Mali. Le gouvernement accuse la France de soutenir les terroristes islamistes (Fulvio Beltrami)

Vendredi 8 octobre, le Premier Ministre malien Choguel Kokalla Maiga a déclaré avoir des preuves que la France forme des groupes terroristes islamistes opérant dans son pays. Maiga a également déclaré que les Français sont engagés dans une opération militaire secrète en faveur du groupe islamique Anṣār ad-Dīn, lié à Al-Qaïda. Selon les renseignements maliens, les troupes françaises ont créé une enclave terroriste à Kidal, une ville de la région désertique du nord du Mali où Anṣār ad-Dīn, protégé par Paris, s’entraîne et planifie des attaques contre le gouvernement malien. L’accusation choquante a été déclarée à l’agence de presse russe RIA Novosti et au réseau d’information international RT Russia Today qui possède des rédactions dans plusieurs pays dont la France.
Anṣār ad-Dīn, (Défenseurs de la religion) est un groupe djihadiste armé fondé et dirigé par Iyad Ag Ghali. Apparu début 2012, il est l’un des principaux groupes armés participant à la guerre civile au Mali. Le 1er mars 2017, Ansar Dine a rejoint plusieurs autres groupes djihadistes pour former le Groupe de Soutien à l’Islam et aux Musulmans (GSIM), qui reste sous la direction d’Iyad ag Ghali, tout en conservant une discrète autonomie d’action car il représente le groupe le plus fort et le mieux organisé de la coalition terroriste régionale à laquelle le groupe terroriste nigérian Boko Haram a récemment adhéré.
Après une longue période de paix et de démocratie sous la direction du Président Alpha Oumar Konaré (1992 – 2002) et du Général à la retraite Amadou Toumani Touré (tous deux avec des relations conflictuelles avec la France) en 2012, une rébellion a commencé dans le nord du Mali dirigée par le Mouvement National pour la Libération de l’Azawad (MNLA). Le premier coup d’État a eu lieu en mars 2012. L’officier Amadou Sanogo a pris le pouvoir en limogeant Amadou Toumani Touré, facilitant indirectement le MNLA qui a facilement pris le contrôle du nord du pays, déclarant l’indépendance de l’Azawad. À l’époque, Paris était accusé de soutenir le coup d’État. Accusation rejetée par les autorités françaises.

Divers groupes islamistes sont entrés dans le conflit dans le nord, notamment Anṣār ad-Dīn et AQMI (Al-Qaïda du Maghreb islamique). Ces groupes ont pris le contrôle du nord, battant le MNLA à orientation laïque. En janvier 2013, les forces armées françaises sont intervenues à la demande du gouvernement intérimaire. Après une victoire rapide contre les terroristes dans le nord, le pays est entré dans une longue guerre civile et deux coups d’État en septembre 2020 et mai 2021, tous deux orchestrés par le Colonel Assimi Goïta (né en 1983) qui dirige actuellement le pays en tant que Président par intérim en nommant un gouvernement provisoire formé de civils mais sous son contrôle.
En 2014, la France a étendu le champ des opérations militaires à l’ensemble de la sous-région à travers l’opération Barkhane pour contrer et réprimer les groupes terroristes présents au Burkina Faso, au Tchad, au Mali, en Mauritanie et au Niger. Malgré sa présence militaire, la violence s’est propagée au centre du Mali et au Burkina Faso et au Niger voisins.
En juin dernier, la France a décidé de retirer la plupart de ses troupes présentes au Mali en raison d’un conflit ouvert avec le Colonel Goïta qui avait limogé en septembre 2020 l’homme de confiance de Paris, Ibrahim Boubacar Keita, élu en 2013. Les deux coups d’État ont créé une forte instabilité politique. Le Colonel Goïta après 38 jours de pouvoir a remis la présidence à Bah Ndaw puis l’a limogé lors du deuxième coup d’État en mai 2021.

En réaction à la décision du Président Emmanuel Macron de retirer la plupart des troupes au Mali, le gouvernement de Bamako a accusé la France de trahison, demandant aide et soutien militaire à la Russie, que a immédiatement accepté. Le 17 septembre, le gouvernement malien a signé un accord de collaboration avec le groupe Wagner, officiellement une société privée de mercenaires. En réalité, une milice paramilitaire que le gouvernement et les forces armées russes utilisent pour des opérations à l’étranger.

Le groupe Wagner opère sur divers théâtres de guerre, de la Syrie à l’Ukraine. En Afrique, il est engagé en Libye, en République Centrafricaine et au Mozambique. Maintenant, le Mali est ajouté. Le marché du groupe Wagner est si vaste qu’il a attiré l’attention d’experts du secteur à la recherche de collaborations avec ce groupe paramilitaire russe. Début 2020, Erik Prince, patron de la société mercenaire américaine Blackwater, a tenté de proposer au groupe Wagner des services militaires en Libye et au Mozambique.

Le Premier Ministre malien rapporte aux médias russes que son gouvernement détient des preuves irréfutables que des officiers français forment des terroristes islamiques Anṣār ad-Dīn et protègent leurs bases dans l’enclave de Kidal, empêchant aux forces armées maliennes d’attaquer ce groupe terroriste. « C’est la situation actuelle au Mali et nous ne voulons pas l’accepter. La plupart des terroristes opérant dans notre pays viennent de Libye, le pays que la France, les États-Unis et l’OTAN ont détruit lors de la tristement célèbre intervention militaire de 2011 pour destituer le Colonel Mouhammar Kadhafi, seul bastion en Afrique du Nord contre la propagation de l’extrémisme islamique.

En 2013, le Mali a demandé à Paris de collaborer à la lutte contre les terroristes en partageant des données de renseignement et un soutien aérien à notre armée. Personne n’a jamais demandé de troupes terrestres françaises mais ils les ont quand même envoyées, agissant en maîtres et décidant des tactiques militaires contre divers groupes islamiques. Près de 7 ans plus tard, ces groupes islamiques représentent une grave menace pour la paix et la stabilité au Mali et dans la région. Ils sont même en expansion. Il y a huit ans les terroristes n’étaient présents que dans le nord du Mali, maintenant les deux tiers de notre pays sont occupés par ces terroristes » Déclare le Ministre malien en face de l’Assemblée ONU avec claire référence à la Russie.

Les déclarations du Ministre Maiga ont aggravé la crise diplomatique déjà existante entre le Mali et la France. S’adressant à l’Assemblée générale de l’ONU en septembre, Maïga a accusé Paris d’avoir pris le gouvernement et les forces militaires maliennes au dépourvu en décidant de les laisser seuls pour combattre les terroristes islamistes. « La situation nouvelle née à la fin de Barkhane, plaçant le Mali devant un fait accompli et l’exposant à une sorte d’abandon dans les airs, nous amène à explorer les voies et moyens pour mieux garantir la sécurité de manière autonome avec d’autres partenaires, pour combler le vide créé par le retrait des soldats français », a déclaré Maiga à l’Assemblée des Nations Unies, faisant référence à la Russie.

Après cette déclaration, le gouvernement français a lancé une campagne diplomatique et médiatique massive contre le Mali. Le Président Macron a récemment déclaré aux médias français que l’actuelle administration intérimaire du Mali ne pouvait pas être qualifiée de gouvernement. Il a également déclaré que sans intervention française, le pays africain serait désormais un État islamique dirigé par des terroristes. Suite à ces déclarations, le Ministère malien des Affaires étrangères a convoqué l’Ambassadeur de France à Bamako pour exprimer son indignation et sa désapprobation, exhortant les autorités françaises à construire une relation basée sur le respect mutuel, axée sur la lutte contre le terrorisme.

Les tensions entre Bamako et Paris se sont intensifiées après la nouvelle des accords militaires signés avec le groupe paramilitaire russe Wagner. Le gouvernement français a déclaré que, malgré le retrait attendu de ses troupes, il reste militairement engagé dans la lutte contre les terroristes au Sahel, précisant qu’il n’apprécie pas l’implication de la Russie dans les affaires intérieures de ses anciennes colonies africaines.

Le gouvernement malien a motivé la demande d’aide adressée à la Russie en soulignant le faible impact militaire dans la défense des civils et dans la lutte contre les terroristes de la mission de maintien de la paix de l’ONU : la MINUSMA, forte de 15 000. Le gouvernement malien aussi exhorte les Nations Unies à adopter une engament militaire plus « offensive ». » au Mali. Des accusations bien fondées.
La MINUSMA n’a certainement pas brillé depuis avril 2013, date du début de l’opération au Mali. Seul le contingent rwandais a fait preuve d’une lutte efficace contre les terroristes pendant la période où le Général de Division Jean Bosco Kaurza a été placé aux commandes par le Secrétaire Général Ban Ki-Moon. Les pays qui contribuent le plus en termes de soldats sont le Tchad, le Bangladesh, l’Egypte, le Burkina Faso et le Sénégal. Il y a aussi 440 soldats chinois présents.

La France et l’Union Européenne ont exprimé de vives inquiétudes concernant les contrats militaires conclus entre le Mali et la Russie. Treize pays européens, dont certains impliqués dans la coalition des forces spéciales « Takuba » au Mali, ont jugé inacceptable toute implication du groupe Wagner dans ce pays. La France, l’Allemagne et l’Estonie sont allées plus loin, prévenant qu’elles reconsidéreraient leur présence militaire au Mali si un accord était trouvé.

Ces inquiétudes ne sont pas partagées par Moscou. « Les autorités maliennes se sont tournées vers une société militaire russe privée car, si je comprends bien, la France veut réduire considérablement ses forces militaires qui étaient censées combattre les terroristes à Kidal. Tout cela se fait sur des bases légitimes, entre un gouvernement légitime, reconnus par tous et les entités qui fournissent des services par l’intermédiaire de spécialistes étrangers. Le gouvernement russe n’est pas impliqué », a déclaré le Ministre russe Sergueï Lavrov.

L’escalade de la crise diplomatique entre le Mali et la France trouve ses origines dans un conflit entre les deux pays. Le Mali s’estime trompé car l’intervention militaire française n’a rien résolu, voire a aggravé la situation ; alors que la France ne tolère pas une politique indépendante de son ancienne colonie, malgré le désengagement militaire.

Le plan de Paris est de remplacer les soldats de Barkhane par une force militaire européenne appelée Takuba, qui devrait collaborer avec l’armée malienne et les Casques Bleus, avec le soutien des États-Unis. Désormais, la force européenne risque d’être remplacée par l’armée russe qui, en République Centrafricaine, a démontré sa capacité à vaincre rapidement les groupes terroristes islamiques.
Pour éclaircir cette crise diplomatique indésirable qui sape les efforts d’éradication de la menace terroriste islamique, il convient de souligner que le Mali a de lourdes responsabilités car son armée est incapable de défendre le territoire national alors qu’elle est militairement entraînée depuis des décennies et soutenue financièrement par la France, le l’UE et les États-Unis et ce malgré les 580 millions de dollars mis à la disposition des forces armées par le gouvernement pour le seul exercice 2020.

La France et l’Union Européenne commettent une grave erreur en poursuivant leur attitude coloniale et paternaliste envers le Mali, tant la position de négation de l’implication russe, adoptée par Moscou, n’est pas crédible, au contraire résulte surréaliste. Le Groupe Wagner n’est indépendant que sur un point juridique très fragile. Bien qu’elle soit enregistrée en tant qu’entreprise de sécurité privée, elle reçoit fonds, formation et ordres de l’état-major général des forces armées russes.

Depuis la chute de Kadhafi en Libye, la Russie s’est engagée dans une vaste opération de pénétration politique, militaire et économique du continent africain, visant principalement les anciennes colonies françaises. Une politique qui a créé une guerre froide non déclarée entre Paris et Moscou. Si l’engagement militaire russe s’est avéré extrêmement positif en République Centrafricaine et, il pourrait en être de même au Mali, force est de constater que le soutien de Moscou aux régimes brutaux du Burundi et de l’Éthiopie est certainement un mauvais choix politique qui s’avère difficile à justifier.

Ce n’est pas la première fois que la France est accusée de collusion avec des groupes terroristes en Afrique. Le soutien français au groupe terroriste rwandais Forces Démocratiques de Libération du Rwanda – FDLR, responsable du génocide de 1994, est bien documenté.
Les FDLR ont même été créées par des conseillers militaires français en 2000 dans l’est du Congo, regroupant ce qui restait des forces génocidaires rwandaises défaites par le Front Patriotique du Rwanda dirigé par l’actuel Président Paul Kagame. Malgré la fin de la guerre froide entre Kigali et Paris et le début des relations diplomatiques et économiques qui en a résulté, on ne sait toujours pas si Paris a cessé ou non de soutenir les terroristes des FDLR.

En 2014, le Général français Jeans-Bernard Pinatel, expert en politique internationale et directeur du centre d’études géostratégiques « Geopolitique-Geostrategie », site d’analyse politique de l’Union Européenne, des Nations Unies et de l’administration américaine, accuse son gouvernement d’avoir armé et soutenu en République Centrafricaine la rébellion musulmane du groupe terroriste Séléka qui a renversé en mars 2013 le gouvernement du Président François Bozizé (qui avais adopté une politique conflictuelle avec la France) en installant au pouvoir un Président par intérim : Michel Am Nondroko Djotodia. La Séléka a montré en quelques mois qu’elle était incapable de gouverner le pays ne connaissant que la violence des armes. Cela a contraint la France à intervenir à nouveau, cette fois contre les terroristes islamistes.

Le Général Pinatel a expliqué en termes non équivoques que l’intervention française en Afrique Centrale aurait difficilement pu régler la situation et stabiliser le pays en raison du soutien logistique et financier limité offert par l’Union Européenne et par les États-Unis et la politique contradictoire du Président François Hollande en contre son ancienne colonie africaine. L’analyse du Général français s’est avérée juste. La République Centrafricaine n’est désormais en partie stabilisée que grâce à l’intervention militaire de la Russie qui a utilisé sa milice paramilitaire Wagner, officiellement une compagnie de mercenaires indépendante du Kremlin.

Fulvio Beltrami