Guerre en Ukraine : le “Format Normandie” soutenu par le Pape

Séparatistes pro-Russes quittant leurs positions près de Donetsk, le 3 octobre 2016. (Photo credit: ALEKSEY FILIPPOV/AFP/Getty Images)

Ce lundi 9 décembre, une réunion entre les présidents ukrainien, russe, français et la chancelière allemande, connue sous le nom de “Format Normandie”, se tiendra à Paris. Une rencontre pour chercher une solution au douloureux conflit en cours depuis déjà des années dans l’est de l’Ukraine.

J’accompagne cette rencontre, a déclaré le Pape François après la prière de l’Angélus ce 8 décembre, d’une prière intense et je vous invite à en faire autant, afin qu’une telle initiative de dialogue politique puisse contribuer à apporter des fruits de paix et de justice à ce territoire et son peuple.”

Pour aller plus loin, voici un extrait de l’article “Accord sur l’Ukraine: un bluff ou un pas vers la paix?” de Maurizio Vezzosi – Atlante Treccani – 10 octobre 2019 :

En Ukraine, même si son intensité est moindre, une guerre ininterrompue se poursuit depuis déjà cinq ans dans la région orientale du Donbass, entre l’armée de Kiev et les rebelles des provinces de Lugansk et Donetsk soutenus par Moscou. Les accords conclus à Minsk, ainsi que les sommets internationaux du dénommé “Format Normandie” (France, Allemagne, Ukraine, Russie) qui ont eu lieu pendant des années, ont eu pour effet de geler le conflit sans pour autant réussir à résoudre réellement la problématique guerrière et à clarifier les perspectives politiques de la région.

Le parcours initié par le nouveau président ukrainien Volodymyr Zelenskij, mais surtout l’attitude du président américain Donald Trump dans la politique extérieure, semblent avoir contribué à adoucir la position jusqu’au-boutiste de Kiev, rendant ainsi crédibles les négociateurs de Moscou; ces derniers qui ont repris du poil de la bête après les négociations qui ont mené à un échange de prisonniers entre les parties. Bien peu d’observateurs ont souligné que la majorité des prisonniers relâchés par Kiev, et qui avaient combattu dans les rangs des rebelles du Donbass, sont en tout points citoyens ukrainiens. Un élément qui confirme la nature du conflit commencé en Ukraine en 2014 : une guerre civile qui a fait 13 000 morts.

Avec une politique étrangère nettement différente de celle dont Donald Trump tente de se faire l’interprète, l’administration Obama a été le premier soutien-clé des protestations anti-russes de Maidan, déclencheur des événements qui menèrent, en février 2014, à la destitution du président ukrainien Viktor Janukovič.

Alors que ces événements, qui avaient pour protagonistes les présidents Trump et Zelenskij, en plus de Joe Biden, vice-président de l’administration Obama par ailleurs candidat démocrate à la Maison-Blanche, risquaient de provoquer la mise en accusation du président américain, la validation de la “formule Steinmeier”, du nom de Frank-Walter Steinmeier, l’ancien ministre allemand des Affaires étrangères aujourd’hui président de l’Allemagne, avait été saluée par Moscou comme par les Français et les Allemands. Même Trump, pour sa part, lors de sa récente rencontre avec le président Zelenskij, lui avait, sans trop de détour, suggéré de négocier avec Moscou pour résoudre la question du Donbass.

La “formule Steinmeier” se manifeste dans la mise en oeuvre de la seconde session des accords de Minsk et prévoit l’organisation d’élections dans les zones de Lugansk et Donetsk sous le contrôle des rebelles soutenus par Moscou à condition que les troupes des deux camps se retirent de la zone.

Le scrutin devrait avoir lieu sous la supervision de l’OSCE (L’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe) et selon la juridiction constitutionnel ukrainien, et devrait, en théorie, ouvrir la voie à la reconnaissance du statut de région autonome de la part de Kiev.

La proposition de Steinmeier oublie pourtant de clarifier de nombreux aspects fondamentaux, comme par exemple celui sur le contrôle militaire des régions de Lugansk et Donetsk dans la cas où Kiev leur accorderait l’autonomie. De même, le destin des industries et des mines du Donbass, dont la propriété a été partagée depuis le début du conflit entre oligarques ukrainiens, insurgés et Kremlin, apparaît aussi peu clair.

D’après l’accord signé par le groupe de contact le 1er octobre dernier, l’armée ukrainienne aurait du retirer ses troupes des villages qui se situent sur le front dans le Donbass, et où se trouvent certaines de ses positions. Pourtant, selon son chef de la diplomatie Vadim Pristaiko, Kiev a fait savoir que le retrait des troupes sur les front débutera “une semaine après le début d’un réel cessez- le-feu”.

La position hésitante de l’armée ukrainienne semble destinée à gagner du temps, surtout concernant le problèmes des formations paramilitaires qui appuient ou ont appuyé l’armée régulière.

Entre temps, les franges extrémistes du nationalisme ukrainien et les organisations neonazis se sont montrées très contrariées par l’élection de  Zelenskij comme par la validation par la présidence de la “formule Steinmeier”.

Dans un message vidéo ces dernières semaines, le commandant de bataillon néonazi Azov, Andrej Biletsk, en a synthétisé le point de vue : “Si le devoir fondamental de défendre chaque centimètre de territoire ukrainien n’est pas mené à terme par le président, nous, volontaires et vétérans, le ferons nous, encore une fois”. 

Malgré leur poids insignifiant dans les élections, les groupes néonazis ukrainiens ont pu jusqu’à aujourd’hui compter sur un grand nombre de financements et d’armes: un élément bien peu pris en compte dans les hypothèses de paix et de stabilité. 

Aujourd’hui, la “formule Steinmeier” et ses hypothèses géopolitiques préfigurent un “scénario bosniaque” pour l’Ukraine : une force armée unie à deux armées, un nombre important de citoyens à double passeport (russe et ukrainien) et une accumulation d’influences externes qui de fait, ne ferait pas de l’Ukraine un pays de l’OTAN. Une hypothèse qui, outre les problématiques la concernant, signerait sans doute le succès stratégique de Moscou.

Maurizio Vezzosi pour Atlante Treccani