Créée en 1999, la mission onusienne en RDC semble définitivement abdiquer son rôle de protection des populations.
Alliés inconditionnels de l’armée de Kinshasa (FARDC), les Casques bleus partagent aussi sa stratégie de contre-insurrection dont les civils sont les principales victimes
L’année 2009 marque un tournant dans l’histoire de la Mission des Nations Unies en République démocratique du Congo (MONUC). En janvier, la rébellion du Congrès national pour la défense du peuple (CNDP) est démantelée, son chef arrêté au Rwanda et sa branche militaire intégrée à l’armée congolaise (FARDC).
Auparavant, ces derniers et les Casques bleus avaient assisté, impuissants, aux offensives des troupes du général Laurent Nkunda. Les insurgés avaient occupé de vastes étendues de territoire dans la province orientale du Nord-Kivu et envisageaient peut-être de marcher sur Kinshasa.
Kigali a ainsi aidé le président congolais Joseph Kabila à sauver le poste. D’abord en infiltrant le CNDP pour organiser le putsch de Bosco Ntaganda -une tentative totalement infructueuse-, puis en se préparant à recourir à la force pour vaincre les rebelles, qui ont ainsi été contraints de déposer les armes.
Changement de système
Si la « solution régionale » de la crise version rwandaise avait réussi là où les dix-neuf mille soldats onusiens avaient joué le rôle de spectateurs plus ou moins impuissants, dans les hautes sphères de la Glass House à Washington, notamment au sein du département des opérations de maintien de la paix (DOMP, ou DPKO, selon l’acronyme en anglais), la conviction de doter la Mission d’un mandat plus robuste pour apporter un soutien actif aux FARDC gagnait du terrain.
Un changement de stratégie, sinon de système, s’imposait
A l’époque, le Français Alain Le Roy dirigeait le DOMP, selon la coutume de l’institution créée en 1992, dont la France a toujours tenu le commandement (hormis le premier mandat confié à Marrack Goulding, avec Koffi Annan comme adjoint). Le chef d’état-major du tout-puissant bureau des affaires militaires du DOMP était également un Français, le général Jean Baillaud. Conseiller militaire adjoint du Secrétaire général (SGNU), selon sa nomination officielle, il y restera jusqu’en 2012. Ancien parachutiste formé aux missions secrètes dans les redoutables forces spéciales transalpines – lire la mention « COS » (Special Operations Command) dans son compte tweeter – cet officier est considéré comme un doctrinaire.
Concepteur de la théorie de “l’Approche Globale”, -mise à jour de la Doctrine de la “Guerre Révolutionnaire” (DGR), la version de la contre-insurrection élaborée par l’Ecole Militaire de Paris, et à l’usage des OPEX (Opérations Extérieures ) de la France en Afrique – , Baillaud est en bonne position et au bon moment pour accompagner sur le plan doctrinal la transformation radicale du concept même de « maintien de la paix » qui se prépare dans les laboratoires onusiens.
L’approche contre-insurrectionnelle
En effet, comme le souligne l’Américaine Rachel Sweet, experte des Missions des Nations Unies, dans son remarquable essai, Militarizing the Peace: UN Intervention Against Congo’s Terrorist’ Rebels : « La Mission des Nations Unies a expérimenté une nouvelle approche en 2009, lorsqu’elle a commencé à soutenir l’armée congolaise… En 2010, la Mission a été réorganisée avec un mandat plus agressif, afin de stabiliser les zones de conflit à l’Est du pays en changeant son nom en MONUSCO, Mission des Nations Unies pour la stabilisation en RD Congo. Il a adopté une approche “contre-insurrectionnelle” pour aider l’armée congolaise à “libérer, nettoyer et tenir les territoires tenus par les rebelles”. La sécurité des civils aurait ainsi dû être assurée et l’autorité de l’Etat restaurée sur l’ensemble du territoire.
Dans les bureaux de la nouvelle MONUSCO, une « Stratégie internationale d’appui à la sécurité et à la stabilisation » (« ISSSS ») est élaborée, « calquée sur les principes de la contre-insurrection, selon lesquels les opérations militaires de nettoyage des zones rebelles doivent être suivies d’un processus de soutien et de renforcement de l’État » (Stratégie internationale d’appui à la sécurité et à la stabilisation, MONUSCO).
Avec l’adoption de ce concept de « stabilisation », la MONUSCO devient l’expérience pilote du DOMP, qui sera progressivement suivie par la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies pour la stabilisation au Mali (MINUSMA, avril 2013) et par la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies. pour la stabilisation en Afrique centrale (MINUSCA, avril 2014).
Oubliant que l’État qu’elles renforçaient était le promoteur ou la cause de l’insécurité, on verra dix ans plus tard comment ces Missions manquent à leur objectif déclaré, la protection des civils : « Les Missions assurent à ces gouvernements une protection et une légitimité de façade dont ils usent et abusent. contre leur population. En RDC, par exemple, la MONUSCO a apporté un soutien logistique et militaire à une armée qui se distingue par ses violations des droits de l’homme » (T. Vircoulon, ancien directeur Afrique du think tank Groupe de crise international, Maintien de la paix, version ONU : radiographie de impuissance, Le Monde, 10/10/2017).
La brigade d’intervention
Cependant, en 2013, la stratégie de la MONUSCO de contre-insurrection et de soutien à l’État partenaire de la RDC devient opérationnelle. Pour mettre fin à la nouvelle révolte du M23, qui a débuté en mars 2012, le Conseil de sécurité des Nations unies (RCSNU) a adopté la résolution 2098 en mars 2013. Le texte, rédigé par Paris, autorise « à titre exceptionnel et sans que cela crée de précédent », la déploiement en appui aux forces de la MONUSCO et des FARDC d’une brigade d’intervention de la Force (FIB), la première dans l’histoire des Nations Unies.
Mi-2013, le FIB se déploie sur le terrain. Sous une forte pression diplomatique et militaire, notamment de la part des hélicoptères de combat MI-35 de l’armée ukrainienne et des Denel AH-2 de l’armée de l’air sud-africaine, fournis à la MONUSCO, le M23 se replie en Ouganda.
Durant cette année de guerre 2012-13, le général français Patrick Boubée de Gramont est à la tête de l’effectif de la MONUSCO. Il collabore avec le chef du DPKO, son compatriote Hervé Ladsous, pour soutenir le gouvernement de Kinshasa. A travers l’ONU, la France n’a jamais ménagé ses efforts pour assurer le maintien de Joseph Kabila au pouvoir. « Nos officiers représentent la France au sein de ces commandements (du DOMP, ndlr) et leur action volontaire leur permet de servir directement les intérêts stratégiques et opérationnels de leur pays. Une force de maintien de la paix des Nations unies peut permettre à la France d’éviter une opération nationale coûteuse en lui épargnant les risques politiques, et d’atteindre ses objectifs politico-militaires », a déclaré plus tard ce général de division de la Marine dans une revue militaire.
Avec Ladsous, Boubée de Gramont dirige la force de la MONUSCO dans un système d’alliances hybrides qui mobilise, avec les FARDC, des milices locales comme l’APLCS et les FDLR, les rebelles hutu rwandais responsables du génocide de 1994 des Tutsi au pays des mille collines et anciens compagnons d’armes de l’armée française. Paradoxalement, la revue stratégique lancée en 2009 au sein du DOMP visait, du moins dans les intentions affichées, l’éradication de ce groupe…
Action secrète et pression psychologique
Pendant la guerre contre le M23, les combats conventionnels se sont accompagnés d’actions clandestines et d’une forte pression psychologique sur ce mouvement et sur les populations. De nombreuses bombes ont été larguées sur Goma, au Nord-Kivu et sur le territoire rwandais. Des actes suivis d’une campagne médiatique qui en attribue la responsabilité au M23…
En juillet 2013, Boubée de Gramont quitte la Monusco. Il le remplace… Baillaud, qui vient de terminer son mandat au Bureau des affaires militaires du DOMP, juste à temps pour s’envoler vers la RDC puis se rendre en Ouganda pour participer aux discussions préliminaires aux accords de paix entre le M23 et le gouvernement congolais. Selon une de nos sources à l’époque, le général “supervisait” les officiers supérieurs des FARDC présents aux pourparlers.
Le déploiement de la Brigade a été décidé, selon les textes, pour neutraliser non seulement le M23, mais tous les groupes armés de l’Est. Fin 2013, une deuxième campagne a été annoncée, visant en principe les FDLR ; cependant la MONUSCO change de cap et propose au gouvernement congolais de procéder à l’éradication des Forces démocratiques alliées (ADF), une rébellion ougandaise active dans le Grand Nord du Nord Kivu depuis 1995. C’est le début d’une série d’événements tumultueux qui vont impliquer l’armée congolaise dans un contexte de forces obscures agissant dans l’ombre.
Le premier à être chargé des opérations contre les ADF est le colonel Mamadou Ndala, assassiné le 2 janvier 2014 à Beni. Le mobile et les circonstances exactes de sa mort ne seront jamais éclaircis, cependant, le tribunal militaire convoqué à Beni en novembre de la même année condamnera le principal accusé, le colonel FARDC Samuel Birotsho, ancien officier supérieur du soulèvement du RCD-K. -ML de Mbusa Nyamwisi, accusé de collusion avec les ADF.
Mundos entre en scène
Ce dernier sera vaincu à Médine en avril 2014 par le général Bahuma, envoyé là-bas après le meurtre de Ndala. Vers la même époque, Kinshasa avait envoyé à Beni un général de la maison militaire du président Kabila, Akilimali Muhindo Mundosi, dit Mundos. Il s’agissait d’enquêter sur les prétendus préparatifs d’un nouveau soulèvement en train de se préparer par d’anciens éléments du RCD-K-ML, qui avaient maintenu une chaîne de commandement parallèle au sein des FARDC et prévoyaient de déposer Joseph Kabila.
En août, Bahuma meurt subitement et mystérieusement en Afrique du Sud. Mundos prend sa place à la tête d’une unité spéciale, la 31e brigade. Est également intégré dans ses rangs un colonel membre du Conseil national de sécurité (NCS) et analyste personnel de Kabila sur les questions de sécurité. Sur place depuis mars et officiellement pour mobiliser les groupes armés appelés Maï Maï et les convaincre de s’allier aux FARDC, Frank Ntumba, c’est le nom du colonel de l’époque, collaborait probablement déjà avec Mundos dans le cadre d’une mission secrète.
Début octobre 2014, les premiers massacres de paysans commencent à Beni. Un cycle infernal s’ouvre, qui se poursuit encore aujourd’hui. Les versions officielles, gouvernementales et onusiennes, imputent rapidement les faits aux ADF, alors même que cette rébellion venait d’être vaincue et ne s’était jamais illustrée dans les massacres de civils.
En novembre 2014, un rapport de députés envoyé à Beni pour enquêter, rapporte ce qui suit : ordres contradictoires au sein des FARDC, officiers empêchant leurs subordonnés d’intervenir lors du carnage, qui se déroule également près de leurs positions, complicité de certains officiers avec les assassins , « Immobilisme ou inaction de la MONUSCO ».
D’autres rapports, dont celui des Nations unies, puis enquêtes et reportages, remettent en cause la version officielle. Le nom de Mundos, des officiers de la 31e Brigade et d’autres régiments revenait systématiquement : tous auraient été impliqués dans les massacres et, selon certaines sources, en auraient été les promoteurs.
Il est édifiant de lire, entre autres, ces extraits du résumé du Comité du Conseil de sécurité des Nations unies (CSNU) qui préside aux sanctions contre les individus ou entités tenus responsables de violations des droits de l’homme et/ou de crimes de guerre. Selon le texte, daté de février 2018 : « Mundos a recruté et équipé des ex-combattants des groupes armés locaux pour participer aux exécutions extrajudiciaires et aux massacres perpétrés par les ADF. Alors qu’il était le commandant de l’opération Sukola I des FARDC, Mundos soutenait et commandait également une faction d’un sous-groupe des ADF, connue sous le nom d’ADF-Mwalika.
Sous le commandement de Mundos, les ADF-Mwalika ont mené des attaques contre des civils avec le soutien supplémentaire des combattants des FARDC, toujours sous le commandement de Mundos pendant les opérations ».
École de guerre de Kinshasa
Pourtant, plus de trois ans après la publication, qui inclut Mundos dans la liste des personnes sanctionnées par les Nations unies, ils continuent de soutenir une armée impliquée dans les atrocités commises contre les populations sur le terrain. En revanche et autrefois dirigé par Beni, Mundos a continué à gravir les échelons des FARDC.
En janvier 2021, le Président de la République Démocratique du Congo Tshisekedi a inauguré l’Ecole de Guerre de Kinshasa qui est issue du CHESD, le Collège des Hautes Etudes de Kinshasa en Stratégie et Défense, fondé par la société française THEMIIS (The Management Institute for International Security ) et dont le général Baillaud était directeur académique avant de quitter son poste à la MONUSCO en juillet 2016.
Si la tragédie de Beni et des ADF s’avère ainsi être l’histoire d’une contre-insurrection menée selon ses méthodes les plus radicales (création de hiérarchies parallèles dans l’armée et mobilisation d’une fausse rébellion pour attaquer les civils et semer la peur dans les populations), c’est légitime ou non de se demander si ses auteurs locaux, cachés dans un scénario obscur et dissimulant, n’avaient pas été formés aux principes de la “Guerre d’Indépendance” de l’Ecole Militaire de Paris, la plus extrême des doctrines anti-subversives ?
Ada Rossi *
* Ada Rossi est le pseudonyme d’un fonctionnaire international qui, pour des raisons de confidentialité professionnelle, nous a demandé de s’exprimer de manière anonyme