RDC. Les politiques de la haine, frein à la paix dans un pays au potentiel énorme (L. Rosati)

Lundi 1er août à Goma, chef-lieu du Nord-Kivu (NK), province orientale de la République Démocratique du Congo (RDC), les autorités congolaises ont brillé par leur absence à la cérémonie funéraire en hommage aux casques bleus de la Mission des Nations Unies pour la stabilisation du Congo (MONUSCO), décédé à la suite d’affrontements avec la population dans les journées du 25 au 27 juillet, qui avaient fait trois victimes de l’ONU et une vingtaine de manifestants.

Ces derniers, mobilisés par les groupes ultranationalistes Lucha et Veranda Mutsanga – dont le programme se résume à une haine féroce contre le Rwanda et les communautés tutsi congolaises – ont protesté contre l’inaction de la Mission de Washington face à la violence des gangs armés qui ont transformé l’Est de la RDC en un Far West et fait au moins 10 000 victimes civiles au cours des huit dernières années.

A ce climat bouleversé par les nombreux apprentis sorciers qui s’agitent dans le scénario congolais – parmi lesquels il faut citer le docteur Mukwege de l’hôpital de Panzi, spécialiste de la distillation des anathèmes tribalistes et des idées négationnistes du génocide de 1994 au Rwanda -, s’est ajouté l’épisode qui n’en a pas fallu pour faire monter la tension au niveau du gardien.

Dimanche 31, au poste frontière de Kasindi avec l’Ouganda, des soldats des Forces spéciales de l’ONU ont tiré sur la foule et sur des policiers congolais.

“Des militaires de la Brigade d’intervention de la MONUSCO (FIB) ont ouvert le feu sur la frontière de Kasindi pour des raisons inexpliquées et pour forcer leur passage. Ce grave accident a fait des morts », a déclaré le porte-parole de la Mission, qui a conclu par des excuses adressées à la population et au gouvernement congolais. Lequel, comme l’indique son communiqué, “condamne et déplore vigoureusement ce malheureux incident, dont le bilan provisoire est de deux compatriotes morts et 15 blessés suite à la fusillade des Casques bleus depuis l’Ouganda”.

Le mécontentement des populations

Le ballet des déclarations officielles ne peut cependant cacher que le mécontentement des populations, bien que manipulé et détourné vers des ennemis imaginaires et divers boucs émissaires, atteint un point de non-retour, au-delà duquel un véritable bouleversement n’est pas à exclure.

Ce n’est pas un hasard si précisément à Beni, sur le territoire duquel se trouve Kasindi et qui est le théâtre d’un des massacres les plus longs et les plus brutaux de l’histoire de l’Afrique centrale (il y a environ 7 000 victimes en 8 ans), les jeunes, encore le lundi 1er août, ils érigent des barricades et lancent des slogans demandant le départ de la MONUSCO. Tout cela, alors qu’à quelques dizaines de kilomètres de là et après trois semaines de trêve de facto, l’armée congolaise (FARDC) sous les ordres du faucon Philémon Yav, reprenait l’attaque des positions du Mouvement du 23 mars (M23) à Bukima, une localité du groupe Gisigari, située à 5 kilomètres du camp militaire de Rumangabo.

Les combattants de la rébellion de Bertrand Bisimwa et de Sultani Makenga (respectivement président du mouvement et commandant de sa branche militaire, l’ARC) se battent pour l’application des accords de décembre 2013 à Nairobi, que Kinshasa tarde à respecter.

Toujours objet d’une diabolisation tribaliste, étant donné que ses membres sont en partie issus des communautés congolaises parlant le kinyarwanda (langue officielle du Rwanda voisin), le M23 est au cœur de l’âpre affrontement entre les FARDC, appuyées par les groupes et par cette partie de l’opinion qu’ils manipulent, et la MONUSCO, à qui les « généraux intransigeants » de l’armée, dont Yav, leur reprochent de ne pas mettre tous leurs moyens en hommes et en armes à la disposition de la guerre contre les rebelles.

En réalité, l’enjeu de ces nombreux incidents de fin juillet n’est pas le départ ou non de la Mission, mais son implication active et prédominante dans la guerre contre le M23. A cet égard, les manifestations sont une forme de pression extrême pour que les Casques bleus pointent leurs armes sur les combattants de l’ARC. Les faucons de l’armée qui dirigent la chaîne de commandement parallèle aux hiérarchies officielles, d’où les ordres aux bandes armées – dont les FDLR – responsables des massacres de populations civiles, tiennent entre leurs mains le président Tshisekedi et déterminent la politique gouvernementale basée sur l’option de guerre. 

Une armée toute puissante 

En témoigne le communiqué signé le 1er août par le ministre de la communication et porte-parole du gouvernement Patrick Muyaya Katembwe. Adressé au SGNU Antonio Guterres, il est rappelé dans le texte « que le retrait du M23 de toutes les positions occupées, conformément au communiqué de Nairobi, à la feuille de route de Luanda et à la déclaration du Conseil de sécurité de l’ONU du premier jour Juin 2022, est une condition nécessaire à la baisse de tension » avec la MONUSCO. Autrement dit, et avec une formule mafieuse plus prétorienne que celle d’un gouvernement : soit la Mission s’engage militairement dans une nouvelle offensive mondiale contre le M23, soit elle devra à nouveau faire face au mécontentement populaire. 

Une sorte de chantage que les “soldats de la paix” doivent prendre au sérieux tant leur conduite au fil des années n’a cessé de susciter inquiétude, suspicion voire accusations fondées de la part des populations. Ce malaise profond, bien qu’exploité à des fins obscures de type xénophobe et tribaliste, reste légitime car motivé par le choix de la MONUSCO d’endosser et de soutenir la stratégie anti-insurrectionnelle des FARDC qui a conduit à des pratiques de terreur contre les populations et l’extermination de milliers de civils. 

Cette stratégie a été dictée à l’époque par l’ancien président Joseph Kabila, qui l’utilise aujourd’hui dans une situation politique proche de l’élection présidentielle, qu’il entend concourir, pour mettre en difficulté l’actuel président et son futur challenger. Contrairement à ce dernier, Kabila exerce en effet un certain contrôle sur le noyau dur des officiers de l’armée qui dicte actuellement les règles du jeu de la politique intérieure et régionale. 

Une partie de cela est la propagation de la haine propagée via des médias complaisants, les médias sociaux et des déclarations officielles, qui doivent faire diversion pour détourner l’attention des masses des massacres commis par des gangs armés, et la diriger plutôt vers des boucs émissaires désignés à cet effet, comme le Rwanda et les communautés rwandophones, tutsi en particulier. 

Ces « discours haineux à fond xénophobe et ethnique, spécifiquement condamnés par les chefs d’État des 7 pays de la Communauté de l’Afrique de l’Est (CAE) parce qu’ils sont reconnus comme l’un des principaux moteurs de la crise depuis environ 25 ans, sont à nouveau alimentés par l’appareil sécuritaire de la Nation et véhiculés par certains groupes extrémistes de la « société civile », tels que Veranda Mutsanga, Lucha et Filimbi. 

Le rôle de l’Église 

La Conférence épiscopale nationale du Congo (CENCO) a souvent été le porte-parole du besoin de redressement moral du pays et d’interdiction des “discours de haine” et de toutes les formes d’incitation à la violence contre les personnes sur la base de leur appartenance ethnique. Son porte-parole, Monseigneur Donatien Nshole, a souvent exprimé les inquiétudes de l’épiscopat contre les tendances tribalistes, fruit de la manipulation des politiciens qui les exploitent comme moyen d’ascension au pouvoir. 

Récemment, l’évêque catholique du territoire de Beni et Butembo, Monseigneur Melchisédek Sikuli Paluku, a demandé des éclaircissements aux autorités sur la disparition des FDLR qui s’étaient regroupées dans son diocèse, dans lequel les violences se sont intensifiées juste après les ex-génocidaires rwandais qu’ils s’était évaporé. Toujours alliés des FARDC, ces rebelles hutus arrivés dans l’Est de la RDC en août 1994, sont un danger constant pour la sécurité des civils et surtout un foyer de concentration et de propagation de la haine et de la discorde entre les différentes communautés de l’Est . . 

L’Eglise catholique congolaise s’est toujours battue contre leur présence et le rôle enivrant qu’ils jouent dans l’exaspération du sentiment identitaire auquel les nombreuses ethnies veulent s’opposer. Et elle s’est plus généralement opposée à tous les clichés et à tous les récits tendant à créer des conflits artificiels entre ces groupes et/ou avec les pays voisins. 

A ce titre, les propos de l’évêque d’Uvira (Sud-Kivu) Joseph Muyengo, qui s’interrogeait en public se demandant « que peut-on attendre d’une armée pleine d’étrangers originaires des pays que nous accusons de nous faire la guerre… l’ennemi qui, avec ou sans la MONUSCO, veut balkaniser la RDC en profitant de l’incapacité du gouvernement à protéger la population ». 

Or, l’accusation des FARDC infiltrés par des éléments étrangers,  est une allusion qui fait clairement référence au Rwanda, et celui d’une volonté revendiquée et jamais démontrée de balkanisation de la RDC par les pays voisins, font partie de cette forme particulièrement tendancieuse de communication déviante qui, par la fabrication de faux mythes, veut alimenter le “discours de haine” contre le Rwanda et les communautés tutsi congolaises considérées comme un ennemi de l’intérieur. 

Monseigneur Muyengo, fin homme de lettres, s’est illustré en décembre dernier par une série d’allocutions dans lesquelles il invitait les peuples du Kivu, et en particulier ceux de son diocèse qu’il dirige depuis 9 ans, à la réconciliation et à la concorde. C’est précisément pour cette raison que sa dernière sortie est étonnante, plus en phase avec les thèmes extrémistes d’un docteur Mukwege ou d’un militant de la Lucha qu’avec un discours de paix. 

 

Luigi Rosati