La réunion des organismes régionaux africains en Tanzanie pour arrêter la guerre dans l’Est du Congo est vouée à l’échec si la lecture de ses causes demeure affectée par sa version fictive. Un écran de fumée qui doit être levé pour tourner la page des innombrables violences sévissant depuis plusieurs décennies.
Apres la prise de Goma, capitale du Nord-Kivu, province orientale de la République démocratique du Congo (RDC), par le forces du M23, opposition politico-militaire au gouvernement de Kinshasa, cette dernière a proclamé, via son communiqué du 3 février dernier, un cessez-le-feu unilatéral. Son porte-parole civil a également affirmé que le mouvement ne souhaite pas de s’emparer de la ville de Bukavu, dans le Sud-Kivu, vers laquelle ses troupes sont à l’heure actuelle en train de progresser.
Le Sommet de Dar es Salam
Selon les observateurs, ces déclarations sont une preuve de bonne volonté, dans la perspective de l’ouverture d’un dialogue avec les autorités du régime rdcongolais, de la part de la direction de la rébellion qui, le jeudi 6, s’est offert un bain de foule avec la population gomatracienne à l’occasion d’un meeting au Stade de l’Unité.
On est entre temps dans l’attente des résultats du sommet conjoint des deux blocs régionaux africains de la Communauté de l’Afrique de l’Est (CAE, ou EAC, selon l’acronyme anglais) et de la Communauté de développement de l’Afrique australe (SADC, selon l’acronyme anglais), dont les militaires sont engagés à soutien de l’armée régulière (FARDC) contre l’M23.
La réunion, organisée à Dar es Salam, en Tanzanie, a démarré le vendredi 7 et ses conclusions sont attendues pour la fin du week-end. Parmi les buts prévus de l’assise : l’arrêt des hostilités et le début d’un calendrier de négociations entre Kinshasa et l’M23. Ces pourparlers devraient se dérouler dans le cadre du Processus de Nairobi, au Kenya, enclenché en avril 2022 sous la houlette de l’EAC et visant la solution de la crise dans l’Est de la RDC et la fin des combats.
Mais pendant trois ans, l’initiative kenyane est restée lettre morte. Le chef de l’Etat congolais, Félix Tshisekedi Tshilimbo, a toujours refusé de s’assoir à la table des négociations en arguant que l’M23 est en réalité le cheval de Troie du Rwanda, qui le téléguiderait et manipulerait pour déstabiliser l’Est de la RDC et faire main basse de ses ressources. Les plus extrémistes de l’entourage présidentiel n’hésitent pas à considérer ce mouvement comme une milice de Kigali, dont les membres ne seraient même pas congolais, mais rwandais.
Il y a quelques jours, comme preuve ultérieure de l’influence toujours importante des faucons du régime de Kinshasa, ses autorités militaires viennent d’émettre un mandat de capture internationale contre Corneille Nangaa, l’un des leaders de la rébellion. Une mesure qui n’est pas dans le sens de l’apaisement, ni laisse bien espérer sur une issue positive du sommet de Dar es Salam.
Aux sources de la crise
De leur part, les dirigeants du M23 se sont à plusieurs reprises montrés disponibles au dialogue. Ils ont particulièrement insisté sur la nécessité d’un débat préalable et de fond, focalisé sur la recherche des vraies causes d’un conflit, dont les racines remontent à plusieurs décennies. Cela serait, selon eux, le nœud gordien à couper pour mettre un terme à un si long conflit.
D’ailleurs, les objectifs principaux du M23 sont connus et strictement liés aux événements à la base de cette période de guerres et de violences, dont on ne voit pas la fin.
Aux premières places de leur cahier de doléances, les rebelles demandent le retour des réfugiés originaires de l’Est, pour la plupart appartenant aux communautés rwandophones, qui croupissent -certains depuis plus de 30 ans- dans les camps au Rwanda, Burundi, Ouganda et Tanzanie. En même temps, ils exigent le démantèlement des Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR), le plus dangereux et nuisible des groupes armés dans l’Est / RDC. Cette formation, héritière de l’ancienne armée rwandaise (FAR) et des miliciens hutus Interahamwe, exécuteurs du génocide des Tutsi, en 1994 au Rwanda, est, depuis l’époque du président Laurent-Désiré Kabila (1997-2001), l’allié indéfectible du régime de Kinshasa.
La symétrie entre ces deux revendications est emblématique : le retour au pays natal des réfugiés est envisageable à condition que leur sécurité dans l’Est de la RDC soit assurée une fois pour toutes avec la disparition du groupe qui est depuis plus 30 ans actif dans la traque des populations parlant kinyarwanda, et notamment des Tutsi, qui constituent le gros des exilés.
Or, si l’on veut remonter aux sources de cette histoire qui, pour le nombre de ses dizaines de milliers de victimes, est une tragédie, il faut revenir en arrière de plus de 30 ans.
C’est en août de1994 en effets, et par le truchement de son Opération Turquoise, que la France exfiltra les forces qui venaient de commettre le génocide d’un million de Tutsi au pays des mille collines. Protégé par les militaires de l’Etat-major particulier du président français François Mitterrand, soldats et miliciens rwandais débarquèrent au-delà de la frontière, dans le territoire du Zaïre d’alors (la RDC d’aujourd’hui), avec armes et bagages, sous l’œil bienveillant du Maréchal Mobutu (1965-1997) et au milieu d’une foule d’environ deux millions d’Hutu fugitifs.
Mobutu, le dictateur congolais de l’ex-Zaïre, ami de Paris, avait été aussi, détail à ne pas négliger, le soutien du régime de Kigali responsable du crime des crimes.
Ceux que certains appelèrent, avec un sous-estimation quelque peu naïve, les « soldats perdus d’Habyarimana » -du nom du président rwandais qui avait été à la tête de l’Etat génocidaire, puis péri dans le crash de son avion le 7 avril 1994, au début de l’extermination- avaient l’intention de se réorganiser pour attaquer le Rwanda, renverser la nouvelle élite au pouvoir du Front patriotique rwandais (FPR), qui avait arrêté les massacres, et « terminer le travail », c’est-à-dire le génocide.
Si dans leur logique perverse, il s’agissait au même moment et encore une fois, de s’en prendre aux congénères des victimes ciblées lors de l’holocauste rwandais, voilà que les Tutsi congolais de l’Est de la RDC, se prêtaient bien au sordide besoin !
Ces militaires et miliciens pouvaient aussi conter sur un environnement politique favorable à leur dessein criminel : les élites locales de l’Est, issues des communautés non-rwandophones (Nande, Hunde, Nyanga, Tembo..) s’illustraient pour leur tribalisme meurtrier Dans le passé, elles avaient organisé des pogroms anti-Tutsi, comme ceux de 1993 dans les zones de Walikale et Masisi (Nord-Kivu)
Ces élus des assemblées provinciales de l’Est avaient été également parmi les promoteurs les plus acharnés de toutes les initiatives législatives avec lesquelles, après l’Indépendance de 1960, les autorités centrales visaient l’exclusion de la citoyenneté congolaise pour les Rwandophones du Nord et du Sud-Kivu.
Par conséquente, ils ne pouvaient voir que de bon œil l’activisme raciste et tutsiphobe des forces hutues rwandaises, qui commencèrent, à peine arrivées sur place, à donner la chasse à leurs ennemis jurés… D’autant plus qu’ils étaient confortés dans leurs agissement par les politiques discriminatoires à l’encontre des Tutsi de la part de Kinshasa, où l’on rechignait encore à accorder définitivement la nationalité congolaise à leurs concitoyens parlant kinyarwanda.
L’avènement de l’AFDL
L’évolution de cette situation a produit dans le temps des effets de déstabilisation et des violences dans les deux provinces du Nord et du Sud-Kivu, avec la révolte inévitable des populations victimes des exactions.
Ces dernières, qui ne se limitaient pas aux communautés rwandophones, car toutes étaient impliquées, d’une manière ou d’une autre, dans les fréquentes tueries, se mobilisèrent contre le gouvernement de Kinshasa avec le soulèvement, au Sud-Kivu, des Banyamulenge -des Tutsi d’origine, installés depuis plusieurs siècles dans les hauts-plateaux de l’Itombwe- et des jeunes soldats du Mouvement Révolutionnaire pour la Libération du Zaïre (M.R.L.Z.), issus de toutes les ethnies du Nord-Kivu et sous la leadership d’Anselme Masasu Nindaga.
Avec la participation de deux autres groupes, l’Alliance des Forces démocratiques pour la libération du Congo (AFDL) se forme. Elle est soutenue par les gouvernements du Rwanda, du Burundi et de l’Ouganda et, le 17 mai 1997, renverse le Maréchal Mobutu et installe à la tête de l’Etat son porte-parole, Laurent-Désiré Kabila.
Quelques mois à peine après sa prise du pouvoir, ce dernier opère un revirement spectaculaire en se débarrassant de ses parrains, notamment de la tutelle du gouvernement rwandais et, surtout, en se rapprochant de ses anciens ennemis de la rébellion hutue rwandaise, qui avaient déstabilisé l’Est / RDC et rêvaient d’attaquer Kigali : un retour à la case départ pour les habitants des provinces orientale et les rwandophones en particulier, dont les Tutsi étaient à nouveau les cibles des attaques des anciens génocidaires. Mais également, un problème supplémentaire pour Kigali, menacé sur son flanc occidental par ces forces négatives.
Toujours est-il que LD Kabila et son entourage se lancent dans la rhétorique haineuse et tribaliste visant les Tutsi et le Rwanda.
L’émergence des politiques de la haine
En 1998, Kinshasa et Lubumbashi sont le théâtre de pogroms contre les Tutsi. C’est la scène inaugurale d’une politique basée sur le racisme et la discrimination ethnique, qui marquera tous les gouvernements congolais jusqu’aujourd’hui.
Sans oublier par ailleurs, que, parmi les effets de cette nouvelle entente des autorités congolaises avec les anciens génocidaires, ces derniers lancèrent, entre 1997 et 1998, une série d’attaques meurtrières en territoire rwandais. Pour divers mois, tout l’Ouest du pays des mille collines est envahi et mis à fer et à sang par les vieux militaires et miliciens d’Habyarimana : une véritable insurrection que le nouveau pouvoir de Kigali réussira à dompter non sans fatigue.
Une nouvelle rébellion se forme ainsi en août 1998 contre le régime de Laurent-Désiré Kabila et avec le soutien du Rwanda : le Rassemblement congolais pour la démocratie (RCD). Une guerre de presque quatre ans démarre, pendant laquelle l’assassinat de Kabila sera l’un des épisodes marquants, avec la succession au pouvoir de son fils adoptif Joseph quelques jours après (17 janvier 2001).
Pour mettre fin à celle qui passera à l’histoire comme « la première guerre mondiale africaine » (1998-2002) pour le nombre des acteurs du continent impliqués : Congo, Rwanda, Burundi, Angola, Tanzanie, Ouganda… les grandes puissances et les puissances régionales africaines, Afrique du Sud et Angola en premier lieu, organisent le Dialogue Inter-congolais de Sun City (DIC), en Afrique du Sud.
Le DIC dure plusieurs mois. Néanmoins, ses acteurs les plus influents, en dehors et dans le continent, sont davantage motivés par l’urgence de bâtir une architecture constitutionnelle et institutionnels fonctionnelle à la continuation de l’exploitation à bon marché des ressources naturelles de l’un des pays les plus riches de la planète en matières premières stratégiques et en terres rares, que par l’exigence de trouver un accord satisfaisant tous les anciens belligérants et gagner surtout la paix pour les populations civiles.
Le choix porté sur la figure de Joseph Kabila, comme homme sur lequel compter pour diriger la Transition suivant les Accords du DIC et à hisser, coûte que coûte, à la tête de l’Etat suite à la présidentielle trafiquée de 2006, rentre dans ce calcul à court terme qui laissera de conséquence inaltérés les ingrédients de l’instabilité, des conflits et de la tribalisation de la vie politique dans l’Est / RDC.
En confiant le pouvoir à Joseph Kabila, Sun City n’aurait rien résolu au fond, de toute la problématique de la crise congolaise ouverte avec les pogroms des Tutsi en 1998. Encore moins on allait résoudre l’un des objectifs déclarés des assises sud-africaines, celui d’une réconciliation nationale dont on ne voit pas encore l’aube en ce début de 2025.
Kabila fils en fait, fera des forces génocidaires rwandaises, auto baptisées FDLR en 2000, le soutien principal de son pouvoir. Ce groupe aurait continué à faire de l’Est / RDC son fief, en rendant invivable le quotidien des Tutsi du Nord-Kivu et impossible le retour des réfugiés appartenant à la même communauté rwandophone.
Une nouvelle rébellion, indépendante de Kigali
Nous sommes ici arrivés aux racines directes de la crise, où se situe l’apparition d’une nouvelle rébellion, cette fois-ci complètement indépendante de Kigali, contrairement à l’AFDL et au RCD, et dont l’M23 est l’héritier et l’expression actuelle.
Le général Laurent Nkunda, un démobilisé de l’appareil militaire du RCD, refuse de se rendre à Kinshasa pour intégrer la nouvelle armée en gestation. Pour lui et pour d’autres officiers du RCD, les condition ne sont pas réunies, et pour les raisons que nous avons souligné plus haut, pour que la paix advienne dans les deux Kivu et la sécurité soit assurée pour l’ensemble de ses ethnies, les Tutsi en particulier.
Après avoir organisé l’autodéfense des populations menacées par les FDLR dans l’Anti-génocide Team, Nkunda fonde en 2005 à Jomba (Nord-Kivu), donc en territoire congolais -il tient à le souligner pour se distinguer de l’AFDL et du RCD, parrainés par Kigali et créés au Rwanda- le Congrès national pour la défense du peuple (CNDP).
Pendant une première phase, l’organisation s’occupe de la protection des civils rwandophones, en butte aux attaques et aux pillages des FDLR, et résiste aux offensives de l’armée régulière (FARDC), qui essuie défaite sur défaite.
Progressivement, la stratégie de Nkunda évolue en une vision pas-congolaise, non plus limitée au problème Tutsi.
Charismatique et visionnaire, le général développe une critique plus radicale du régime kabiliste, dont l’élément ethniciste et xénophobe -le Rwanda étant systématiquement diabolisé comme le tireur des ficelles de la rébellion- n’est plus considéré comme circonstanciel mais faisant partie d’une méthode de gouvernance basée sur la haine de l’Autre, le racisme et la recherche d’un bouc émissaire étranger.
C’est dans cette conjoncture politique que le récit de Kigali comme agresseur de la RDC et menace de sa souveraineté nationale et de son intégrité territoriale devient le discours officiel des chancelleries occidentale et de la dite communauté internationale dans son ensemble.
Menacé de sanctions, le Rwanda est sous chantage : on l’oblige à intervenir militairement pour mettre fin à l’expérience du CNDP, une tâche assumée avec l’arrestation du général Nkunda (janvier 2009), pendant que les hauts gradés du mouvement rebelle seront intégrés, avec leurs militaires, dans les FARDC. Ces décisions seront formalisées dans les Accords d’Ihusi du 23 mars 2009 à Goma, dans lesquels les militaires nkundistes acceptent leur nouvelle affectation en échange de l’engagement du gouvernement d’accéder à leurs revendications principales : la promulgation d’une loi d’amnistie pour les rebelles, le retour des réfugiés rwandophones, la dissolution des FDLR et la mise en place d’un mécanisme de réconciliation nationale.
Trois ans après (2012) et Kinshasa n’ayant pas rempli aucune de ces conditions, les anciens CNDP reprennent les armes contre le gouvernement sous le label du Mouvement du 23 Mars (M23), pour rappel des accords passés et échoués.
La nouvelle guerre dure un an et demi et, en novembre 2013, sans vainqueurs ni vaincus et toujours suite aux pressions internationales, les troupes du M23 se retirent en Ouganda après avoir obtenu du président Joseph Kabila la promesse de l’application des clauses de l’Accord de 2009.
La suite est connue : sans surprendre personne, Kinshasa ne respectera pas ses engagements. Puis, fatigués d’attendre dans les camps ougandais, des groupes de militaires du M23 aux ordres du général Sultani Makenga, rentrent au Nord-Kivu pour s’installes dans un maquis dans les hauteurs du Parc de Virunga, près du volcan Sabynyo.
Après des attaques réitérées des FARDC et une tentative avortée de négociations avec le successeur de Kabila, Félix Tshisekedi, les hostilités reprennent en novembre 2021 pour déboucher aux faits d’armes et à l’impressionnante progression du M23, dont il est question aujourd’hui.
Management par la terreur
Entre temps, ces dix dernières années, les conditions de sécurité des populations congolaises, à l’Est et non seulement, ont largement empiré. Pendant que les exactions contre les Rwandophones se poursuivent, d’autres communautés sont ciblées par des milices tribales manœuvrées par les FARDC. A partir d’octobre 2014 à Beni, dans le Grand Nord du Nord-Kivu, une fraction de l’ethnie Nande est victime d’une série épouvantable de massacres qui a fait, jusqu’à maintenant, environ 11 000 victimes ! Les planificateurs de ces tueries ont commencé à opérer en 2017 aussi dans la province limitrophe de l’Ituri et au Sud-Kivu, où les victimes désignées sont respectivement les Hema et les Banyamulenge.
La gouvernance par le racisme et la discrimination ethnique s’inscrit dorénavant dans une sorte de management par la terreur, avec le déclenchement d’une autre impitoyable guerre contre les civils, dont les lois sont dictées par une main invisible. Stratégie qui profite, depuis trop longtemps, de son occultement par le récit fictif de l’ingérence, voire de l’agression, voire de l’invasion du Rwanda…
Ce dernier est le bouc émissaire accusé de vouloir occuper, par procuration d’une « fausse rébellion », les riches et fertiles terres de l’Est. Ainsi, en agitant le chiffon rouge d’une atteinte présumée à la souveraineté nationale et à l’intégrité territoriale de la RDC, on rend illisibles, pour les cacher, les vraies causes de la crise. Et on occulte la mauvaise et meurtrière gouvernance de Kinshasa, qui se trouve être la raison de l’existence de la lignée de rébellions à peine décrite, dont celle du M23 est le rejeton du CNDP de Nkunda, là où cette histoire a commencé…
Le narratif comme arme de guerre
L’heure est venue pourtant, pour les acteurs congolais et la « communauté internationale » de changer de narratif et, s’ils veulent apporter leur contribution factuelle à la solution de la crise, de s’y appliquer en pleine conscience de la réalité des faits basiques qui ont porté à la situation actuelle.
Surtout que ces faits sont bien connus et des voix éminentes y ont fait recours dans le passé, juste à l’aube de ce conflit.
En 1996, quelques semaines après le début du soulèvement armé des forces populaires qui se seraient réunies au sein de l’AFDL, le président, alors à la retraite, de la Tanzanie, Julius Nyerere, l’un des pères du socialisme africain et du panafricanisme, intervint dans la conférence annuelle de l’Académie internationale de la paix à New York et accusa les autorités congolaises, à l’époque zaïroises, d’être les responsables des événements en cours dans leurs pays, en les indiquant comme « coupables de vouloir discriminer et expulser du territoire nationale les communautés rwandophones qui y vivaient depuis plusieurs siècles ».
Dans le premier semestre de l’année suivante, fut Nelson Mandela à intervenir dans le même sens avec toute son autorité. L’AFDL était aux portes du Kinshasa et le leader sud-africain était engagé à négocier avec Mobutu sa sortie de scène « honorable ». Critiqué par quelques chancelleries occidentales, la France en particulier, pour le soutien apporté à la rébellion, Mandela répliqua, avec fermeté, qu’après le génocide d’un million de Tutsi au Rwanda trois ans auparavant, il n’aurait pas permis l’exécution d’une autre extermination de Tutsi dans l’Est du Zaïre / RDC.
Plus récemment, à la fin du mois de janvier, un autre ancien président de l’Afrique du Sud, Thabo Mbeki a accusé le gouvernement congolais d’être incapable de gérer l’Est de la RDC et le président Tshisekedi d’être incapable de se démontrer comme le président de tous le Congolais. Il avait aussi souligné que la crise perdurera pendant tout le temps que les dirigeants à Kinshasa refuseront de reconnaître les droits des Congolais de locution kinyarwanda.
En Afrique, la parole des pères, des sages et des ancêtres est sacrée. Il serait pas mal, donc et tout d’abord en Afrique, d’évoquer les voix éclairées de ces anciens qui ont indiqué, sans subterfuges, ni tours de mots, les raisons pour lesquelles la guerre est depuis 30 ans en cours.
Il faut désormais changer de narratif, séparer les faits de la fiction. En commençant peut être par le Congo, où l’on devrait ouvrir l’espace de communication et permettre aux populations de profiter de la vraie information.
Le narratif officiel est une arme de guerre qui tue, car il assure la continuité de la guerre. Les causes profondes de la crise ont été exposées, sont claires et leur négationnisme s’y ajoute comme cause complémentaire de sa non-solution.
Pour cela, le changement de récit et de sa réconciliation avec la réalité s’impose comme la condicio sine qua non de la fin du cycle meurtrier.
Luigi Rosati