RDC. Le président Tshisekedi sort du silence sur les violences contre les Casques bleus de l’ONU (F. Beltrami)

Après des jours et des jours de silence absolu, le Président de la République Félix Antoine Tshisekedi Tshilombo s’est exprimé sur les violences contre les casques bleus onusiens de la MONUSCO dans la province de l’Est Nord Kivu.

Lors du Conseil des ministres présidé par visioconférence, vendredi 29 juillet 2022, le chef de l’Etat congolais s’est exprimé sur les violentes manifestations contre la MONUSCO, exprimant sa compassion et sa solidarité en faveur des congolais et des casques bleus (deux Indiens et un Marocain) décédés dans l’Est du pays, notamment dans les villes de Goma, Butembo.

Après ces phrases circonstancielles, le président Tshisekedi a rappelé qu’un plan de fin de la mission onusienne de maintien de la paix au Congo est en place depuis septembre 2021 et prévoit un retrait progressif et échelonné des 16 000 soldats de la MONUSCO et 2 500 civils d’ici 2024. L’accord entre les parties a été prise conformément à la résolution du Conseil de Sécurité n. 2556 du 18 septembre 2020. Il a également informé la population que les casques bleus de l’ONU ont commencé leur retrait progressif le 30 juin 2022 lorsqu’ils ont fermé leur base militaire dans la province du Tanganyika, confiant les tâches de sécurité à la police et à l’armée congolaises. Donc le retrait réclamé par la population est déjà en cours.

Dans son discours, le président a tenté de contrer ce qu’il appelle “les ennemis de la République” qui agitent le spectre du retrait immédiat de la MONUSCO, non par amour du Congo mais pour servir leurs propres intérêts. « L’un des moyens efficaces pour résister à ces attaques injustes sur notre territoire demeure dans la notre capacité à démontrer que nous pouvons revendiquer nos droits conformément aux lois établies et que chacun doit veiller au respect du cadre constitutionnel et légal», a déclaré Félix Tshisekedi.

Bien que le chef de l’Etat congolais ne soit pas nommé dans son discours, il faisait référence à l’état-major de l’armée, la puissante faction politique des mobutistes et les terroristes rwandais FDLR. C’est une nouveauté très intéressante qui indique une tentative de Tshsekedi de s’opposer à la Triade qui lui imposait la passivité les jours précédents, lui conseillant de devenir un “président congolais normal” en arrêtant de faire le “phénomène”.

Cette décision de s’opposer à la Triade a été prise après avoir reçu des assurances de soutien politique des États-Unis. Des assurances dévoilées dans un communiqué du Département d’Etat annonçant la visite du chef de la diplomatie américaine Antony Blinken à Kinshasa cette semaine. En plus de confirmer son soutien au gouvernement Tshisekedi, Blinken aura pour tâche (selon des sources diplomatiques) de délivrer le message de la Maison Blanche de soutien à Tshisekedi pour l’élection présidentielle de 2023, car il est considéré comme un homme de confiance et digne de respect. . Cette visite à Kinshasa sera la première du chef de la diplomatie américaine depuis l’investiture de Félix Tshisekedi en janvier 2019.

Blinken sera également chargé de promouvoir la paix dans l’est du Congo et la région des Grands Lacs. À cette fin, il se rendra du 10 au 12 août au Rwanda voisin où il rencontrera de hauts responsables du gouvernement rwandais et des membres de la société civile pour discuter des priorités communes, entre autres, le maintien de la paix. Selon les mêmes sources diplomatiques, Antony Blinken mettra l’accent sur le rôle que le gouvernement rwandais peut jouer dans la réduction des tensions et des violences actuelles dans l’est de la RDC, lui demandant d’arrêter le soutien politique, logistique et militaire au groupe armé congolais tutsi M23.

Tshisekedi lors de la rencontre avec le Sous-Secrétaire Général de l’ONU pour les opérations de paix, Jean-Pierre Lacroix, a rassuré qu’il fera de son mieux pour contenir les violences contre les Casques bleus de l’ONU en échange du respect des accords de retrait progressif de la MONUSCO au plus tard en 2024.

Malgré le soutien américain, la question clé est : le président Tshisekedi est-il capable de tenir ses promesses en empêchant de nouvelles violences ? Suite au rapport de force actuel ce sera une tâche très difficile qui a toutes les chances de devenir un énième échec politique de Félix.

La Triade dirige efficacement le pays et exécute sa stratégie de demande à la MONUSCO de départ immédiat. Les mobutistes ne le reconnaissent pas comme Chef de l’Etat et créent une administration parallèle. Pire est la situation au sein des forces armées, où les Généraux considérés par Tshisekedi comme étant de la plus grande confiance et loyauté et donc envoyés au Nord-Kivu pour remplacer l’administration civile et rétablir la paix, l’ont en fait trahi, s’alliant aux terroristes rwandais FDLR dans la promotion de la violence contre le Rwanda et plus tard contre à la MONUSCO. L’armée tolère également un début de nettoyage ethnique contre la minorité congolaise tutsi qui pourrait prendre une tournure dramatiquement inattendue dans les semaines à venir.

La promesse faite par Félix à Blinken et Jean-Pierre Lacroix pour être tenue doit reposer sur l’exécution des ordres présidentiels par l’armée. Malheureusement, une grande partie de l’état-major des FARDC a un programme différent, celui de la Triade. Lors des attaques contre les bases militaires de la MONUSCO la semaine dernière, des preuves photographiques et vidéo montrent que des dizaines de policiers ont participé aux violences en aidant de jeunes hooligans.

S’il est vrai que désormais des détachements de policiers et militaires congolais ont été placés en défense des bases militaires de la MONUSCO à Goma, Butembo et Beni, on s’interroge sur leurs véritables intentions qui pourraient conduire à une totale passivité face à de nouvelles manifestations violentes.

De plus, pour prévenir de nouvelles violences, l’armée devrait intervenir militairement contre les terroristes FDLR qui les coordonnent et les gèrent. Une intervention quasi impossible tant les officiers supérieurs des FARDC, à commencer par le Gouverneur militaire de Goma, sont de connivence avec les FDLR et partenaires dans le trafic illégal de minerais au Nord-Kivu et au Sud-Kivu. L’armée, même consciente de la présence de terroristes armés FDLR parmi les manifestants, n’est pas intervenue lors des violences de la semaine dernière.

La police devrait prendre des mesures sérieuses contre les dirigeants xénophobes des associations Lucha et Veranda Mutsanga en tant que main-d’œuvre organisationnelle de la Triade et principaux vecteurs d’incitation à la haine ethnique et à la violence. Là encore, des mesures sévères contre ces associations sont difficiles à entreprendre en raison des protections politiques dont elles bénéficient.

Le président Tshisekedi semble de plus en plus mis à l’écart, malgré le soutien américain. Maintenant, il est également contesté par des membres de son parti et de son gouvernement. Trois ministres de la délégation gouvernementale de Kinshasa ont entamé samedi 30 juillet des rencontres avec les couches sociales de Goma. Le vice-Premier ministre de l’Intérieur, Daniel Asselo, qui dirige cette délégation, son collègue Modeste Mutinga, chef de la Solidarité nationale, ainsi que Julien Paluku de l’Industrie et ancien gouverneur du Nord-Kivu, ont rencontré différentes couches de la ville de Goma, notamment la société civile et les mouvements citoyens, dont l’organisation extrémiste et xénophobe LUCHA qui a obtenu une légitimation officielle comme l’un des interlocuteurs « pacifiques » de la société civile du Nord-Kivu.

De manière générale, la société civile à Goma a jugé insupportable l’échéance de 2024 accordée par le gouvernement à la MONUSCO pour une sortie progressive. Si cette sortie progressive doit être respectée, elle devrait se faire ailleurs. La MONUSCO doit quitter le Nord-Kivu immédiatement. Au lieu d’expliquer les conséquences économiques et sécuritaires d’une sortie immédiate des casques bleus du Nord-Kivu, les trois ministres de la délégation gouvernementale ont déclaré qu’ils comprenaient les raisons et le soucis de la population.

Entre les employés congolais et fournisseurs assimilés, la MONUSCO représente environ 30% de l’économie régionale. Un retrait immédiat provoquerait une crise économique et de l’emploi brutale. A cela s’ajoute l’incapacité de la police et de l’armée à contrôler le territoire. Un retrait des casques bleus créerait un vide dans la défense du territoire au profit des bandes armées. Ce que visent les terroristes rwandais des FDLR.

Encore plus clair est l’Honorable Tembos Yotama qui se qualifie de “combattant du peuple”. L’élu de Butembo, ignorant les tactiques militaires adoptées lors des manifestations de la semaine dernière, réécrit les événements tragiques. Dans son discours il n’y a pas de provocations, des manifestants armés et les trois morts parmi les casques bleus. Il n’y a que des manifestations populaires pacifiques réprimées dans le sang par la MONUSCO.

« Je regrette qu’une répression sanglante et démesurée soit appliquée à un peuple qui ne revendique que ses droits, au point de provoquer la mort d’hommes. Nous demandons donc au gouvernement d’écouter les revendications du peuple, c’est-à-dire la paix et rien que la paix. C’est un droit non négociable de nos électeurs, de nos concitoyens… », insiste M. Tembos Yotama.

L’honorable va plus loin en incitant les manifestants à être toujours prêts et attentifs, à redoubler de vigilance pour éviter de s’infiltrer dans les protestations. Qui sont ces infiltrés ? Bien sûr les Tutsis et les Rwandais ! Yotama non seulement exhorte la population à poursuivre la violence jusqu’à ce qu’elle se débarrasse de la MONUSCO mais menace les casques bleus de l’ONU en jurant qu'”ils paieront pour leurs actions”.

Après la fusillade d’hier entre les forces armées congolaises et les Casques bleus de l’ONU à Kasindi, frontière avec l’Ouganda, les mobutistes, les généraux des FARD et les terroristes des FDLR, à travers leur “petit” sur le terrain (Lucha et Veranda Mutsanga) ils organisent de nouvelles violences. Une forte tension a été observée, aujourd’hui matin dans la ville de Beni, où de jeunes voyous sont descendus dans les rues pour réclamer à nouveau le départ de la MONUSCO.

Des jeunes, principalement issus de la partie ouest de la ville, s’étaient rassemblés dans les stades Kanzuli et Kalinda, avant de descendre dans la rue et d’ériger des barricades. Cependant, ils ont été arrêtés par les services de police qui ont empêché de nouvelles violences. L’intervention des unités de police de Beni met en évidence que la Triade n’a pas le contrôle sur toutes les unités de défense du pays même si de nombreux observateurs internationaux supposent que le contrôle s’étend sur la majorité des forces de police et de l’armée. Pour le moment, il n’y a pas de manifestations et de violences dans les autres villes du Nord-Kivu et du Sud-Kivu, mais la population, tout en ne participant pas massivement aux manifestations, offre un soutien tacite aux FDLR, Lucha et Veranda Mutsanga.

Fulvio Beltrami