Congolais – Rwanda. Un tournant historique pour la paix dans les Grands Lacs (Fulvio Beltrami)

Le samedi 26 juin à Goma, chef-lieu de la province du Nord-Kivu, au Congo, a eu lieu un tournant historique pour la paix dans les Grands Lacs qui a mis fin à 27 ans de conflit entre la République Démocratique du Congo et le Rwanda.

Lors des rencontres bilatérales à Goma, les Présidents Félix Antoine Tshisekedi Tshilombo et Paul Kagame ont esquissé une feuille de route pour une paix durable qui résout la cause principale du conflit : l’exploitation des ressources naturelles présentes en quantités anormales dans les provinces orientales du Congo frontalières du Rwanda, du Burundi et Ouganda.

Après le tête-à-tête historique entre Félix Tshisekedi et Paul Kagame, les Ministres respectifs ont signé trois accords. Le premier concerne la promotion et la protection des investissements. La seconde est une convention visant à éviter la double imposition des taxes douanières et l’évasion fiscale. Le troisième est un protocole d’accord sur l’exploitation aurifère entre la société congolaise SAKIMA et une société rwandaise de droit privé. La réunion s’est terminée par la cérémonie de signature des accords.

Le conflit entre les deux pays est né après le génocide au Rwanda en 1994, lorsque les forces génocidaires Hutu ont traversé la frontière avec le Zaïre (aujourd’hui RDCongo) grâce à un accord secret entre le président français François Mitterrand et le dictateur congolais Mobutu Sese Seko Kuku Ngbendu wa Za Banga.

L’entrée des forces génocidaires au Zaïre crée en effet la poursuite de la guerre civile rwandaise au Congo qui s’étendra progressivement au Burundi. De 2014 à 2015, les forces génocidaires hutu ont tenté à plusieurs reprises de reconquérir le Rwanda soutenu par le Zaïre et la France. En 2016, le Rwanda à la tête d’une coalition de pays africains : l’Angola, le Burundi, l’Éthiopie et l’Ouganda envahissent le Zaïre, destituent le dictateur Mobutu et installent à la présidence un ancien guérillero marxiste : Laurent Désiré Kabila qui dans les années 1960 avait combattu aux côtés de Che Guevara après l’assassinat orchestré par la CIA et la Belgique du Premier Ministre Patrice Lumumba.

La paix dure moins d’un an. Les intérêts miniers et idéologiques de la France, de l’Angola, des Etats-Unis, du Zimbabwe, du Rwanda, de l’Ouganda, de la Grande-Bretagne entrent en jeu. Il y a ceux qui veulent profiter de la faiblesse du nouveau gouvernement de Desirè Kabila et ceux qui veulent régler  leurs comptes avec Kigali et remettent au pouvoir les forces HutuPower qui avaient commis le génocide.

En 1997, la Seconde Guerre Panafricaine éclate au Congo, impliquant 8 pays africains et, indirectement, la France, les États-Unis et la Grande-Bretagne à l’époque engagés dans des guerres par procuration pour le contrôle des ressources naturelles du continent africain. La guerre durera jusqu’en 2004. En 2000 la France crée le groupe terroriste FDLR (Forces Démocratiques de Libération du Rwanda), rassemblant ce qui restait des forces génocidaires Hutu pour l’opposer au Rwanda. En 2001, les deux alliés (Rwanda et Ouganda) se sont affrontés dans la ville congolaise de Kisangani, la détruisant. On s’en souviendra comme de la “guerre des six jours”. L’affrontement tourne autour du contrôle des minerais congolais.

En 2005, les accords de paix de Lusaka en Zambie entrent en vigueur. Cette paix aussi aura le souffle court. Les puissances africaines épuisées par deux guerres panafricaines décident de promouvoir une opération de déstabilisation dans la partie orientale du Congo où se concentrent les mines d’or, de coltan, de cuivre et de diamants. Chaque nation finance des groupes terroristes et pille le Congo. Des multinationales françaises, américaines, allemandes, britanniques et belges participent au banquet.

Les provinces de l’Est du Congo connaîtront deux rébellions fomentées par le Rwanda et une instabilité permanente causée par la naissance de 40 groupes armés étrangers et congolais. Les FDLR prospéreront jusqu’à occuper des territoires riches en minerais aussi vastes que celui de la France. On estime à 1 million le nombre de morts parmi les civils congolais entre 2005 et 2020.

De 2001 à 2019 la dictature du Joseph Kabila Kabange, fils de Laurent Desirè Kabila s’est instaurée au Congo. Au Burundi en 2005, le seigneur de guerre Pierre Nkurunziza, affilié aux terroristes rwandais des FDLR, prend le pouvoir. En 2015, suite à la volonté d’accéder à un troisième mandat présidentiel, Nkurunziza va déchaîner l’enfer sur la population qui s’oppose et veut la démocratie en tuant des dizaines de milliers de personnes et en instaurant la terreur. En juin 2020, Nkurunziza est « liquidé » par ses propres acolytes et une junte militaire dirigée par deux dirigeants antagonistes HutuPower s’installe au pouvoir : le Général Neva (alias Evariste Ndayishimiye) et le Général Alain-Guillaume Bunyoni. Dans la même période, nous assistons à l’escalade de la guerre froide entre l’Ouganda et le Rwanda qui risque un conflit ouvert.

C’est le résumé de la situation compliquée de la région des Grands Lacs qui semblait destinée à durer éternellement au détriment des populations, torturées, exploitées et massacrées. Le vent du changement arrive en mars 2017 lorsque Pape François a rencontré le Président Paul Kagame au Vatican, admettant les péchés de l’Église Catholique lors du génocide de 1994 et promettant un engagement total pour la réconciliation des peuples, la paix entre les nations et l’intégration économique dans la Région des Grands Lacs.

C’est la conviction de divers experts africains que la diplomatie du Vatican a contribué de manière significative au projet de paix régional. Il n’y a pas assez d’éléments pour considérer ces hypothèses fondées mais des événements impensables se sont produits depuis mars 2017.

Le régime de terreur mis en place par Joseph Kabila tombe et Félix Tshisekedi, un leader africain à l’éducation européenne, profondément attaché aux valeurs de démocratie et de respect des droits humains, entre à la présidence.

Un long processus de pacification entre la France et le Rwanda s’engage également, culminant avec la visite du président Emmanuel Macron à Kigali en mai dernier. Les éléments « conservateurs » de l’Église Catholique dans la région des Grands Lacs, qui encadrent la haine entre hutu tutsi, sont progressivement remplacés par des prêtres fidèles à l’engagement de paix promis en mars 2017. Les terroristes rwandais des FDLR perdent progressivement le pouvoir jusqu’à entrer en guerre avec l’armée congolaise. Un conflit en cours voulue par Tshisekedi pour stabiliser l’est du pays.

Les préparatifs de paix entre le Congo et le Rwanda ont commencé fin janvier lorsque le ministre rwandais du Commerce et de l’Industrie Soraya Hakuziyaremye a rencontré le président Felix Tshisekedi pour discuter du commerce entre les deux pays. En mars, un accord de collaboration militaire est signé entre le Congo et le Rwanda.

La rencontre historique de Goma qui met fin à toutes les guerres entre les deux pays en inaugurant une ère de paix et d’intégration entre les peuples coïncide avec l’annonce par l’East African Community (EAC) que la demande déposée en juin 2019 par le Congo de devenir le septième État membre, il a été accepté et les procédures de sa mise en œuvre commencent. L’EAC est l’expérience de blocus économique régional la plus réussie en Afrique. Ses États membres sont : le Burundi, le Kenya, le Rwanda, le Soudan du Sud, la Tanzanie et l’Ouganda.

Le chemin vers une paix définitive dans les Grands Lacs est encore long. La première pierre a été posée à Goma. Maintenant, il y a à nettoyer l’est du Congo de la myriade de groupes armés qui l’infestent. Vaincre les terroristes rwandais des FDLR, forcer la junte militaire du Burundi à emprunter la voie de la démocratie et du respect des droits de l’homme ou, à défaut, la chasser par la force. Malheureusement, davantage de sang coulera encore dans la région avant que la paix et l’intégration entre les peuples puissent être réalisées de manière définitive et irréversible.

Nous concluons en rapportant les propos tenus par le Président congolais Félix Tshisekedi lors de la rencontre historique avec le Président rwandais Paul Kagame à Goma le samedi 26 juin 2020.

« Depuis que j’ai pris la tête de l’État de la République Démocratique du Congo, j’ai réalisé que nous avons perdu trop d’années à vivre nous regardent comme des chiens en colère, à vivre dans des situations de tension, à se faire la guerre et à partager la haine. C’est assez! Le moment est venu de vivre le partage de la paix, de l’amour et du commerce entre nos deux pays.

Ces accords signent la volonté de paix, de fraternité et d’amour entre nos pays. Je dis cela en présence du Président Paul Kagame. Ces accords ne sont pas des fins en soi. Ils sont qu’un début. Je suis heureux car ces accords font partie de mon projet politique de paix avec nos 9 voisins. Nous avons plus à gagner dans un projet régional commun plutôt que de ne pas nous faire confiance ».

Fulvio Beltrami