Au Burundi, l’opposition armée est-elle à nouveau active? (Fulvio Beltrami)

Des rapports du Burundi indiquent qu’un groupe armé inconnu a tendu une embuscade et tué 12 personnes blessant beaucoup d’autres dans la province de Muramvya, au centre du Burundi. L’embuscade est arrivée dimanche soir vers 19h30 près d’une antenne de la Croix-Rouge sur l’axe très fréquenté Gitega-Bujumbura. La dynamique de l’embuscade et des personnages tués suggère qu’il s’agissait d’un plan militaire et non d’un simple phénomène de banditisme comme la junte militaire au pouvoir s’est empressée de l’affirmer après que la nouvelle a été reprise par RFI (Radio France International) et TV5Monde.

Parmi les personnes tuées se trouvait le Lieutenant Onesphore Nizigiyimana, un officier supérieur de l’armée burundaise qui a servi en Somalie au sein des forces africaines de l’AMISOM combattant les terroristes d’Al-Shaabab. Sa fille a également été tuée tandis que sa femme et un autre enfant ont été blessés. Un membre du personnel de la Banque Centrale du Burundi a également été tué. Cinq blessés graves ont été évacués vers l’hôpital de Muramvya. D’autres blessés, dont le nombre n’a pas encore été déterminé, ont été transférés à Bujumbura.
Dans un tweet rédigé en langue nationale (kirundi), le Général Neva (alias Évariste Ndayishimiye) actuellement à la Présidence, évoque un acte de brigands. «Les brigands ont de nouveau fait pleurer le Burundi. Il est impossible que les crimes ne se produisent pas, mais malheur à celui qui les commet. Tous les réseaux criminels doivent être démantelés. Nous adressons nos condoléances aux familles touchées ».

L’embuscade a lieu moins d’un mois après une attaque perpétrée par des hommes armés à Rusaka dans la province de Mwaro, qui a fait 7 morts et 3 blessés, confirmant une montée de l’insécurité au moment même où la junte militaire de Gitega a proclamé le rétablissement de la paix tout au long de le pays et le retour à la normale après la «parenthèse» des soulèvements populaires liés au troisième mandat illégal de l’ancien dictateur HutuPower Pierre Nkurunziza décédé de Covid19 en juin 2020. L’état actuel d’insécurité donne raison aux réfugiés burundais qui en Tanzanie résistent à la tentative des autorités de Dodoma de les rapatrier.

D’autres signes de l’insécurité qui règne en maître dans le pays sont la violence croissante du régime. Le dernier rapport de la Ligue ITEKA a enregistré 49 exécutions extrajudiciaires depuis le début de l’année, dont 9 femmes et 14 mineurs. Les personnes ciblées sont principalement des militants du parti d’opposition CNL dont le chef Agathon Rwasa est considéré comme le véritable vainqueur des élections de mai 2020. La Ligue ITEKA identifie les miliciens Imbonerakure, la police et les services secrets comme responsables. Selon l’ONG burundaise, le nombre de victimes civiles du régime augmentera au cours des prochains mois.

Pour mettre fin à cette vague de violations des droits de l’homme, la Ligue ITEKA appelle le régime burundais à jouer pleinement son rôle en renforçant la protection des citoyens et en leur permettant de jouir pleinement de leurs droits et libertés publiques. Il appelle également les partenaires burundais à user de leur influence pour forcer le gouvernement burundais à restaurer l’état de droit. A la Communauté de l’Afrique de l’Est (CAE), la Ligue des droits de l’homme demande à être pleinement impliquée dans la restauration d’un espace démocratique au Burundi.
Le rapport publié par la Ligue ITEKA s’inscrit dans le cadre de la bataille politique engagée par diverses associations de défense des droits de l’homme et par plus de trente eurodéputés opposés à la décision prise par l’Union Européenne de normaliser les relations avec la junte militaire après l’application des sanctions en 2016 en raison de graves violations des droits humains qui ont eu lieu entre 2015 et 2016. Des violations qui se poursuivent à ce jour. Le président de la Ligue Iteka estime que “l’UE ne doit pas sacrifier les droits de l’homme au profit des relations diplomatiques”.

Les sanctions de l’UE contre le Burundi, y compris la suspension de toute aide directe au gouvernement en mars 2016, ont porté un coup dur à l’economie burundaise qui a soudainement perdu son principal donateur. Cela a conduit le pays à perdre 430 millions d’euros, qui devaient être accordés au titre du 11e Fonds Européen de Développement (FED), un programme qui devait s’étendre de 2014 à 2020. Un ambassadeur africain a déclaré à l’Agence de Nouvelles de l’Afrique Central que le CNDD-FDD (Conseil National pour la Défense de la Démocratie – Forces pour la Défense de la Démocratie) a cruellement besoin d’argent européen pour survivre. Les conditions économiques dans le pays sont catastrophiques.

Comme ce fut le cas lors de l’attaque précédente de Rusaka, aucune allégation n’a été faite concernant l’embuscade de Muramvya. Dans le même temps, il y a des rumeurs sur la présence d’une concentration de forces rebelles burundaises dans la province de Sud Kivu, Congo à la frontière avec le Burundi. Il s’agit de RED Tabara, FOREBU et FNL (Forces de Libération Nationale). Ces forces rebelles étrangères ne craindraient aucun ennui car l’offensive contre les forces négatives ordonnée par le président Félix Tshisekedi ne concerne pas actuellement la province du Sud-Kivu.

La réorganisation de l’opposition armée burundaise a été rendue possible grâce à la décision prise par le président congolais Tshisekedi le 2 mai 2020 d’ordonner à son homologue burundais de retirer immédiatement ses soldats de la province du Sud-Kivu. À l’époque, le dictateur burundais Nkurunziza avait adopté la stratégie militaire consistant à déplacer le conflit avec l’opposition armée du Burundi vers le voisin Sud-Kivu, Congo. Des militaires des FDNB (Forces de Défense Nationale du Burundi) se sont livrés à des affrontements sur le territoire d’Uvira et dans la plaine de Ruzizi pour empêcher les rebelles burundais de se regrouper en prévision d’une invasion du Burundi. A l’appui des soldats burundais se trouvaient les miliciens Imbonerakure et les terroristes rwandais FDLR.

Suite à cette demande (sagement acceptée par le régime burundais), le président Tshisekedi s’est rendu à Bujumbura pour rencontrer le dictateur Nkurunziza pour lui proposer une médiation entre les opposants et le régime. Cette proposition a été rejetée par l’intransigeance du dictateur burundais qui a exaspéré le chef de l’Etat congolais jusqu’à son départ soudain, interrompant la visite officielle qui devait durer deux jours. À l’époque, des sources diplomatiques rapportaient que Tshisekedi avait menacé le dictateur burundais de l’évincer.

Une deuxième cause de friction entre le président Tshisekedi et le général Neva et le maréchal Bunyoni est survenue après la mort de Nkurunziza en octobre 2020, lorsque le Burundi a déserté le sommet de Goma pour discuter de la résolution de l’insécurité dans l’est du Congo. Le sommet a été suivi par les présidents angolais João Lourenço, le rwandais Paul Kagame et l’Ougandais: Yoweri Kaguta Museveni. Le sommet a traité du problème représenté par le groupe terroriste rwandais FDLR, principal allié politique et militaire du régime burundais.

La dernière action militaire au Burundi de l’opposition armée burundaise, principalement soutenue par le Rwanda et le Congo, a eu lieu en janvier dernier lorsque de violents combats entre l’armée et les rebelles RED Tabara ont éclaté dans la ville de Nyamuzi, province de Cibitoke. Les combats devaient être le prélude à une offensive militaire rebelle sur Gitega et Bujumbura, qui ne s’est jamais concrétisée.

Fulvio Beltrami