Ouganda. La stratégie du Président Museveni pour lutter contre le terrorisme islamique

Le 16 novembre, une attaque terroriste au cœur de la capitale Kampala a choqué l’Ouganda. Le nombre officiel de victimes est de 3 personnes. Le nombre de blessés n’est pas encore défini. Une censure claire mise en œuvre par le gouvernement pour dissimuler son incapacité à protéger les citoyens de la menace de l’extrémisme islamique. Les 3 bombes ont explosé sous le nez de la police, dont une devant le siège de la police ougandaise.
Une semaine plus tôt, le gouvernement n’avait pas accordé d’importance aux avertissements des renseignements américains et britanniques concernant de probables attentats à Kampala. Ceci malgré le fait qu’un mois plus tôt, en octobre, deux attaques mineures avaient eu lieu à la périphérie de la capitale, toutes deux revendiquées par DAESH (connu en Occident sous le nom d’État islamique – IS ou État Islamique d’Irak et du Levant – ISIL) et par le groupe islamique ougandais Allied Democratic Forces (ADF).

Alors que les preuves que le gouvernement a minimisé le nombre de morts semblent bien fondées, le bilan en termes de pertes en vies humaines reste relativement faible par rapport à celui de ces types d’attaques triples. Des analyses des enquêteurs, une anomalie inexplicable se dégage. Le modus operandi de DAESH est de maximiser l’impact de l’attentat en tuant le plus de personnes possible, comme ce fut le cas lors du triple attentat de Kampala en 2010 au soir de la finale de la Coupe du monde.

Étonnamment, les attentats du 16 novembre indiquent que les auteurs n’ont fait aucun effort pour tuer autant de personnes que possible. Les kamikazes ont fait exploser les bombes au milieu de la route et alors qu’ils se déplaçaient, deux à pied et un à moto. L’anomalie est étudiée par des enquêteurs et des experts antiterroristes.

Le gouvernement et les services secrets se concentrent sur la compréhension de la justification et des motivations des terroristes pour identifier leurs objectifs politiques. En règle générale, le terrorisme islamique tend à atteindre un objectif psychologique. Par la terreur, il sème la peur parmi la population et oblige le gouvernement « ennemi » à prendre des mesures extrêmement répressives pour lutter contre les terroristes, l’éloignant de la population. La stratégie du terroriste est de donner au gouvernement au pouvoir une corde avec laquelle se pendre.
La réponse au terrorisme doit donc aller au-delà de la technologie (investir dans la vidéosurveillance pour attraper les terroristes et accroître le contrôle d’Internet, de WhatsApp et des médias sociaux) et du système de justice pénale pour poursuivre les criminels. Les bases politiques et philosophiques de la terreur doivent être atteintes pour les neutraliser. Le terrorisme, en tant que stratégie, gagnera ou perdra selon la façon dont un gouvernement en place répond à ses provocations. Le terrorisme ne gagne que lorsqu’un gouvernement réagit comme le terroriste le souhaite. Si un gouvernement choisit de ne pas réagir ou de réagir d’une manière que le terroriste ne veut pas ou ne s’attend pas, alors le terrorisme fait face à une crise.

Ce ci c’est le dilemme, sur le type de réponse à adopter, qui taraude le Président Yoweri Kakuta Museveni et son fils, le Général Muhoozi Kainerugaba (né en 1974) à la tête des forces armées qui depuis des années n’est pas en très bons termes avec son père. Museveni semble déterminé à faire en sorte que son appareil de sécurité considère la menace terroriste principalement comme un problème politique plutôt que comme un simple problème de sécurité nationale.

C’est un excellent point de départe.
La stratégie qui semble se dessiner ne va pas au-delà du devoir du gouvernement de traquer les cellules terroristes responsables du triple attentat du 16 et des deux attentats mineurs d’octobre. Une traque qui a déjà commencé avec l’efficacité et la brutalité habituelles des forces armées ougandaises. Au cours de cette semaine, la police et des unités spéciales antiterroristes ont tué au moins cinq personnes, dont un imam musulman, accusé d’avoir des liens avec le groupe extrémiste responsable des attentats-suicides.
Quatre hommes ont été tués dans une fusillade dans une ville frontalière près de la frontière occidentale avec le Congo alors qu’ils tentaient de rentrer en Ouganda. Un cinquième homme, un imam nommé Muhammad Kirevu, a été tué dans une fusillade lorsque les forces de sécurité ont fait irruption dans sa maison à l’extérieur de Kampala, a déclaré le porte-parole de la police Fred Enanga. Un deuxième imam, Suleiman Nsubuga, fait l’objet d’une chasse à l’homme. Tous deux sont accusés d’avoir radicalisé de jeunes musulmans ougandais et de les avoir encouragés à rejoindre des cellules terroristes clandestines pour mener des attentats violents.
Cependant, ces actes flagrants de sécurité nationale sont le préambule d’une stratégie plus large et à plus long terme qui se concentre sur les facteurs politiques qui peuvent apporter un soutien aux terroristes islamiques. Connaissant bien le Président Museveni, il est probable qu’il choisira un mix entre la main de fer et la cooptation de dirigeants islamiques par la corruption, le chantage, la persuasion et d’autres tactiques.
Le bras armé de DAESH en Ouganda et dans la région des Grands Lacs est l’ADF (Allied Democratic Forces), un groupe armé d’inspiration islamique né quatre ans après la libération de l’Ouganda (1986) de la dictature de Milton Obote par Museveni.

Le groupe est une fusion de plusieurs factions rebelles, dont le Mouvement démocratique allié, l’Armée nationale de libération de l’Ouganda (NALU), l’Armée de libération musulmane de l’Ouganda et des militants du mouvement Tablighi Jamaat.

Le mouvement a été fondé par Jamil Mukulu, un ancien catholique converti à l’islam. Les membres venaient en grande partie du centre de l’Ouganda, en particulier Iganga, Masaka et Kampala, et se présentaient comme des croisés religieux visant à transformer l’Ouganda en un État islamique basé sur le Coran et la charia.
Les ADF sont définitivement battues à la fin des années 1990. Les miliciens survivants se sont réfugiés au Congo voisin où ils ont encore des bases opérationnelles. Depuis la première décennie des années 2000, ADF opère dans la province du Nord-Kivu en RDC, près de la frontière avec l’Ouganda. Alors que les offensives militaires répétées contre les ADF les ont gravement affaiblis, les ADF ont pu se régénérer car leurs réseaux de recrutement et financiers sont restés intacts.
L’ADF a également formé une alliance militaire avec le groupe terroriste rwandais Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR) responsable du génocide rwandais de 1994 et, récemment, de l’assassinat de l’ambassadeur italien Luca Attanasio. Les ADF ont perpétré divers massacres de civils dans les régions du Nord-Kivu de Beni, Butembo et Lubero pour le compte des FDLR et de l’ancien dictateur congolais Joseph Kabila. Massacres inclus dans le contrôle des territoires, des ressources naturelles et du trafic illégal de minerais précieux perpétrés par les associés FDLR et Kabila.

Depuis 2015, les ADF se sont radicalisées suite à l’incarcération de son leader Jamil Mukulu et à la montée en puissance de Musa Baluku. Depuis 2019, les ADF s’étaient scindées, une partie restant fidèle à Mukulu, tandis que l’autre appartenait au califat de la province centrafricaine créé par la DAESH sous le commandement de Baluku.

La vague de terrorisme déclenchée en Ouganda par les ADF a un effet moindre que souhaité en raison du manque de soutien populaire. Les musulmans du pays ne représentent que 14% de la population et beaucoup d’entre eux ne montrent pas de tendances extrémistes. De nombreux musulmans sont mariés à des chrétiens et boivent de l’alcool, quoique modérément.
La minorité de la population et la modération religieuse de la communauté musulmane ougandaise ne favorisent pas l’émergence d’une base solide de soutien politique aux ADF et à la DAESH.

De plus, les musulmans ougandais ne subissent aucune discrimination politique ou sociale même après les événements du 11 septembre aux États-Unis ou après l’attentat de Kampala en 2010. Au sein de la communauté musulmane, à l’exception d’une petite faction marginale, l’affirmation selon laquelle le gouvernement L’anti-islam ougandais sera difficile à vendre pour les ADF et DAESH.
D’un point de vue organisationnel, l’ADF s’est associée au DAESH, le groupe djihadiste mondial qui cherche à créer un califat islamique mondial. Ce groupe a une très mauvaise réputation auprès d’un grand nombre d’Ougandais, dont la grande majorité des musulmans. Il est donc peu probable qu’il s’attire la sympathie nécessaire pour passer d’un mouvement terroriste à une grave menace militaire et politique.

À l’exception d’une petite frange, les vastes masses de la jeunesse ougandaise pauvre et sans emploi dans les ghettos auront du mal à accepter les méthodes des ADF. L’Ougandais est naturellement enclin à la liberté personnelle et à l’hédonisme. Il aime la vie sociale, boire, avoir des relations sexuelles libres avec plusieurs partenaires, profiter de la vie. Les règles morales strictes de la charia ne trouvent aucun fondement car aucun Ougandais, y compris les musulmans, n’accepterait de se priver de ses libertés personnelles.
Pour aggraver les choses, les activités terroristes de l’ADF combinées à son association avec le DAESH feront que les puissances occidentales s’allieront à Museveni pour annuler la menace de l’islam radical. Une fois que l’Ouganda deviendra le centre de la lutte contre l’extrémisme islamique radical, Museveni dormira profondément en sachant que les pays occidentaux deviendront attentifs à la façon dont ils critiquent les violations des droits humains, les pratiques antidémocratiques et son mandat indéfini à la tête du pays.
Sans trop d’efforts de sa part, les ADF aident Museveni à agir comme garant de la sécurité nationale et de la région des Grands Lacs. Pour un Président accusé d’être un tyran éclairé et opposé à la vraie démocratie, la terreur des ADF et du DAESH est le meilleur cadeau pour rester au pouvoir à vie.