pour des raisons humanitaires. Selon ce que l’on apprend de sources proches du dossier, les opérations de transfert, d’accueil et d’intégration seront entièrement à la charge du Saint-Siège. Un premier groupe de 12 personnes partira déjà avant Noël, les autres suivront entre janvier et février.

Ils viennent de Syrie, du Congo, du Cameroun et d’Irak et parmi eux il y a aussi des familles avec enfants. L’opération sera rendue possible grâce à un accord entre la Secrétairerie d’État, les autorités italiennes et chypriotes, la collaboration avec la Section pour les migrants et les réfugiés du Saint-Siège et avec la Communauté de Sant’Egidio.