Soudan-Éthiopie : l’escalade de la guerre diplomatique, un prélude à la vraie guerre? (Fulvio Beltrami)

Ethiopian refugees, fleeing clashes in the country's Tigray region, rest and cook meals near UNHCR's Hamdayet border reception centre after crossing into Sudan. ; A worsening crisis is unravelling in northern Ethiopia, where clashes between the Ethiopian army and forces from the Tigray region are driving thousands of people to flee – more than half of them children. Since the violence began in early-November 2020, more than 14,500 children, women and men have fled into Sudan in search of safety, overwhelming the current capacity to provide aid. The majority have crossed at Hamdayet border point in Kassala state and others at Lugdi in Gedaref state. The transit centre at Hamdayet is designed to accommodate 300 refugees, but is currently struggling to deal with some 6,000 people.

Au cours des 4 derniers jours, il y a eu une escalade dans la guerre diplomatique entre l’Éthiopie et le Soudan en raison des territoires frontaliers soudanais revendiqués par les dirigeants d’extrême droite Amhara et, par symbiose directe, par le Premier Ministre éthiopien Abiy Ahmed Ali.
Le samedi 20 février, le gouvernement soudanais a fermement rejeté les accusations éthiopiennes selon lesquelles ses forces armées serviraient les intérêts d’un “pays tiers”, soulignant au contraire la présence d’un groupement anormal de forces militaires érythréennes et éthiopiennes à ses frontières. Le communiqué officiel de Khartoum fait suite à une accusation lancée par l’Éthiopie le jeudi 18 février contre l’armée soudanaise. Selon la ministre éthiopienne des Affaires étrangères Dina Mufti, derrière les tensions territoriales, il y a un «pays tiers» (faisant allusion à l’Égypte), qui s’oppose au méga barrage GERD qui pourrait menacer son approvisionnement en eau et tente donc de faire tomber le Soudan et l’Éthiopie dans une guerre frontalière.

Le lendemain, le Ministre soudanais des affaires étrangères a publié une déclaration faisant référence à l’appartenance ethnique du Vice-Premier Ministre éthiopien Demeke Mekonnen Hassen et du Ministre des affaires étrangères. Tous les deux sont Amhara, le deuxième groupe ethnique d’Éthiopie en termes de démographie et de pouvoir. Khartoum a accusé les deux hauts fonctionnaires de faire pression pour que le conflit défende les intérêts de la région d’Amhara, mettant en danger les intérêts et la sécurité de l’Éthiopie. «Les frontières soudano-éthiopiennes n’ont jamais été une source de conflit entre les deux pays jusqu’à l’arrivée au ministère éthiopien des Affaires étrangères qui sert les intérêts et les objectifs d’un groupe ethnique spécifique. Pour réaliser ces intérêts, il est prêt de parier sur la peau du peuple éthiopien, mettant en péril la sécurité nationale et la stabilité régionale. Le ministère soudanais des Affaires étrangères a déclaré que l’Éthiopie pourrait rechercher des mécanismes juridiques internationaux et régionaux pour faire valoir ses revendications dans les zones frontalières contestées.

Faisons une brève rétrospective historique pour comprendre les origines de ce différend territorial qui a déjà provoqué une guerre de faible intensité (caractérisée par divers affrontements frontaliers entre les armées respectives) qui risque désormais de se transformer en guerre régionale ouverte.
Le roi d’Éthiopie Menelik II et l’administration britannique, dont le Soudan était une colonie, ont signé en 1902 et 1903 un accord de démarcation de la frontière qui prévoyait que les zones fertiles d’Al-Fashaga réintègrent les territoires soudanais. En 1972, les deux pays signent un autre accord qui confirme celui conclu à l’époque coloniale. Les années 80 ont été témoins d’une immigration massive de paysans amhara à la recherche de terres fertiles, tolérée par le dictateur soudanais de l’époque Omar El Bashir.
L’immigration de dizaines de milliers d’Éthiopiens a provoqué des tensions avec les populations autochtones qui, au milieu des années 90, ont entraîné une violence pure et simple. La situation se détériore au cours de la première décennie des années 2000 lorsque les milices paramilitaires soudanaises et amhara se lèvent pour s’affronter soutenues par leurs armées respectives. Pour éviter une guerre, les pays respectifs (à l’époque l’Éthiopie était gouvernée par le gouvernement de coalition TPLF) avaient accepté de démilitariser Al-Fashaga qui était patrouillée par les forces armées respectives dans le but d’empêcher les milices adverses de poursuivre les affrontements pour les terres fertiles.

Tout change avec le début de la guerre au Tigrè, le 3 novembre 2020. Une guerre déclenchée par le Premier Ministre éthiopien Abiy Ahmed Ali (lauréat du prix Nobel de la paix en 2019), qui transforme le conflit politique entre lui et le TPLF, (évincé par le gouvernement en janvier 2020 après près de 30 ans de pouvoir) en une sanglante guerre civile. Selon diverses sources journalistiques et diplomatiques accréditées, le Premier Ministre Abiy, conscient que l’armée fédérale (160000 hommes) est nettement plus faible en nombre et en armements que les forces de défense régionales du TPLF (250000 hommes), demande le soutien direct des dirigeants de l’extrême droite Amhara et du tyran de l’Érythrée: Isaias Afwerki. Outre un règlement de compte avec le TPLF (payé par la population civile), l’Érythrée et Amhara acceptent en échange la promesse d’annexion des territoires du Tigré. L’Érythrée occupe actuellement les territoires septentrionaux du Tigré, y compris la région de Badme, qui a été à l’origine de la guerre avec l’Éthiopie de mai 1998 à juin 2000. Amhara, sud du Tigré.
Malheureusement, l’expansionnisme territorial d’Amhara ne s’arrête pas au Tigré. Les dirigeants d’Amhara demandent et obtiennent l’annexion des territoires soudanais d’Al-Fashaga. Le dimanche 6 décembre, des unités de l’armée soudanaise occupent la zone frontalière contestée à titre préventif. Pour se venger, l’armée fédérale éthiopienne et les milices Amhara vont mener une série de raids militaires pour occuper les territoires qui devaient être annexés à la région d’Amhara. Raids militaires rejetés par les forces armées soudanaises.

Il est à noter que le gouvernement de transition soudanais né après la révolution et la chute du dictateur Omar El Bashir n’est certainement pas un champion de la démocratie, car il est composé à moitié par la junte militaire (Conseil Militaire Transitoire) qui a mené le coup d’État contre Béchir le 11 avril 2019. Par exemple: Mohamed Hamdan Dagalo dit Hemetti, chef des milices arabes Janjaweed responsables de l’atroce nettoyage ethnique contre les groupes ethniques bantous du Darfour (Soudan) transformé en un corps d’élite de la défense soudanaise: Forces de Soutien Rapide, il est l’actuelle vice-président du gouvernement de transition (Souverain Conseil), qui comprend également les dirigeants de la révolution soudanaise.
Début février, la Turquie s’est proposée comme médiateur entre les deux pays, constatant le rejet du Soudan car le président Edorgan est un partisan bien connu du Premier Ministre éthiopien Abiy et du dictateur érythréen Afwerki. La semaine dernière, Addis-Abeba a proposé un deuxième médiateur, encore moins crédible: le dictateur Salva Kiir du Soudan du Sud responsable d’une guerre civile monstrueuse qui a éclaté par pure logique de pouvoir deux ans après l’indépendance du Soudan et toujours en cours malgré un accord de paix conclu mais très fragile.
L’escalade de la guerre diplomatique atteint son apogée le lundi 22 février. Le gouvernement soudanais demande le rapatriement des 5376 soldats éthiopiens présents au Soudan dans le cadre de la FISNUA (Force de Sécurité Provisoire des Nations Unies) dans la région d’Abyei, à la frontière avec le Soudan du Sud, un autre territoire contesté et probable future déclenchement de la guerre. Le 20 juin, 2011, le gouvernement soudanais et le SPLM (Mouvement de Libération du Peuple Soudanais maintenant au gouvernement du Soudan du Sud) ont convenu de retirer leurs forces respectives de la région d’Abyei et d’autoriser le déploiement de soldats de la paix éthiopiens jusqu’à ce qu’un accord soit conclu sur l’organisation du référendum d’autodétermination pour la zone qui reste sous souveraineté soudanaise.

“Le Soudan ne peut pas faire confiance aux forces éthiopiennes pour aider à établir la paix dans le pays alors que les troupes éthiopiennes agressives franchissent la frontière”, a proclamé le gouvernement. Une décision qui a déclenché le rappel par Khartoum et Addis-Abeba de leurs ambassadeurs pour consultations. Cette mesure est normalement perçue en droit diplomatique comme un signe de détérioration des relations entre pays.
Le même jour, l’Éthiopie a invité le Soudan à retirer ses troupes des territoires d’Al-Fashaga, considérés par Addis-Abeba comme ses propres territoires, avant que tout dialogue ne puisse commencer à apaiser les tensions croissantes entre les deux pays. La porte-parole du ministère des Affaires étrangères, a déclaré lors de sa conférence de presse hebdomadaire que l’Éthiopie ne souhaitait pas entrer en conflit avec le Soudan. Dans le même temps, les services de renseignements militaires soudanais ont signalé le déploiement de troupes érythréennes à la frontière avec l’État de Kassala. En outre, les forces érythréennes se sont déplacées vers le sud jusqu’à la frontière soudanaise dans la région d’Amhara avec le plein accord du gouvernement d’Addis-Abeba.

Combien de possibilités la médiation de paix menée par le président sud-soudanais, ancien chef de guerre: Salva Kiir, offre-t-elle? Pour le moment peu. La tentative du Soudan du Sud de jouer un rôle de médiateur dans le conflit frontalier en cours entre Khartoum et Addis-Abeba semble se diriger vers de nouveaux obstacles après que le Soudan a rappelé son envoyé en Éthiopie. Khartoum a déclaré qu’il était prêt pour les pourparlers, mais seulement après que les troupes fédérales et les milices éthiopiennes se soient retirées de la zone contestée. “L’agression éthiopienne sur le territoire soudanais est une escalade qui est malheureuse et inacceptable, et aurait des répercussions dangereuses sur la sécurité et la stabilité de la région”, déclare le ministère soudanais des Affaires étrangères.
“La tension et l’état de non-guerre mais même pas de paix entre les deux pays jette une ombre sur les relations futures entre les voisins”, note Tariq Othman, analyste politique soudanais pour l’hebdomadaire East African: The Eat African.

Fulvio Beltrami