Burundi. Agathon Rwasa. “Le dialogue avec l’UE risque de soutenir un régime qui tord le cou à ses citoyens” (Fulvio Beltrami)

Plus d’une semaine après l’interview diffusée par le chef de la junte militaire burundaise : le général Neva (alias Evariste Ndayishimiye) à RFI et France24, le principal opposant politique : Agathon Rwasa, leader du Comité National pour la Liberté CNL publie à son tour une interview avec Radio France International mettant en garde contre l’erreur grossière que pourrait commettre l’Union Européenne en abrogeant les sanctions imposées en 2016 au régime pour violations graves des droits de l’homme et crimes contre l’humanité. Agathon Rwasa prévient que la nature raciale et la violence politique/ethnique du régime persistent.

Agathon Rwasa (né en 1964) pendant la guerre civile (1993 – 2004) était l’un des deux chefs de guerre hutus qui ont combattu le gouvernement tutsi du président Pierre Buyoya. Sa milice (Front de Libération Nationale – FNL) tenait des positions plus extrémistes que celle de Pierre Nkurunziza. Après la paix Rwasa a déposé les armes devenant un leader politique de l’opposition à la tête de l’aile politique des FNL, abandonnant l’idéologie de la suprématie raciale et prenant ses distances avec l’aile armée des FNL qui a poursuivi la lutte armée du Congo voisin .

Prenant des tons modérés, il se convertit au christianisme en devenant pasteur de l’église protestante Born Again (Né de nouveau). En 2019, il a fondé le Conseil national pour la liberté – CNL, remportant les élections présidentielles de mai 2020. Les données provisoires reçues de 48% des sièges nationaux donnaient à Agathon Rwasa la tête avec 62% des voix. Le général Neva avait reçu un maigre 20%.

Le régime racial est intervenu en bloquant le décompte des voix. Au bout d’une semaine le régime a annoncé, lors d’une conférence électorale organisée à l’installation touristique d’un homme d’affaires italien amis du dictateur Pierre Nkurunziza, la victoire du général Neva avec 71,45% des voix. Rwasa a été récompensé de 25,15%.

Immédiatement après l’annonce, le régime a procédé à une escalade de la violence contre les militants et sympathisants du CNL, menaçant de mort Rwasa. Le leader de l’opposition est contraint à une vie quasi clandestine dans son pays, protégé par des gardes armés et constamment menacé par la junte militaire.

Malgré cela, Agathon Rwasa ne renonce pas à dénoncer les crimes contre l’humanité et à œuvrer pour un avenir différent pour le Burundi. Un avenir de paix, de démocratie, de respect de la dignité humaine, sans violence d’État et d’une société qui sait vaincre la haine ethnique inculquée par le dictateur Pierre Nkurunziza et maintenant par le général Neva.

Nous rapportons aux lecteurs l’interview donnée par Rwasa à Radio France Internationale.

INTERVIEW DE RFI AVEC LE CHEF DE L’OPPOSITION AGATHON RWASA.

RFI : Une année après l’élection de 2020 qui a porté à la tête de l’État burundais le général Évariste Ndayishimiye, le pays est en train de sortir de son isolement. C’est, aux yeux des autorités burundaises, le signe que le pays a déjà tourné la page de la crise de 2015 -c’est ce qu’ils disent- quelle est votre avis ?

Agaton Rwasa : Mon avis est que la crise de 2015 perdure, parce que la répression et la persécution de l’opposition battent toujours leur plein. L’enjeu étant que, pour se maintenir au pouvoir, il faut entretenir une violence d’État.

RFI : À ce propos, justement, le président Ndayishimiye a engagé un dialogue politique avec l’Union européenne, en vue de la levée des sanctions budgétaires qui ont été prises au plus fort de la crise. Qu’est-ce que vous attendez de ce dialogue ?

Agaton Rwasa : Oui, c’est à encourager… Mais on se pose la question de savoir quelle sera l’aboutissement, lorsqu’il n’y a pas de dialogue entre les Burundais eux-mêmes. Nous avons peur que la résultante de ce dialogue entre l’Union européenne et le Burundi ne risque de devenir ou de soutenir un régime qui tord le cou à ses citoyens.

RFI : Selon vous, en l’état, est-ce l’Union européenne doit lever ou maintenir les sanctions contre le gouvernement du Burundi ?

Agaton Rwasa : Si les sanctions ont été prises pour des raisons liées à la violation des droits de l’homme, qu’est-ce qui se passe actuellement lorsque les disparitions sont toujours monnaie courante… Les gens sont tués ici et là comme si de rien n’était et sans qu’il n’y ait justice pour les victimes.

RFI : Le Burundi a été classé pays le plus pauvre du monde en 2020, selon la Banque mondiale. Les chiffres que le président Évariste Ndayishimiye a balayé d’une main, en dénonçant une manipulation par les détracteurs du pays. Que lui répondez-vous ?

Agaton Rwasa : Si les chiffres placent le Burundi dernier, il faudrait les réfuter par des chiffres. Je me dis que, si le général Ndayishimiye pouvait se mettre dans la peau des citoyens Lambda, il aurait tourné la langue deux fois, trois fois – je ne sais pas combien de fois – avant de répondre à cette question. En fait, lui il a tout, il n’a aucun souci… Cependant, deux millions de Burundais croupissent dans une misère abjecte.

RFI : L’une des exigences de l’Union européenne, c’est le respect des droits de l’homme. Est-ce que, selon vous, la situation a évolué dans le bon sens, depuis une année que le général Évariste Ndayishimiye est au pouvoir ?

Agaton Rwasa : Pas du tout. La situation n’a pas du tout évolué dans le bon sens et le général Ndayishimiye le sait très bien. Dans une lettre que lui a adressée la Ligue Iteka – une ligue des droits de l’homme -le 18 juin dernier, il est fait mention de 554 tués, dont 250 cadavres retrouvés ici et là et enterrés à la va-vite, sans enquête, ni identification des victimes depuis qu’il est au pouvoir. De plus, Ndayishimiye, dans sa gestion de la chose publique, discrimine le parti du CNL, comme si on n’était pas des Burundais comme les autres.

RFI : Interrogé sur les arrestations arbitraires qui viseraient les militants de votre parti, le CNL, Évariste Ndayishimiye a expliqué qu’il faut plutôt parler de criminels qui se cachent derrière les partis politiques. Quelle est votre réaction ?

Agaton Rwasa : Les pseudo-criminels, militants et sympathisants, ainsi que tous citoyens qui sont victimes des abus et qui disparaissent comme ça, cache très mal le sadisme et le cynisme de celui qui a tenu ces propos. Quand bien même le président est le magistrat suprême de par la Constitution, il ne devrait pas oublier que tout citoyen a droit à un procès équitable devant les juridictions compétentes. Or, tous ceux qui disparaissent ne comparaissent nulle part. Ils sont arrêtés, certains au grand jour, d’autres dans des circonstances obscures et par des personnes non habilitées, et on ne les retrouve plus. Donc, dire que ce sont des criminels, alors que la culpabilité n’a pas été établie par une cour ou un tribunal, c’est quand même quelque chose de révoltant !

RFI : Le Burundi est également pointé du doigt pour un niveau de corruption très élevé. A ce propos, Évariste Ndayishimiye a déjà pris quelques mesures, des mesures qui ont été saluées. Mais la société civile s’est inquiétée du fait que, ceux qui sont arrêtés pour corruption, sont ensuite relâchés, après avoir payé les sommes qu’on leur réclame dans des circonstances plutôt opaques. C’est ce que Ndayishimiye a confirmé sur RFI. Quel est votre avis ?

Agaton Rwasa : Nous semblons plutôt assister à une scène où nous avançons d’un pas, alors qu’on recule de deux pas. Pourquoi est-ce que le général Ndayishimiye a cautionné la violation de la Constitution de la République du Burundi, notamment en ses articles relatifs à la déclaration de patrimoine ? Lui-même n’a pas fait cette déclaration, alors que c’est une exigence constitutionnelle. Et plus tard, il a dit que le patrimoine de tout un chacun est un secret et que cela n’avait aucun sens que les uns et les autres déclarent le patrimoine. C’est une exigence constitutionnelle. Il est le garant de la Constitution et des lois burundaises. Pourquoi il est le premier à violer cela et dire maintenant qu’il va combattre la corruption ? Comment est-ce que l’on va savoir si la richesse de tel ministre est une richesse qu’il a acquis honnêtement ou pas ?

Violences d’État enregistrées au Burundi entre le 5 et le 21 juillet 2021 selon les enquêtes de l’association SOS Burundi (www.sosmediasburundi.org)

Attentats à la bombe dans la ville de Bujumbura. Embuscades armées contre des commerçants et des civils menés par les milices paramilitaires de la junte : les Imbonerakure sur la route de Rutegama, province de Muramvya, centre du pays. Dix victimes.

Enlèvement de 8 militants du parti d’Agathon Rwasa, le CNL.

Enlèvement et assassinat d’Elie Ngomirakiza, haut responsable du CNL.

Agression d’Emmanuel Ndezwenimana membre du CNL dans la commune de Bugenyuzi par les miliciens Imbonerakure.

Viol aggravé par les tortures et violences d’une paysanne de dix-huit ans par Monsieur Agricole Ndayitwayeko, soixante ans, Procureur de Bururi (sud du Burundi), membre du parti au pouvoir CNDD-FDD.

Violences et vols contre les réfugiés de retour de la Tanzanie voisine.

Trente jeunes tutsis enlevés lors d’une rafle conjointe de la police politique et des miliciens Imbonerakure dans le quartier Jabe de Bujumbura.

Dernier acte criminel enregistré le mardi 21 juillet. Bujumbura. Arrestations arbitraires de 10 Tutsis de 70 ans propriétaires de biens immobiliers ou de terres agricoles. Les victimes avaient signalé le 18 juillet à la police et au tribunal le non-paiement de 14 mois de loyer par des militants du parti au pouvoir : CNND-FDD.

Les enlèvements de jeunes tutsis s’inscrivent dans une politique spécifique d’épuration ethnique visant à éliminer la minorité Tutsi ou à la contraindre à l’exil afin de créer un pays mono ethnique. Les arrestations arbitraires de propriétaires de biens immobiliers ou de terres agricoles visent à parachever l’exclusion économique de la minorité tutsi en s’appropriant de force leurs propriétés et leurs activités commerciales et productives.

 

 

 

Fulvio Beltrami