Des photos de reporters flagellés par les talibans lors de la dure répression des récentes manifestations de rue circulent sur la toile – ces atrocités honteuses ne sont que la pointe de l’iceberg de ce qui afflige le monde médiatique afghan depuis quelques semaines.
Voici quelques histoires. « Il avait décidé de s’enfuir il y a six mois. Les talibans m’avaient menacé. Ma vie aurait été en danger si j’avais continué à être journaliste ». Fatima Sadat n’a que 26 ans et est journaliste à Tolo News à Kaboul depuis 5 ans. Il est venu au Pakistan pour se sauver, avec une délégation d’anciens dignitaires de son pays, grâce à une lettre d’invitation du gouvernement pakistanais à participer à un événement. Aujourd’hui, une nouvelle vie commence pour elle, en quête de travail et de sérénité après ce qu’elle a dû traverser ces derniers temps. Elle était satisfaite de son travail, mais fin mars quelqu’un lui a jeté une pierre, liée à ce message menaçant : «Vous êtes une femme musulmane, mais vous travaillez pour les infidèles, vous répandez de fausses nouvelles contre nous. Mais nous ne commettons aucune cruauté. Faisons notre devoir, combattons la guerre sainte ». Son père, souffrant pour elle, l’oblige aussitôt à quitter Tolo. Depuis lors, chez lui, il collectionne des newsletters écrites pour d’autres médias.
D’autre part, N. a longtemps été directeur d’un réseau de diffuseurs privés à travers le pays, basé dans la périphérie de Kaboul. Après la chute de la capitale, il réussit à s’embarquer avec sa famille pour les États-Unis.
S. était plutôt le directeur d’un journal pro-gouvernemental à Kaboul, qui a envoyé une liste de ses collaborateurs en Italie pour demander une protection pour eux. Le syndicat des journalistes italiens (Fnsi) a transmis les documents aux fédérations européennes et mondiales de journalistes mais aussi à la défense italienne. “Ma fille et moi avons été arrêtées par les talibans et battues”, a déclaré un journaliste qui a relaté les heures de ruée vers l’aéroport parmi les miliciens qui tentaient, à leur manière, de mettre de l’ordre dans la foule interminable.
Selon Reporters sans frontières, malgré les assurances des talibans que la liberté de la presse serait respectée et que les journalistes seraient autorisés à continuer de travailler, un paysage inquiétant se dessine, avec de mauvais épisodes impliquant des reporters afghans du 15 août à aujourd’hui. En particulier, sur les 510 femmes qui travaillaient pour de grands médias et groupes de presse, seules 76 (dont 39 journalistes) travaillent encore. Selon RSF, il y a donc un risque que des journalistes disparaissent. En 2020, plus de 1700 femmes travaillaient enfin pour les médias dans les trois provinces de Kaboul, Herat et Balkh mais la plupart des journalistes ont été contraints d’arrêter de travailler.
Le secrétaire général de RSF, Christophe Deloire, a lancé un appel aux talibans : « Les journalistes doivent pouvoir reprendre le travail au plus vite, sans être harcelés, car c’est leur droit le plus fondamental, c’est essentiel pour leur subsistance, et aussi parce que leur absence du paysage médiatique aurait pour effet de faire taire tous les Afghans ».
« Les talibans rassemblent les journalistes afghans maison par maison, selon une liste noire sur laquelle sont inscrites toutes les personnes soupçonnées de liens avec l’administration précédente ou les forces dirigées par les États-Unis. Ceci encore, comme il ressort du dernier rapport d’Easo, le Bureau européen d’appui en matière d’asile, sur l’évolution de la situation en Afghanistan, à partir des témoignages de journalistes et d’opérateurs de la zone. En parcourant le rapport, on apprend qu’il y aurait encore « un très grand nombre d’individus ciblés par les nouvelles autorités. Pour compléter cette liste noire, les talibans seraient en contact avec les mosquées locales et les commissariats pour recevoir des informations sur la population ».
Rien que le mois dernier, selon le rapport, plus de 100 médias ont cessé de fonctionner, des dizaines de télévisions et de radios ont interrompu leurs émissions ou ont été kidnappées par les talibans. La rare présence de la presse internationale ne rend accessible que quelques informations depuis les grands centres, tandis que les territoires plus périphériques sont restés « découverts » et donc de nombreux épisodes passent encore plus sous le radar.
Maria Anna Goni