Tigré. Abiy, sûr d’une victoire imminente, fait don de morceaux de territoire national à l’Érythrée et menace des «traîtres» étrangers non identifiés. (F. Beltrami)

Désormais, toutes les informations disponibles convergent sur une offensive imminente des troupes érythréennes et éthiopiennes au Tigré. L’espoir est d’obtenir une victoire définitive sur le rival politique : le Front Populaire de Libération du Tigré (TPLF) avant les élections fictives prévues pour le 21 juin prochain.
Cet espoir a été transformé par le prix Nobel de la paix Abiy Ahmed Ali en une certitude, déjà annoncée au monde entier avant même le démarrage des opérations militaires qui, selon des sources sud-africaines fiables, impliquent un usage massif d’armes chimiques. Dimanche dernier, 40 tonnes de produits chimiques au phosphore sont arrivées à Mekelle ou ils sont été temporellement stockées et surveillés par les militaires.

S’écartant de la propagande d’Abiy et de son parti, ironiquement appelé le Parti de la Prospérité, divers experts remettent en question les optimistes prédictions de victoire faites par le gouvernement central d’Addis-Abeba. La question cruciale qu’il faut se poser est de savoir si la cinquième offensive au Tigré parviendra à obtenir la victoire finale d’Abiy et d’Afwerki.

La situation actuelle des forces de défense du Tigré, qui au début du conflit (03 novembre 2020) comptait 250 000 hommes, est inconnue. On estime qu’au moins un tiers des soldats ont été tués ou grièvement blessés lors des affrontements qui ont eu lieu au cours de ces 7 mois de conflit. Cela expliquerait le recrutement massif de jeunes tigrinyas en place depuis mai dernier et favorisé par les crimes commis par les Erythréens et les fédérales éthiopiens sur la population civile.
Environ 70% des chars, de l’artillerie lourde et des unités mobiles de lancement de missiles sol-sol et sol-air auraient été détruits par des drones de combat des Emirat Arabes Unis qui mènent toujours des actions militaires (non déclarées et donc illégales) au Tigré. L’approvisionnement en armes et munitions de la parte l’Egypte et du Soudan resterait assuré même s’il rencontrait diverses difficultés. Notez que jusqu’à présent aucune preuve solide n’a émergé de l’implication de Khartoum et du Caire.

En revanche, entre 22 et 32 000 soldats fédéraux ont été tués ou grièvement blessés. Un coup dur pour l’armée fédérale, qui compte 162.000 hommes également engagés sur d’autres fronts, dont celui d’Oromia. Les soldats morts pendant le conflit seraient semblables aux meilleures unités de l’armée fédérale. Des soldats des milices régionales de défense des États d’Amhara, d’Oromia, de la Region des Nationalités et Peuples du Sud, de Gambella, de la Somali Region et de l’Afar seraient désormais employés. Ces milices intégrées à l’armée fédérale n’ont aucune expérience militaire et sont déjà utilisées comme force de choc et chair à canon dans les affrontements avec le TPLF. Les soldats fédéraux expérimentés en guerre opérant dans le Tigré ne dépasseraient pas 12 000.
L’armée érythréenne a également subi de lourdes pertes et est épuisée à la fois moralement (à défaut de vaincre le TPLF) et financièrement. Depuis mars dernier, le dictateur Afwerki envoie au front Tigrinya des jeunes lycéens âgés de 14 à 17 ans. En mai dernier, il a promulgué une amnistie totale aux criminels de droit commun, (meurtriers et violeurs qui se retrouvent en prison) en échange de leur service militaire au Tigré pendant au moins 6 mois. Des unités de combat composés uniquement de ces criminels de droit commun sont déjà arrivés à Mekelle prêts à participer à la “guerre finale”.

Les alliés d’Abiy (Afwerki et la direction Amhara) ont déjà reçu une partie de la compensation convenue pour leur soutien militaire au gouvernement central. Les forces de défense érythréennes ont tenu une réunion avec les habitants de Wukromaray, dans le centre du Tigré, le 2 juin 2021. Elles ont informé les habitants qu’elles seront désormais administrées par l’Érythrée. Une réunion similaire a eu lieu dans la ville de Selekleka.
Le gouvernement régional Amhara a annoncé hier que les zones frontalières du Tigré font désormais partie de l’État d’Amhara. Ils ont également annoncé une opération de colonisation dans ces régions. Ils prévoient des facilitations financières pour un demi-million d’Amhara qui ont décidé d’occuper les terres. “Il n’y a pas d’espace pour les Tigrinyas dans ces zones, qui font partie intégrante de la région d’Amhara”, ont déclaré les représentants administratifs Amhara.

Un autre “cadeau” fait par le Premier Ministre Abiy aux dirigeants Amhara est l’annulation des crimes de corruption, de fraude fiscale et financière contre l’État et la libération immédiate des prisons de 137 entrepreneurs et responsables gouvernementaux d’origine ethnique Amhara. Certains d’entre eux ont été condamnés il y a 6 ans par le gouvernement TPLF, d’autres sous l’administration Abiy entre 2018 et 2019 lorsque le Premier éthiopien a promu la campagne nationale contre la corruption. Aucune grâce n’a été accordée aux personnes coupables de crimes identiques d’origine tigrinya qui restent en prison.

Confiants d’obtenir la victoire finale sur le TPLF, pour contrebalancer la pression internationale, Abiy passe maintenant à des menaces. Lors d’une cérémonie d’inauguration à l’usine sucrière de Tana Beles, Abiy a lancé des menaces contre « les traîtres internes et externes ». Rappelant l’histoire des collaborateurs éthiopiens pendant l’occupation fasciste, Abiy a notifié l’identification de tous les « ennemis de la prospérité du pays ». Il a également parlé des étrangers qui travaillent pour empêcher l’Éthiopie de se tenir debout. “Les Éthiopiens devraient donner la priorité à se débarrasser des traîtres”, a déclaré le Premier Ministre, expliquant l’urgence de “se débarrasser” de ces traîtres pour réduire les attaques de la communauté internationale.

Fulvio Beltrami