Rwanda-France. L’attentat contre le président Juvénal Habyarimana du 6 avril 1994, début de la Shoah africaine

Le soir du 6 avril 1994, l’avion présidentiel du Rwanda, le Falcon 50 atterrissant à l’aéroport international de Kigali est abattu par deux missiles sol-air. Le général de division Juvénal Habyarimana (né en 1937 sur la photo avec Mitterrand) voyageait dans l’avion Président – dictateur depuis le 5 juillet 1973. Habyarimana n’était pas n’importe quel dictateur africain comme Jean-Bedel Bokassa (République centrafricaine) ou Idi Amin Dada (Ouganda ) pourrait être. Contrairement à Bokassa et Dada, Juvénal Habyarimana était un homme politique qui a influencé l’histoire de la région des Grands Lacs de 1957 jusqu’à sa mort en avril 1994. En mars 1957, il était l’un des neuf intellectuels hutus rwandais qui ont rédigé le célèbre document sur l’aspect social de la race indigène. problème au Rwanda » connu sous le nom de «Manifeste des Bahutu».

L’Africain Mein Kampf qui a jeté les bases de la domination raciale Hutu connue sous le nom de HutuPower (Pouvoir aux Hutus). Une domination raciale qui a commencé au Rwanda en octobre 1961, générant une série de nettoyages ethniques également au Burundi, le génocide rwandais de 1994, deux guerres panafricaines au Congo et la période actuelle de pouvoir racial au Burundi géré par une junte militaire. L’arrivée au pouvoir de Habyarimana passe par un coup d’État contre son plus proche ami et premier président du Rwanda: Grégoire Kayibanda. Tous deux avaient fréquenté des écoles catholiques et tous deux avaient rédigé le Manifeste des Bahutu. Kayibanda a imposé le régime racial hutu au Rwanda après deux nettoyages ethniques contre la minorité tutsi et Habyarimana l’a institutionnalisé.

Habyarimana a également été le créateur, le financier et l’allié militaire de la tentative d’invasion du Burundi par une guérilla hutue du Rwanda en 1972 qui a entraîné le massacre de plus de 72 000 Tutsis burundais. Invasion arrêtée par le général tutsi Michel Micombero avec un contre-massacre de Hutus. Il était également soupçonné d’avoir planifié le plan de génocide des Tutsis au Burundi que le premier président hutu du Burundi: Melchior Ndadaye s’apprêtait à mettre en œuvre à seulement 3 mois de sa prise de fonction à la tête de l’Etat. Le génocide a été stoppé dans l’œuf le 21 octobre 1993 par l’armée burundaise. Pendant le coup d’État, des responsables tutsis ont tué le président Ndadaye.

Cette reconstruction historique synthétique contient évidemment des simplifications mais à partir d’une idée de la figure centrale de Juvénal Habyarimana, un homme fort et de confiance de la France dans la région des Grands Lacs aux côtés du dictateur congolais Mobutu Sese Seko. Le soir du 6 avril 1994, Habyarimana revenait d’une réunion de paix tenue à Arusha, en Tanzanie, à laquelle avait participé le chef de la guérilla tutsi Paul Kagame (actuel président du Rwanda). Depuis 1991, Kagame avait mené une guerre de libération de son pays contre la dictature raciale Hutu et après trois ans le régime Habyarimana s’effondrait sur lui-même. La paix signée par les deux dirigeants prévoyait un gouvernement d’union nationale et de nouvelles élections deux ans plus tard.

Juvénal Habyarimana a été assassiné par son épouse Aghate Habyarimana à la tête des faucons du régime qui n’entendait faire aucune concession à la guérilla tutsi et voulait continuer la guerre civile. L’état-major français de l’avion et le président burundais Cyprien Ntaruamira sont morts avec lui. La mort de Cyprien a détruit l’équilibre des pouvoirs au Burundi, entraînant le pays dans une guerre civile qui durera dix ans.

Après avoir tué le président Ndadaye, l’armée burundaise a favorisé la continuité de la présidence d’un autre chef hutu (Cyprien) considéré comme modéré. Sa disparition a forcé la nomination hâtive d’un autre chef hutu Sylvestre Ntibantunganya qui s’est révélé totalement incapable de faire face à la guerre civile déclenchée par les extrémistes burundais du HutuPower dirigés par le chef de guerre Pierre Nkurunziza.

Ntibantunganya a été remplacé le 25 juillet 1996 lors d’un coup d’État par le général tutsi Pierre Buyoya. La guerre civile burundaise a pris fin en 2004. En 2005, Pierre Nkurunziza est arrivé au pouvoir grâce à des accords de paix à courte vue, inaugurant l’ère actuelle de la terreur au Burundi. L’assassinat de Juvénal Habyarimana, en plus de l’arrêt de l’accord de paix, a été l’étincelle tant recherchée par son épouse et les faucons du régime pour déclencher le plan de génocide préparé depuis 1991 qui a commencé une heure après l’attentat avec l’assassinat de tous les Rwandais modérés. Ministres Hutu enclins aux accords de paix. Le génocide a duré 100 jours avant que l’Armée de libération de Paul Kagame ne parvienne à vaincre le régime d’Aghate Habyarimana.

Au cours de ces 100 jours, un million de civils rwandais (majoritairement tutsi) ont été tués. Après la défaite du régime, Agathe Habyarimana a été évacuée par les troupes françaises et secourue en France où elle vit toujours aujourd’hui. Mardi 15 février, la Cour de cassation de Paris a mis fin à l’enquête du juge Jean-Louis Bruguière sur l’attentat du 6 avril 1994, disculpant pleinement neuf responsables militaires et politiques de l’actuel gouvernement de Paul Kagame. Le procès a débuté en 1998 à la suite d’une plainte déposée par les familles de l’équipage français du Falcon décédé dans l’attentat. Le juge Bruguière a accepté d’être un instrument de la cellule africaine de l’Elysée (connue sous le nom de FranceAfrique) qui n’avait jamais accepté la défaite du régime racial rwandais et réorganisait depuis 1995 les forces génocidaires du Zaïre voisin (aujourd’hui la République démocratique du Congo) dans un tenter de reprendre le Rwanda et de mettre fin au génocide pour rendre le pays «ethniquement pur».

A cet effet, le juge Bruguière a retenu la piste qui reprochait à l’Armée de libération de Paul Kagame d’être l’auteur de l’attentat terroriste pour plonger le Rwanda dans le chaos et justifier sa prise du pouvoir. Cette piste a été construite de toutes pièces, avec l’appui des missionnaires belges et italiens, par les véritables auteurs de l’attentat: Agathe Habyarimana et par les extrémistes hutus qui ne voulaient pas partager le pouvoir avec Paul Kagame. Le juge Bruguière est devenu convaincu (par sympathie idéologique ou intérêt politique) que Paul Kagame avait été l’instigateur de l’attentat.

L’élimination physique du président Habyarimana aurait été le seul moyen pour Kagame de parvenir à ses fins politiques, s’assurant une victoire totale au prix du génocide de l’ethnie à laquelle il appartenait : les Tutsis. En 2006, Bruguière lance neuf mandats d’arrêt contre des ministres et des généraux proches de Paul Kagame. Les relations diplomatiques entre Paris et Kigali sont coupées. Deux ans plus tard, en 2008, le Rwanda a présenté des preuves irréfutables de la participation d’hommes politiques et de généraux français à la préparation et à l’exécution du génocide contre les Tutsis. En France, ces accusations ont suscité l’indignation de la population et l’embarras du monde militaire et de la quasi-totalité de la classe politique qui ont tenté de nier l’évidence.

Les successeurs du juge Bruguière, Marc Trévidic et Nathalie Proux, se sont rendus au Rwanda, contrairement à leur prédécesseur qui a monté le procès politique sans se rendre un jour dans le lointain pays africain. Trévidic et Proux reviennent du Rwanda avec de nouveaux éléments qui invalident la thèse de la responsabilité du FPR dans l’attentat du 6 avril. Lors de leur séjour à Kigali, ils constatent que les missiles ont été tirés depuis un camp de l’armée rwandaise sous contrôle du régime racial. En décembre 2017, les deux juges ont estimé qu’ils avaient suffisamment de preuves pour clore l’enquête et dissoudre le gouvernement actuel de Kagame.

Un an plus tard, le 21 décembre 2018, ils ont rendu une ordonnance de disculpation des neuf hommes politiques et militaires rwandais accusés par le juge Bruguière, pour « manque de charges suffisantes » à leur encontre. Les juges Marc Trévidic et Nathalie Proux ont souligné le “climat délétère” de l’enquête, entrecoupé de meurtres, de disparitions de témoins et de manipulations.

Les familles de l’équipage du Falcon et du président Habyarimana ont fait appel de cette condamnation qui a été confirmée le vendredi 3 juillet 2020 par la cour d’appel. Il appartient maintenant à la Cour de cassation de mettre fin à ce procès politique honteux contre un gouvernement né du premier Holocauste africain du XXe siècle en invoquant la responsabilité des extrémistes hutus dans l’attentat du 6 avril. L’arrêt de la Cour de cassation met fin à une ère de nettoyage sanglant et ethnique où la France a joué un rôle important. La décision ouvre la voie à une véritable amitié entre le Rwanda et la France basée sur la coopération économique et la paix. Cependant, un problème demeure. L’instigateur de la mort de Juvénal Habyarimana est toujours vivant et libre : la veuve Aghate Habyarimana.

Interviewée dans une maison tranquille de la périphérie parisienne, Agathe a déclaré aux médias français que la décision de la Cour de cassation est une insulte au peuple rwandais dirigé par “un dictateur tutsi assoiffé de sang”. Pour la veuve Habyarimana, le non-lieu du procès politique contre le gouvernement légitime de Kigali pourrait signifier la fin de son immunité garantie par le juge Bruguière. Bientôt Agathe pourrait se retrouver au banc des accusés forcée de se défendre de toute responsabilité dans la mort de son mari et le déclenchement du génocide tutsi. Il se murmure que la justice française compte ouvrir une enquête contre la veuve Habyarimana pour complicité de génocide et crimes contre l’humanité.

Fulvio Beltrami