La violence au Burundi et les exécutions extrajudiciaires augmentent alors que l’UE se prépare à reprendre l’aide économique à la junte militaire (Fulvio Beltrami)

«Si la justice injuste de Gitega ne veut pas rendre compte de l’équité de notre approche, le jugement de l’histoire sera toujours valable. J’ai servi mon peuple. Je veux être jugé sur mes actions. Vive le Burundi libre, vive le peuple burundais libre, vive les accords d’Arusha, vive l’État de droit et la démocratie ».
Telles sont les paroles prononcées par le Général de division Cyrille Ndayirukiye lors du procès-spectacle du régime HutuPower en janvier 2016 où il a été condamné à la prison à vie pour avoir participé à la tentative de coup d’État contre le dictateur Pierre Nkurunziza qui a eu lieu en mai 2015. Le Général Ndayirukiye est mort samedi 24 avril dans sa prison de Gitega dans des circonstances mystérieuses. Selon la version fournie par le régime, le détenu a été victime d’une paralysie qui a conduit à sa mort vers 15h40 le 24 avril.
L’opposition et la société ont des doutes fondamentaux sur le fait qu’il s’agit d’un assassinat d’État. Selon des sources diplomatiques africaines, le Général Ndayirukiye a été assassiné pour se venger du refus du Rwanda de remettre aux autorités burundaises le Général Godefroid Nyombare, l’officier hutu qui a dirigé la tentative de coup d’État contre le dictateur Pierre Nkurunziza en mai 2015. Le Général Ndayirukiye (Tutsi) était son commandant en second. Le Général Nyombare, également condamné à la réclusion à perpétuité, est en exil à Kigali, placé à la tête de la coalition des groupes armés d’opposition: FOREBU, RED Tabara et FNL qui combattent le régime CNDD-FDD HutuPower depuis 2015.
Le coup d’État de mai 2015 était une tentative de ramener le Burundi sur la voie de la démocratie et de la liberté suite à la volonté du dictateur Pierre Nkurunziza de considérer nul et non avenu les accords de paix d’Arusha (2000) qui ont mis fin à la guerre civile qui a débuté en 1993 à la suite de la mort du président hutu Melchiorre Ndadaye, tué par des officiers tutsis qui craignaient la préparation d’un génocide contre la minorité tutsie. À cet égard, les historiens n’ont pas encore été en mesure de trouver des preuves permettant de confirmer ou d’infirmer ces craintes. Le seul fait certain est que le génocide a été perpétré un an plus tard au Rwanda par les mêmes forces politiques (HutuPower) auxquelles appartenait le président Ndadaye.
L’annonce de Nkurunziza selon laquelle il voulait accéder à un troisième mandat présidentiel en piétinant les accords d’Arusha et la Constitution a suscité de nombreuses protestations populaires. Confrontés à la répression sanglante des manifestants avec un recours intensif aux milices burundaises Imbonerakure (branche jeunesse du parti au pouvoir) et aux terroristes rwandais des Forces Démocratiques de Libération du Rwanda (FDLR), Nyombare et Ndayirukiye, ainsi que d’autres officiers supérieurs de l’armée, ils ont tenté un coup d’État pour renverser le dictateur et restaurer la démocratie au Burundi.
Le coup d’État a été interrompu en raison d’une trahison interne aux Généraux putschistes. L’argent pour acheter les traîtres a été mis à disposition par l’Ouganda, selon des enquêtes récentes sur les événements. Diverses sources affirment que le président ougandais Yoweri Kaguta Museveni a joué un rôle de premier plan dans la défaite du coup d’État en solidarité avec le dictateur burundais, utilisé par Kampala dans une clé anti-rwandaise.
«La décision de renvoyer Pierre Nkurunziza avec les armes est née de la nécessité d’arrêter le bain de sang promu par le régime contre la population protestataire. Lorsque nous sommes intervenus le 13 mai 2015, le peuple burundais avait subi beaucoup de pertes lors des manifestations pro-démocratiques.
Des militants et des citoyens ordinaires sont tombés comme des mouches sous les balles de policiers, de terroristes FDLR rwandais déguisés en faux policiers et de miliciens Imbonerakure. Le droit de manifester a été manifestement réprimé dans le sang au profit exclusif du chef de guerre Nkurunziza et de sa clique CNDD-FDD. Nous avons agi pour défendre le respect des accords de paix d’Arusha et de la Constitution. Nous avons essayé de défendre la population et sa volonté d’organiser des élections libres et démocratiques. ” Le Général de division Cyrille Ndayirukiye a expliqué lors du procès-spectacle de 2016.
Né à Kiganda le 8 juillet 1954 (Muramvya), Cyrille Ndayirukiye était un digne officier de haut rang de l’armée burundaise, connu pour sa défense inconditionnelle de la démocratie, de la paix et de la cohésion sociale capable de surmonter les divisions artificielles entre groupes ethniques (Hutu Tutsi) créé par le régime Nkurunziza pour mieux régner.
Ndayirukiye faisait partie de la 10e promotion de l’ISCAM, l’Institut Supérieur des Cadres Militaires; la plus haute académie militaire du pays. Grâce à ses qualités humaines et ses valeurs intrinsèques, il a connu une brillante carrière militaire. Commandant du centre d’entraînement militaire de Bururi de 1985 à 1986; commandant de la 4e région militaire, conseiller principal auprès du ministère de la Défense et des Anciens combattants, chargé des affaires diplomatiques; Ministre de la Défense nationale: attaché militaire de l’ambassade du Burundi en Belgique et en Ethiopie; Directeur d’Easbricom, un mécanisme de coordination de la brigade en attente de l’Afrique, il a été condamné à la prison à vie en janvier 2016 et interdit d’exercer des fonctions publiques pendant 10 ans à la suite de la tentative de coup d’État ratée en mai 2015.
Selon les militants des droits humains, le Général Cyrile Ndayirukiye était comme une épine dans le flanc du nouveau président, Evariste Ndayishimiye, successeur de Pierre Nkurunziza. L’environnement diplomatique soupçonne que le dissident gênant a été empoisonné dans sa cellule de la prison de Gitega. La mort présumée de Ndayirukiye intervient à deux jours du 6e anniversaire (26 avril 2015) des manifestations populaires contre le 3e mandat du dictateur Pierre Nkurunziza qui s’accrochait avec les dents à la Présidence.
Le probable assassinat de l’État intervient après la tournée officielle dans plusieurs pays européens (dont la France, la Suisse et la Belgique) faite par le ministre burundais des Affaires étrangères (fondateur de la milice Hutupower: Imbonerakure). C’est la première fois en plus de 5 ans que l’espace européen est officiellement ouvert à une autorité burundaise en raison de graves violations des droits de l’homme au Burundi, notamment depuis fin avril 2015, date de la formalisation de la candidature des anciens le président Pierre Nkurunziza pour un illégal et contesté 3e mandat. Les violations sont toujours en cours et les sanctions européennes contre Gitega (décidées en 2016) sont toujours en vigueur.
Plusieurs rapports d’organisations internationales dénoncent les violations massives des droits de l’homme, des libertés publiques et de la presse au Burundi. Plusieurs cas de meurtre, torture, disparition forcée, incarcération et autres dont les viols de femmes sont signalés quotidiennement. Parmi ces détentions injustes figurent celle du défenseur des droits humains Germain Rukuki, celle de l’ancien parlementaire Fabien Banciryanino et celle de Madame Christa Kaneza injustement accusée d’être impliquée dans le meurtre de son mari.

Tous ces abus et bien d’autres semblent laisser l’Union Européenne indifférente. Sans doute tentée par la nécessité de s’opposer à la Chine en Afrique, Bruxelles ne cache plus sa lassitude et ronge les freins pour assouplir la vie financière du régime burundais. Le Parlement européen est conscient de la nature génocidaire du régime burundais actuel mais semble avoir choisi de le soutenir dans l’espoir d’arrêter l’influence politique et économique déjà forte de Pékin sur le petit pays d’Afrique centrale.
Les violations des droits de l’homme ont désormais franchi les frontières nationales pour se perpétuer dans la Tanzanie voisine au détriment des réfugiés burundais. Un rapport préparé par un groupe d’experts de l’ONU et publié il y a deux jours, indique que les réfugiés burundais en Tanzanie sont depuis longtemps victimes d’arrestations arbitraires, de disparitions et de rapatriements forcés effectués par les services secrets burundais, les miliciens Imbonerakure et les terroristes rwandais FDLR avec l’approbation de l’administration de feu le président tanzanien Magufuli et la collaboration de la police tanzanienne et des services secrets.
«En plus de la politique stricte des camps qui leur est imposée par le gouvernement tanzanien, les réfugiés et demandeurs d’asile burundais vivent désormais dans la peur d’être enlevés de nuit par les forces de sécurité tanzaniennes et transportés vers des lieux inconnus ou rapatriés de force au Burundi», expliquent les experts ONU. Des opposants politiques dans les camps de réfugiés en Tanzanie auraient également été traqués, arrêtés ou tués. “La situation sécuritaire dans les camps semble être extrêmement compromise au milieu des informations selon lesquelles des agents de renseignement burundais se faisant passer pour des réfugiés à l’intérieur des camps identifient des individus spécifiques qui sont par la suite arrêtés par les forces de sécurité tanzaniennes”, ont déclaré des experts des forces de sécurité tanzaniennes. “Le gouvernement du Burundi doit mettre fin à la répression contre ses citoyens, y compris ceux qui recherchent une protection internationale en Tanzanie”, recommande le rapport ONU
Nestor Bimenyimana, directeur général du rapatriement des réfugiés au Burundi, a refusé de commenter les violations des droits qui auraient été commises dans les camps de réfugiés. Les violations des droits humains subies par les réfugiés burundais sont une source de grande gêne pour le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) qui gère les camps en Tanzanie.
En août 2017, les représentants des gouvernements du Burundi et de la Tanzanie, avec le HCR, ont tenu une réunion tripartite pour faciliter le rapatriement librement consenti des réfugiés burundais depuis la Tanzanie. Depuis lors, le régime burundais a commis divers crimes contre les réfugiés, trouvant une faible condamnation du HCR qui est témoin impuissant des meurtres perpétrés dans les camps de réfugiés gérés directement par cette agence humanitaire des Nations Unies.
«Le gouvernement tanzanien est conscient de la situation et doit prendre toutes les mesures nécessaires pour mettre immédiatement un terme aux violations et y remédier» soulignent les experts de l’ONU qui ont rédigé le rapport dans l’espoir que la nouvelle présidente tanzanienne: Samia Suluhu Hassan (élue le 19 mars dernier suite au décès du président Magufuli de Covid19) peut interrompre la politique de collaboration ethnique entre le gouvernement de Dodoba (capitale de la Tanzanie) et la junte militaire burundaise. Une éventualité qui pourrait survenir. Le président Hassan a déjà montré qu’il voulait inverser la politique de son prédécesseur, en commençant à traiter adéquatement la pandémie Covid19 niée par Magufuli provoquant un massacre au sein de la population. Magufuli est allé jusqu’à interdire aux autorités sanitaires de signaler les cas positifs et de soigner les cas les plus graves de Covid19.

Lors de la tournée diplomatique en Europe, les demandes de la junte militaire burundaise ont porté principalement sur deux points: la suspension de l’application de l’article 96 de l’accord de Cotonou et la levée des sanctions contre certaines personnalités dont le ministre de l’Intérieur, Gervais Ndirakobuca, identifié comme l’un des principaux créateurs de la répression violente des manifestations populaires en 2015 et un sympathisant et partisan bien connu des terroristes rwandais FDLR. Ce groupe terroriste est également soupçonné de l’assassinat de l’Ambassadeur italien Luca Attanasio qui a eu lieu dans l’est du Congo.
Du côté de l’Union Européenne, les principales préoccupations tournent autour de la liberté d’expression, du respect des libertés publiques, de la lutte contre l’impunité, de la bonne gouvernance, du soutien au secteur privé (climat des affaires), etc. Selon une source diplomatique européenne, pour des raisons de pragmatisme, l’Union européenne a décidé désormais de ne pas trop insister sur la question du respect des droits de l’homme dans ses entretiens avec des responsables burundais “afin de ne pas saboter les efforts de reprise directe la coopération “.
La politique adoptée à l’égard de la junte militaire au Burundi marque une dangereuse involution des relations entre l’Union Européenne et les pays africains. Une politique qui tend à imiter la politique étrangère de Pékin basée sur la non-ingérence dans les affaires intérieures des pays souverains. L’UE se prépare à sacrifier les valeurs démocratiques et la défense des droits de l’homme, piliers de la Constitution européenne, sur l’autel du marché libre. Une politique d’endiguement de la Chine qui favorisera le Dragon Rouge, qui, avec la Russie, est devenu le défenseur des pires régimes dictatoriaux d’Afrique: du Burundi à l’Érythrée.
La nouvelle arrive que l’Union Européenne est sur le point de dégeler 67 millions d’euros pour l’aide humanitaire au Burundi, récemment également frappée par des inondations catastrophiques caractérisées par une absence totale d’assistance des victimes par le régime. La junte militaire de Gitega a demandé que la plupart de ces fonds soient gérés directement. Divers experts régionaux sont convaincus que l’UE abrogera les sanctions contre le régime burundais en novembre, permettant ainsi à l’un des régimes africains les plus sanglants de survivre.
«L’Union Européenne est tombée dans le piège idéologique de la distinction entre faucons et colombes au sein du régime CNDD-FDD. Un mensonge inventé sous les conseils d’experts européens prônant la suprématie raciale de HutuPower qui dépeint le Président Evariste Ndayishimiye comme un réformateur démocratique et le Premier Ministre Alain-Guillaume Bunyoni comme un faucon extrémiste. En réalité, les deux dirigeants font partie intégrante d’un régime racial sanguinaire qui n’abandonnera jamais le pouvoir de manière pacifique et démocratique. Un régime qui n’a jamais abandonné la solution finale: l’extermination de la minorité tutsie.
Je pense que l’Union Européenne commet une très grave erreur pour la paix de mon pays et pour la stabilité régionale. Bruxelles devrait commencer à examiner attentivement les prétendues politiques d’ouverture démocratique des dirigeants africains jugés réformateurs. L’expérience avec le Premier Ministre éthiopien Abiy Ahmed Ali aurait dû apprendre quelque chose à l’Union Européenne. À tout le moins, pour ne pas se laisser berner par des propagandistes qualifiés: des loups déguisés en mouton. ” Souligne un professeur d’université hutu burundais contraint à l’exil en Ouganda pour son opposition au troisième mandat du seigneur de guerre Pierre Nkurunziza.

Fulvio Beltrami