Le cardinal Angelo Becciu reprend la parole de façon retentissante : par une dénonciation déposée auprès du Procureur de la République de Rome, il dénonce un complot supposé ourdi contre lui, qui aurait abouti à la condamnation prononcée en décembre 2023 par le tribunal du Vatican pour escroquerie et détournement de fonds. Cette condamnation se rapporte aux désormais célèbres affaires liées à l’achat d’un coûteux bien immobilier à Londres par la Secrétairerie d’État et à l’usage de fonds réservés, charges que Becciu a toujours rejetées.
Le prélat affirme désormais qu’une véritable « machination », une construction artificielle et orchestrée pour le piéger, a été montée par Francesca Immacolata Chaouqui, figure connue pour son implication dans le scandale Vatileaks II, qu’il désigne comme l’un des rouages principaux de ce supposé plan accusatoire. D’après l’acte déposé, c’est Chaouqui, via la médiation de sa collaboratrice Genoveffa Ciferri, qui aurait exercé des pressions sur le principal témoin de l’accusation, Mgr Alberto Perlasca, pour le pousser à modifier sa version des faits.
L’initiative de Becciu repose sur un volume de plus de 325 pages de messages WhatsApp qui, selon lui, prouveraient l’existence de contacts répétés et ciblés entre Chaouqui, Ciferri et Perlasca. Ces échanges, déjà remis par la défense de Raffaele Mincione aux Nations Unies, constitueraient, selon le cardinal, la confirmation de sa thèse : l’accusation à son encontre serait entachée de pressions indûes, d’une mise en scène occulte et d’une connivence entre certaines figures italiennes et la justice vaticane.
Par ailleurs, le document soumis à la Procurature émet l’hypothèse que Chaouqui et ses collaborateurs puissent être responsables de délits très graves tels que la fraude et l’extorsion. Cette accusation s’étend également aux méthodes employées — selon Becciu — pour orienter l’enquête à son encontre, violant la rectitude procédurale et compromettant l’indépendance du pouvoir judiciaire.
En rendant publique son action en justice, le cardinal a exprimé sa « stupeur » face au contenu des chats qui émergent progressivement et a déclaré que ces échanges textuels lui auraient fourni la preuve définitive de l’existence d’une action orchestrée pour le discréditer. Il n’est pas seul dans cette ligne de défense : les avocats de Raffaele Mincione et de Fabrizio Tirabassi — autres co‑accusés dans le procès vatican — affirment également leur innocence et accusent ouvertement tant la magistrature vaticane qu’italienne d’avoir mal conduit l’enquête. Selon eux, les conversations révèlent des pressions exercées principalement sur le promoteur de justice du Vatican, Alessandro Diddi.
Alors que la Procurature de Rome examine la dénonciation, le mystère s’épaissit autour de l’une des pages les plus controversées de ces dernières années au sein des murs leonins. Becciu, déterminé à renverser sa condamnation, place désormais sa confiance dans la justice italienne pour évaluer un cas qui ressemble à un exemple retentissant de justice manipulée — affaire qu’on espère résoudre selon sa propre décision par le nouveau Pape Léon XIV, qui l’a pourtant reçu avec chaleur.
Les chats secrètes de Chaouqui et Ciferri : comment la justice vaticane aurait été dupée
De nouveaux détails inquiétants émergent dans l’enquête ayant mené à la condamnation de Becciu. Au centre du débat figure un important corpus de chats — plus de 325 pages de WhatsApp — qui réécrivent la narration officielle du « procès du siècle » au Vatican. Ces échanges, impliquant Chaouqui, Ciferri et indirectement le promoteur de justice vaticain Alessandro Diddi, suscitent un sérieux questionnement quant à la sincérité de l’accusation et à l’autonomie de l’appareil judiciaire vatican.
Parmi les signataires de la dénonciation figurent également d’autres condamnés en première instance : Enrico Crasso (ancien gestionnaire financier de la Secrétairerie d’État), fonctionnaire Fabrizio Tirabassi et, parallèlement, le financier Raffaele Mincione. Le dossier s’appuie sur ces chats WhatsApp, déjà produits par la défense de Mincione dans une procédure devant l’ONU. Les échanges concernent Chaouqui, Ciferri — connaissance de Mgr Perlasca, principal témoin — et, selon les dénonciateurs, Perlasca aurait été poussé à modifier sa version initiale. Chaouqui, se faisant passer pour une magistrate proche du promoteur de justice, aurait agi par le biais de Ciferri.
Selon les reconstitutions issues des défenses de Mincione et Tirabassi, ces conversations entre Chaouqui et Ciferri révèlent une trame parallèle de pressions, suggestions orientées et interférences directes sur le témoin clé. Ce serait grâce aux sollicitations coordonnées par les deux femmes que Perlasca aurait modifié sa version initiale, détournant toute l’enquête dans une direction prédéfinie.
Ce qui frappe surtout, c’est le rôle que ces chats attribuent au promoteur de justice vaticain, Alessandro Diddi. Certains passages, mentionnés dans les documents remis à l’ONU, montrent Chaouqui et Ciferri dans un registre confidentiel, presque directif, comme si elles bénéficiaient d’un canal privilégié avec l’accusation. Plusieurs messages évoqueraient les questions à poser à Perlasca, la manière « d’orienter » sa mémoire et anticiperaient les actions du tribunal.
L’effet de ces échanges serait, selon l’exposé du cardinal, d’avoir trompé la justice vaticane avec une narration fabriquée mais apparemment cohérente, construite artificiellement par des acteurs extérieurs à l’enquête. Le « double préjudice », selon les défenseurs : d’une part, altérer la reconstitution des faits, d’autre part, ébranler la crédibilité même de la justice vaticane, livrée malgré elle à une opération étrangère à toute impartialité et autonomie.
Ce qui alarme le plus, c’est que ces chats étaient déjà connus de certaines défenses depuis 2022, mais auraient été ignorés ou jugés insignifiants par la justice vaticane. C’est seulement maintenant, avec leur publication et leur examen complet, qu’un second récit commence à émerger, où Becciu et ses co‑accusés ne sont plus présentés comme les instigateurs de manoeuvres illicites, mais comme les victimes d’une stratégie manipulatrice venue de l’extérieur.
Chats secrètes et manipulations : les révélations qui ébranlent la justice vaticane
Le procès contre Becciu, condamné en première instance en décembre 2023 pour escroquerie et détournement de fonds, prend des allures d’opération opaque, où les indices d’une vérité fabriquée abondent. Il ne s’agit plus seulement de doutes soulevés par les défenseurs ou d’interprétations divergentes, mais d’éléments tangibles, documentés, révélés par l’analyse d’un volumineux corpus de chats entre Chaouqui, Ciferri et le témoin clé Perlasca. Ces preuves, selon la défense, sont décisives pour démontrer que l’enquête a été viciée par des interventions externes.
Ces révélations, rapportées par Domani, jettent une ombre encore plus lourde sur l’affaire. Dans un échange présumé antérieur au 13 janvier 2023 — date à laquelle Chaouqui et Ciferri furent entendues — Chaouqui écrivait à son interlocutrice cette phrase lourde de sens : « On doit comprendre ce que tu dois dire. Pour éviter que les chats soient jugés fiables si jamais ils sont déclassifiés. Parce que dans ce cas Becciu aurait raison. Il faut désamorcer la bombe. Pour moi, ce que j’ai dit au procès vaut. Je ne connais pas Diddi. Si on découvre qu’on était toutes d’accord, c’est la fin. » Le cardinal souligne que cette seule phrase « est plus qu’éloquente ».
Becciu affirme que ces révélations « confirment ce que j’ai dénoncé dès le début et que, pour la majorité, le procès a déjà démontré ». Il désigne les « choix discutables adoptés par le tribunal, à la demande du bureau du promoteur de justice, qui ont permis que ces conversations restent secrètes ». Selon lui, un matériau potentiellement explosif aurait été sciemment maintenu dans l’ombre, alors qu’il aurait pu démolir l’accusation.
L’enquête lancée en 2019 sur l’investissement controversé de Sloane Avenue — présentée comme un virage historique pour la transparence financière de la Sainte‑Siège — risque maintenant de se révéler comme une boîte de Pandore. À en souffrir jusqu’ici : Becciu, contraint de démissionner comme préfet de la Congrégation pour les causes des saints et de renoncer aux droits afférents au cardinalat, après l’audience dramatique du 24 septembre 2020 avec le pape François. À l’époque, il n’était pas encore formellement mis en examen : seuls pesaient contre lui les affirmations du témoin Perlasca, mises en doute aujourd’hui.
Fait notable, lors de son vol de retour du Japon, en novembre 2019, le Pape lui‑même avait déclaré être fier que « la marmite ait été soulevée de l’intérieur ». Or, aujourd’hui, cette marmite, loin d’être un outil de transparence, ressemble plutôt à un chaudron opaque où se mêlent éléments judiciaires et manœuvres parallèles — une enquête qui aurait obéi davantage à des pressions qu’à la force des preuves.
Il est particulièrement surprenant que Becciu soit toujours classé parmi les cardinaux non électeurs, alors qu’il n’a pas encore atteint l’âge de quatre‑vingts ans. Cette mesure paraît disproportionnée comparée à celle appliquée à d’autres prélats : Jean‑Pierre Ricard, reconnu coupable d’abus sexuels sur une fille de 14 ans, a conservé le droit de vote jusqu’à la limite canonique en 2024 ; Angelo De Donatis, fervent défenseur du jésuite Marko Rupnik — expulsé après des accusations jugées crédibles — demeure pleinement intégré au Sacré‑Collège. Un contraste frappant qui relance un débat d’importance éthique et juridique.
À ce stade, on est en droit de se demander : le procès a-t-il suivi la décision papale ou, au contraire, l’a-t-il précédée pour justifier une sanction déjà décidée ? Becciu rappelle qu’à l’origine figurait l’accusation d’avoir orienté des fonds vaticans vers une coopérative liée à son frère — accusation pour laquelle même le tribunal, tout en condamnant, a reconnu la possible finalité sociale de l’initiative, ne contestant que la modalité. Était-ce suffisant pour évincer un préfet et lui retirer sa qualité de cardinal ?
L’impression grandissante est que ce procès n’est pas l’aboutissement d’une enquête indépendante et rigoureuse, mais le produit d’une série de décisions influencées par des dynamiques externes, des chats compromettants et des pressions qui, aujourd’hui — plusieurs années plus tard —, menacent de ruiner non seulement la crédibilité de la justice vaticane, mais l’ensemble du fonctionnement interne de la Sainte‑Siège.
La réponse des autorités vaticanes reste pour l’instant extrêmement discrète, tandis que le cardinal Becciu se dit « trahi » et « profondément blessé » par la découverte de ces conversations qu’il considère comme la preuve irréfutable de ses allégations de complot. Le Vatican doit désormais faire face non seulement aux conséquences d’un procès controversé, mais également à l’ombre d’une possible déformation de la justice, nourrie par des échanges informels et des relations opaques susceptibles d’ébranler tout l’appareil accusatoire construit ces dernières années.
Giancarlo Cavalleri