Tchad : tel père tel fils, manifestations réprimées dans le sang, le président héréditaire Mahamat Idriss Deby s’adresse à la nation (F. Beltrami)

Des milliers de personnes sont descendues dans la rue pour protester contre le coup d’État
constitutionnel de la famille Deby et des Généraux Zaghawa après la mort sur le champ de bataille du dictateur Idriss Deby Itno, au pouvoir depuis 1990. Les manifestations ont impliqué la capitale: Djamena, Mondou (sud du pays) et d’autres petites villes. La manifestation était organisée par l’association Wakit Tamma (L’heure a sonné), qui s’est transformée en une plate-forme politique qui unit les partis d’opposition, les associations et la société civile.
Mahamat Deny Itno, conscient des enseignements qu’il a reçus de son père sur la façon de calmer la foule furieuse, a ordonné à la police d’utiliser la force pour disperser toutes les manifestations, strictement interdites par la junte militaire. La répression a également été suivie par des unités de la Garde Présidentielle (principalement composées de Zaghawa). Outre les gaz lacrymogènes, les forces dont pas hésité à tirer sur les manifestants.
Le bilan officiel parle de 5 victimes et d’une dizaine de blessés. L’opposition parle d’au moins 9 morts : bilan provisoire fourni par l’Association CTDDH (Convention Tchadienne pour la Défense des Droits de l’Homme). Il est difficile de connaître le nombre de blessés. De nombreuses personnes qui ont été légèrement blessées par balle ne se sont pas présentées dans les hôpitaux de peur d’être arrêtées. La police a arrêté au moins 100 manifestants et a ciblé les journalistes pour leur empêcher de dénoncer les
violences contre la population.
Les manifestations ont été suivies par les deux partis d’opposition les plus influents: le Parti de la Transformation et l’Union Nationale pour la Démocratie et le Renouveau. L’armée a clairement fait connaître ses intentions. Régner avec la violence et le sang. La police a tiré à balles réelles sur des jeunes pour réprimer une marche pacifique, a tweeté Saleh Kebzabo, opposant politique historique.
Les manifestations ont été caractérisées par un fort sentiment anti-français. L’opposition et la société civile accusent la France et le président Emmanuel Macron de soutenir la junte militaire et le président héréditaire pour poursuivre la domination coloniale sur le Tchad. Dans un pays de tradition historique de présence française importante et encombrante, où la France dispose de plusieurs bases militaires, mais aussi où les plus grandes entreprises françaises sont présentes, l’apparition de messages opposés à la
Françafrique dans les manifestations est historique pour l’Afrique et terrifiante pour Paris .
Les slogans anti-français ont été une source de grande préoccupation pour l’Elysée. Le Tchad est l’allié par excellence dans la lutte contre le terrorisme islamique au Sahel. Une lutte qui voit la France engagée en première ligne avec l’opération Barkane, qui a son quartier général à N’Djamena. Si la France perd son influence sur le Tchad, elle risque de la perdre dans d’autres pays stratégiques francophones d’Afrique de l’Ouest avec de graves répercussions sur l’économie nationale.
Ce sont peut-être ces considérations qui ont conduit le président Macron à revoir son soutien initial à la junte militaire dirigée par le fils du défunt dictateur. Mardi 27 avril, la France a changé de position sur la crise au Tchad en appelant à un gouvernement civil d’unité nationale. Une demande qui déjoue les plans du jeune président héréditaire. Plans qui incluent un gouvernement civil fantoche dirigé et contrôlé par
la Famille Deby et les généraux Zaghawa.
Le soutien initial de la France à Mahamat Idriss Deby était dicté par des raisons géostratégiques. La forte opposition de la population et la réponse brutale de la junte militaire ont forcé une correction de la trajectoire du feu pour éviter de perdre un allié clé dans la lutte contre le terrorisme et un pays économiquement stratégique pour l'économie nationale française. Il y a un risque que les groupes
terroristes et les franges les plus extrémistes de l’Islam chevauchent la protestation populaire, soufflant sur les sentiments anti-français et anti-impérialistes, volant la direction de la manifestation aux partis d’opposition et à la société civile.
Ce n’est certainement pas un hasard si le président Macron a sévèrement condamné la répression décidée par les Généraux pour contenir le mécontentement populaire. En soutenant un gouvernement strictement composé de civils, les accusations actuelles de soutien aux régimes dictatoriaux lancées par l’opposition tchadienne seraient abandonnées. Cela affaiblirait également le sentiment anti-français répandu dans divers pays d’Afrique de l’Ouest.
La condamnation de l’Union Européenne a été dure également. Dans une déclaration d’hier, le représentant de l’UE et vice-président Jospeh Borell a condamné la répression des manifestants à Djamena et Moundou. Dans sa déclaration, le représentant de l'UE a déclaré que le droit de manifester doit et être garanti et condamne l'usage de la force et des armes par la police.

Depuis au moins 10 ans, nous assistons à l’émergence de puissances régionales en
Afrique qui, associées à l’influence croissante de la Chine sur le continent, ont progressivement diminué le pouvoir de l’Occident. Les crises politiques au Burundi et en Éthiopie sont des exemples frappants de la façon dont l’Europe et les États-Unis perdent leur pouvoir d’influencer le sort de pays entiers. Il est de plus en plus difficile d’imposer une position politique et économique euro centrique en Afrique sans le consentement des puissances régionales émergentes.

 

Fulvio Beltrami

Tchad. Le président héréditaire Mahamat Idriss Deby s’adresse à la nation.
Parallèlement aux manifestations populaires contre le coup d’État constitutionnel menées par les Généraux Zaghawa, la famille Deby Itno et le sous-clan Bideyat, le nouveau président de droit héréditaire: Mahamat Idriss Deby, a prononcé son premier discours devant la nation.
Un discours qui vise à rassurer la population et les partenaires occidentaux, principalement l’Union Européenne et la France. Pour justifier la création du Conseil Militaire des Transactions (CMT), Mahamat déclare que l’armée a été contrainte de reprendre les rênes de la nation après la démission du président de l’Assemblée nationale qui, selon la Constitution, devait assumer le poste du président par intérim. Pour éviter un dangereux vide politique, l’armée a décidé de prendre sa responsabilité devant le peuple tchadien pour empêcher le pays de sombrer dans le chaos et la violence. En réalité, le président du Parlement a été contraint de démissionner par la famille Deby.
Mahamat annonce la création imminente d’un Conseil National de Transition dirigé par des civils dans le but d’organiser au plus vite des élections démocratiques, libres et transparentes pour rendre “irréversibles les valeurs de démocratie et de liberté introduites au Tchad par Idriss Deby Itno en 1990” . La décision de créer un gouvernement civil provisoire vise à offrir un “visage propre” aux puissances occidentales à l’instar de la junte militaire au Soudan. Le CNT n’aura aucun pouvoir législatif ou exécutif et sera contrôlé par la famille Deby et la junte militaire Zaghawa. En annonçant la nécessité de tenir de nouvelles élections, le président héréditaire évite astucieusement de fixer une date.
Pour contrebalancer le refus de l’opposition, de la société civile et de la population en général au «droit» de gouverner le Tchad, Mahamat Idriss Deby annonce son intention de lancer un dialogue national inclusif sans fixer de date pour le début des négociations nationales.
Soucieux de ne pas perdre le soutien occidental, le président héréditaire assure à la communauté internationale que le Tchad continuera à assumer ses responsabilités dans la lutte contre le terrorisme et dans le respect de ses engagements internationaux. La junte militaire s’appuie fortement sur sa contribution militaire contre les terroristes Boko Haram, Al-Qaida Maghreb et DAESH pour obtenir le soutien de l’Union Européenne et des États-Unis. Avec une ruse légendaire Mahamat peint le groupe rebelle de l’ethnie Gorane: FACT en tant que groupe terroriste islamique.
Le discours à la Nation a été accueilli avec une hostilité extrême de la part de l’opposition, de la société civile et de la population. Considérés comme vides de contenu et extrêmement vagues sur le rôle des militaires dans la transition, les partis d’opposition et la société civile rejettent la junte militaire, exigeant la formation immédiate d’un gouvernement de transition exclusivement civil, rappelant aux forces armées leur devoir de servir la République et non une famille ou un clan spécifique.
L’opposition annonce d’autres manifestations populaires jusqu’à ce que la junte militaire accepte d’abdiquer. La deuxième manifestation nationale est prévue le jeudi 29 avril. La tentative de l’opposition et de la société civile de créer un printemps tchadien sur les traces de la population soudanaise qui a mis fin en 2019 à un autre régime despotique: celui d’Omar El Baschir est claire. Le mouvement révolutionnaire tchadien nouvellement né, a l’avantage d’analyser les erreurs commises par les révolutionnaires soudanais pour ne pas les répéter et éviter tout compromis avec les militaires.
Un bras de fer nécessaire mais dangereux. Dans son discours à la Nation, le jeune guerrier Zaghawa a été extrêmement clair. “Toute attitude hostile envers les membres de la CMT sera une attaque impardonnable contre la mémoire du Maréchal et l’engagement envers le peuple”.
Ci-dessous nous vous proposons le discours du Président par droit successoral, publié dans le journal tchadien Juounal Du Chad.

Tchadiennes, Tchadiens ;
*Mes chers Compatriotes

C’est avec une émotion encore vivace que je m’adresse à vous, quelques jours après la terrible tragédie qui a secoué notre pays, avec la mort brutale du Maréchal du Tchad, IDRISS DEBY ITNO, Président de la République, Chef de l’Etat. Le Maréchal du Tchad IDRISS DEBY ITNO est mort d’une mort réservée aux grands destins, en nous laissant dans le désarroi, la détresse et une douleur indescriptible. Le Président de la République a donné son dernier souffle et sa vie pour préserver le Tchad de la menace des groupes terroristes, des partisans de la guerre et des complotistes de tout bord.
Je voudrais, au nom de toute la Nation, rendre un vibrant hommage aux frères d’armes du Maréchal du Tchad qui ont combattu à ses côtés, certains sont morts au champ d’honneur, d’autres en garderont des cicatrices indélébiles. Le Tchad vous est éternellement reconnaissant. L’objectif macabre des forces du mal et des adeptes de l’obscurantisme, est d’empêcher l’émergence du Tchad et de le déstabiliser en semant le chaos, la haine, la désolation et la mort.
Face à ce péril qui menace encore le Tchad, qui est à nos frontières et qui pourrait compromettre gravement l’avenir de la Nation, les Forces de Défense et de Sécurité ont pris leurs responsabilités devant l’histoire et le peuple. Les hauts dignitaires de nos forces de défense et de sécurité n’ont pas eu d’autre choix que d’emprunter la voie qui s’imposait à tous dans ce contexte exceptionnel d’un chaos généralisé annoncé et d’implosion du pays.
Confronté au renoncement du Président de l’Assemblée Nationale d’assumer sa responsabilité constitutionnelle et face à ce péril imminent, un Conseil Militaire de Transition a été mis en place pour faire face au péril ultime. La charte de transition qui fonde nos actions est une base pour la mise en œuvre de notre dispositif institutionnel.
Le Conseil Militaire de Transition obéit au souci cardinal de faire face à l’urgence absolue de devoir défendre notre Patrie contre l’agression qu’elle subissait, de préserver les acquis de paix et de la stabilité et de garantir l’unité et la cohésion nationale. Il s’agit là, mes chers compatriotes, de l’essence même des principes fondamentaux d’existence de la Nation car la guerre n’est pas finie et la menace d’attaques par d’autres groupes armés venus de l’étranger demeure.

Mes chers compatriotes,
Le Conseil Militaire de Transition n’a pas d’autre objectif que d’assurer la continuité de l’État, la survie de la nation et l’empêcher de sombrer dans le néant, la violence et l’anarchie. Les membres du CMT sont des soldats qui n’ont d’autre ambition que celle de servir loyalement et avec honneur leur patrie. Toute autre attitude des membres du CMT sera une atteinte impardonnable à la mémoire du Maréchal et à l’engagement face au peuple. Notre pays est au carrefour de son histoire. Ce moment crucial pour la Nation tchadienne engage le CMT à faire preuve de responsabilité et de pondération.

Conformément à l’esprit et aux dispositions de la Charte de Transition, le Conseil Militaire de Transition jouera pleinement son rôle de garant de l’indépendance nationale. Il aura pour vocation de définir les grandes orientations pour les questions de paix, de stabilité et de sécurité nationale. Un Premier Ministre, chef du Gouvernement de transition vient d’être nommé. Sa mission est de former un nouveau gouvernement de réconciliation nationale, composée d’une équipe soudée, compétente et représentative du Tchad pluriel. La réconciliation nationale, la paix, l’unité, la solidarité seront en tête des actions prioritaires du Gouvernement.
Ces valeurs si chères à notre défunt Président seront éprouvées et sanctuarisées dans le cadre d’un dialogue national inclusif qui sera organisé pendant cette période de transition. Je serai le garant de ce dialogue qui n’éludera aucun sujet d’intérêt national selon un calendrier précis que le Gouvernement sera appelé à dévoiler.
Dans les prochains jours et après les consultations en cours, un Conseil National de Transition, représentatif de toutes les provinces et de toutes les forces vives de la Nation sera également mis en place, de façon consensuelle et concertée, pour permettre l’accompagnement législatif de l’action gouvernementale et de donner au pays les bases d’une nouvelle Constitution. L’objectif du processus est de nous permettre d’organiser des élections démocratiques, libres et transparentes dans les meilleurs délais. La démocratie et la liberté introduites au Tchad en 1990 sont et resteront des valeurs irréversibles.

Mes chers compatriotes,
En votre nom, je tiens à exprimer notre infinie gratitude aux dirigeants des pays amis et partenaires pour ce soutien résolu dans cette quête qui est la nôtre d’une transition apaisée, sereine et participative, que le peuple tchadien attend avec espoir. Le Tchad a besoin de la communauté nationale et internationale pour réussir cette transition tant les défis sont immenses. Le Tchad a besoin d’un soutien massif de ces partenaires pour stabiliser une situation économique et financière durement impactée par le contexte sécuritaire, sanitaire, humanitaire et social. Je voudrais également rassurer nos partenaires que le Tchad continuera de tenir son rang et à assumer ses responsabilités dans la lutte contre le terrorisme et respectera tous ses engagements internationaux.

Tchadiennes, Tchadiens ;
Mes chers Compatriotes,
Le Maréchal du Tchad IDRISS DEBY ITNO nous a légué un héritage sur lequel nous pouvons capitaliser pour cimenter l’unité du pays et accélérer son progrès économique. Chacune et chacun d’entre nous doit simplement comprendre que tout acte, toute attitude et tout comportement contraire à l’unité nationale, au vivre-ensemble et à la paix est un grave préjudice causé à la Nation. Nous voulons rassurer et réconforter tous nos compatriotes qui ont enduré, dans la dignité, la responsabilité et la sérénité, l’épreuve et la douleur de la disparition du Maréchal du Tchad et qui lui ont rendus un dernier hommage digne et à la hauteur de son rang et de sa mémoire.

Les oiseaux de mauvais augure et les faux prophètes qui ont prédit le chaos ont pu voir et comprendre dans cette ferveur et ce recueillement de la nation entière la grandeur du Tchad et la maturité du peuple tchadien. Nous devons continuer à faire preuve de responsabilité, de sagesse et de lucidité face à toutes les épreuves et à tous les obstacles. Comme le Maréchal du Tchad IDRISS DEBY ITNO ne cessait de le répéter, il n’y a pas un Tchad de secours ou un Tchad de substitution. Le Tchad est un, unique, indivisible, irremplaçable et inaltérable.
Pour notre part, nous pouvons vous assurer que le Conseil Militaire de Transition se battra corps et âme pour préserver et consolider tous les acquis de paix et de sécurité qui sont les fondements de cette Nation. C’est chaque jour que nous veillerons, sans relâche, à la préservation de la paix, de la stabilité, de la cohésion nationale et de notre souveraineté. La seule et unique raison d’être du CMT, c’est le Tchad, le Tchad éternel.
Mes chers compatriotes,
Nous en appelons, une fois de plus au sens de responsabilité de toutes les Tchadiennes et de tous les Tchadiens. Dans un sursaut patriotique, nous devons faire taire les rancœurs et les incompréhensions, transcender les intérêts égoïstes et surmonter les divisions pour se concentrer sur l’essentiel, l’intérêt supérieur du Tchad. Aucun État ne peut prospérer dans un environnement marqué par le désordre, l’anarchie et le chaos. Aucun pays ne peut avancer sur le chemin du progrès si la haine est le pain quotidien de ses filles et de ses fils.
C’est par l’amour, la fraternité, l’entente, le pardon et la tolérance que nous pourrons refonder notre pays et demain, léguer à la postérité et à nos enfants une nation, vivante, développée et respectée. Ce combat pour demain commence aujourd’hui. Et pour gagner ce pari, il faut absolument, impérativement et nécessairement une action collective et une contribution générale pour la paix, la paix des cœurs.
Nous en appelons à la participation et à la bonne volonté de tous les citoyens dans cette phase cruciale et historique de la vie de notre jeune Nation. Les femmes et les jeunes auront toute la place qui leur revient de droit. Le Conseil Militaire de Transition en appelle à une union sacrée autour de notre unique patrimoine qui est le Tchad. Tous nos compatriotes, en exil, pour une raison ou une autre et qui sont loin de leurs terres, doivent rentrer au pays pour le bâtir ensemble. Leurs frères, leurs fils, leurs parents les attendent comme nous les bras ouverts dans l’esprit de paix et de réconciliation. Nous devons être des citoyens pacifiques et trouver tous ensemble des solutions à nos dissensions pour surmonter nos défis communs.

Tchadiennes, Tchadiens
Mes chers compatriotes
Notre pays a, dans son histoire, connu tant de vicissitudes et d’épreuves. Dans les moments les plus critiques de son existence, le Tchad a toujours su trouver la force et la volonté pour ne pas flancher. Aujourd’hui et demain, plus qu’hier, nous devons rester forts, calmes et sereins car notre futur est plein d’espoir. Nous n’avons aucune raison de douter de notre pays et de ses enfants. Rien, absolument rien, si nous sommes unis et solidaires, ne pourra faire replonger le Tchad dans des moments de péril pour la Nation entière comme nous en avons vécu ces derniers jours.

Ayons simplement confiance en nous-mêmes et ayons foi en Dieu. Puisse Allah, le Tout-Puissant, combler de bénédictions notre pays et notre peuple.
Vive le Tchad éternel !
Je vous remercie.