
La France, comme d’autres pays européens, traverse une crise profonde, certes déclenchée par la pandémie, mais qui trouve ses racines dans l’histoire récente du pays. Le pays avait été secoué par le mouvement des gilets jaunes et la crise pandémique survient à un moment de grave crise sociale. Le Président Macron, qui trouve de nombreux admirateurs à l’étranger, semble avoir perdu de nombreux soutiens. La lune de miel avec les Français semble s’être dissipée vite.
Pour mieux comprendre la situation française, le Farodiroma a décidé d’interroger un historien français Noël-Yves Tonnerre. Pour comprendre le présent, comme le disait Marc Bloch, il faut connaître le passé ou mieux être conscient des strates profondes de l’histoire. Noël-Yves Tonnerre explique ici comment la France a souffert de la mondialisation et comment le Président n’a pas été en mesure d’apporter des réponses aux classes sociales les plus touchées par ce processus.
Professeur Tonnerre, comment Macron a-t-il géré la pandémie ?
Macron a très mal géré la crise. Il n’avait rien prévu, donc la France a manqué de masques, de lits d’hôpitaux, de personnels. Il faut cependant, reconnaître que les deux présidents précédents Sarkozy et Hollande avaient réduit les dépenses de santé pour faire des économies, les crédits de recherche avaient baissé pour les laboratoires. Il faut aussi reconnaître que l’Europe a été défaillante pour les vaccins. Ceci dit, Macron a aggravé les choses en voulant tout décider lui-même. Les présidents de région ne sont jamais consultés, les maires sont parfois contactés par le premier ministre mais uniquement pour des problèmes concernant leurs villes. Le Président réunit de temps en temps un conseil de défense composé de médecins et de hauts fonctionnaires mais les délibérations sont secrètes. Comme vous le savez, le président n’a rien à craindre de l’assemblée nationale puisqu’il dispose d’une majorité absolue. Seul le sénat peut demander des commissions d’enquête mais il ne peut pas faire tomber le gouvernement. Les informations sur l’épidémie sont par ailleurs souvent tardives et incomplètes.
Comment le travail du Président en France est-il jugé ?
Les avis sur le Président ne sont pas unanimes. Il y a une minorité de français (autour de 30 %) qui soutiennent le gouvernement mais la majorité des Français jugent Macron arrogant et mal préparé à exercer ses responsabilités. Il manque de culture historique (d’où de grosses erreurs : ainsi il a confondu colonisation et colonialisme quand il a dit que la colonisation était un crime contre l’humanité) ; il connaît mal la réalité sociale française et affiche parfois beaucoup de mépris pour les Français vivant dans les campagnes et les petites villes. Il est vrai qu’il a surtout travaillé dans le secteur bancaire et est très influencé par les milieux d’affaires américains. Il passe une grande partie de son temps à se déplacer (ce qui coûte finalement très cher) et multiplie les déclarations orales et sur twitter, ce qui l’amène à se contredire et à multiplier les promesses non tenues. Il voulait faire de grandes réformes pour moderniser la France mais il n’a pas réussi à faire la réforme des retraites, la réforme constitutionnelle. Il a renoncé au plan sur les banlieues qu’il avait promis. Sur le plan concret il a très mal défendu les intérêts de l’industrie française en vendant la moitié de l’entreprise Alstom à General Electric américain dans des conditions opaques, il a aussi vendu la plus grosse entreprise d’électronique Alcatel à Nokia ce qui a été catastrophique pour l’emploi. L’industrie apparaît affaiblie même si certains secteurs sont en bonne santé comme l’industrie du luxe ou le pétrole (Total). L’agriculture française se porte mal tiraillée entre les exigences de la mondialisation et la nécessité de lois en faveur de l’écologie. Sur le plan de la politique extérieure, on ne voit pas du tout de cohérence. Il a affiché beaucoup d’amitié avec Trump et ensuite il a applaudi Biden. Il a invité fastueusement Poutine au château de Versailles puis il l’a attaqué violemment. Il néglige les pays africains francophones alors que c’est un atout pour la politique extérieure française. En fait, la position politique de Macron à la fois à droite et à gauche est intenable. La France a besoin d’une droite et d’une gauche gouvernant en alternance. Malheureusement si Macron a perdu presque tout l’électorat de gauche, la Gauche française est divisée en tendances incompatibles. Je voudrais parler aussi de l’Éducation qui a été un point fort de la France et qui est affaiblie actuellement.
Quels problèmes sociaux la pandémie en France a-t-elle mis en évidence ?
Difficile de répondre à cette question car les problèmes sont les mêmes partout. L’isolement a frappé durement les personnes âgées, l’absence de travail va coûter très cher aux restaurants et aux cafés, l’absence de cours risque d’affaiblir la formation des étudiants et peut avoir des conséquences graves pour leur emploi.
Que reste-t-il du mouvement des gilets jaunes ?
Les Gilets jaunes ne manifestent plus le samedi du fait du coronavirus mais la réalité sociale est toujours présente. Grossièrement il y a là toute la France qui souffre de la mondialisation : les petits commerçants, les agriculteurs très endettés, les ouvriers qui craignent la délocalisation de leurs entreprises, les employés du secteur tertiaire et les personnels de santé qui ont du mal à payer le prix de l’essence pour leurs voitures. En général ce sont les petites villes et les campagnes qui fournissent les troupes les plus importantes des gilets jaunes. Beaucoup votent Front National mais on trouve aussi l’Extrême Gauche. C’est un mouvement confus, très peu structuré, redoutable car il y a des groupes violents qui s’infiltrent dans les manifestations.
Quelle est la position du monde catholique par rapport au Président ?
Face à Macron les catholiques sont très partagés. Certains, surtout au début, ont vu en lui un réformateur capable de moderniser la France, de faire plus de justice sociale et de renforcer l’Europe, un programme social-chrétien en quelque sorte. Mais de plus en plus de catholiques sont inquiets devant les mesures sociétales que lui ou ses partisans ont engagées : élargissement du droit à l’avortement, procréation médicalement assistée, droit à l’euthanasie, s’y ajoute une conception dure de la laïcité qui pour lutter contre l’islamisme atteint aussi les catholiques. Les informations religieuses sont désormais très rares à la télévision et le Président ignore la fête de Noël.
Les catholiques peuvent-ils former un parti autonome, allié à la gauche sur le modèle italien ?
La France n’est pas l’Italie. L’Eglise catholique est ici nettement plus faible. Il est impensable de voir se former un parti chrétien. Il y a eu une tentative il y a 70 ans avec le MRP mais cela a été rapidement un échec. Quant à une association avec la Gauche c’est encore plus impossible. La Gauche en France est dans un triste état, il y a les réformistes et les révolutionnaires, les Européens et les souverainistes, les partisans de la croissance et les partisans de la décroissance, et maintenant les islamophilies et les islamophobes !! c’est désespérant !
Professeur Tonnere, merci pour cette interview. J’espère qu’il y aura une autre occasion.
Nazareno Galiè