Burundi Union Européenne. Un dégel pas aussi sûr qu’il n’y paraît (Fulvio Beltrami)

Le Burundi depuis 2016 est sous sanctions économiques et gel de l’aide bilatérale décidé par l’Union Européenne suite aux crimes contre l’humanité commis entre 2015 et 2016. Ceux qui connaissent dans le détail l’histoire mouvementée du petit pays d’Afrique centrale sont conscients que ces crimes ont des origines beaucoup plus lointaines qui remontes à la guerre civile de 1993-2004 et au choix ultérieur de la Communauté Internationale de permettre au Seigneur de Guerre Pierre Nkurunziza d’accéder à la Présidence en 2005 malgré l’absence de toute victoire militaire de son groupe armé : le CNDD-FDD.
Jeudi 24 juin, la télévision nationale burundaise (RTNB) a confirmé la décision de l’Union Européenne de lever la suspension de l’aide financière à la junte militaire actuellement au pouvoir après la mort mystérieuse et brutale de leur chef Nkurunziza. « L’Union Européenne a pris la décision de révoquer la disposition de suspension de l’aide financière au Burundi suit l’évolution positive en matière de droits de l’homme et d’Etat de droit », lit-on sur un twitter de la RTNB.

En réalité, rien n’a encore été décidé par l’Union Européenne sur le sujet. Ceux qui connaissent la logique et le timing de la diplomatie internationale comprennent que le processus de révision des décisions prises en 2016 sera long, surtout parce qu’il implique des enjeux clés de la démocratie européenne : droits de l’homme, liberté d’expression, élections libres, protection des minorités ethniques, liberté des médias, indépendance de la justice, désarmement des milices Imbonerakure, et prise de distance par rapport au groupe terroriste rwandais FDLR devenu le principal allié politique et militaire du régime Gitega.

Ces enjeux ne peuvent être sous-estimés étant donné que le Burundi n’est actuellement pas gouverné par un gouvernement démocratique élu par le peuple mais par une junte militaire qui, (s’étant débarrassée de la figure encombrante de Pierre Nkurunziza) essaie de se présenter comme un partisan de la démocratie et droits humains jouant la carte du « réformateur » : Evariste Ndayishimiye, plus connu sous son nom de guerre : le Général Neva qui apparaît également sur la page Twitter officielle du soi-disant Président et dans tous communiqués officinales du Gouvernement burundaise.

C’est précisément cette tentative de camoufler la nature de ces militaires au pouvoir qui incite l’Union Européenne à être plus prudente, déjà “brûlée” par le faux vent des réformes démocratiques promises par le Premier Ministre éthiopien Abiy Ahmed Ali, qui en moins de deux années a déclenché une série de guerres civiles dispersées dans tout le pays et un génocide au Tigré pour imposer une domination ethnique Amhara sur le pays.
Jeudi 24 juin, le Ministre des Affaires étrangères du Burundi, Albert Shingiro, et Claude Bochu, Ambassadeur de l’Union Européenne au Burundi, ont assisté à Bujumbura à une session de dialogue politique sur les sanctions de l’UE et les relations bilatérales avec le Burundi. Il s’agit de la troisième session de dialogue politique organisée entre Bruxelles et Gitega depuis février dernier.

La junte militaire a présenté cette rencontre comme la preuve irréfutable que les sanctions économiques seront levées par l’Union Européenne qui apprécierait les ouvertures démocratiques et les progrès réalisés pour le respect des droits de l’homme promus par le « réformateur » Evariste Ndayishimiye.
Il est indéniable que les relations entre l’Union Européenne et le Burundi sont sur une bonne trajectoire comme il est indéniable que le consensus sur la levée des sanctions se renforce à Bruxelles. Cependant, il reste à façonner la décision. La levée imminente des sanctions saluée par le régime est encore loin de se réaliser. L’opposition au sein du Parlement Européen, soutenue par les principales associations internationales de défense des droits de l’Homme et la situation fragile au sein du régime (caractérisée par des luttes fractionnelles pour le pouvoir) pourraient créer un tout autre scénario que celui déjà tenu pour acquis par la junte militaire. Une source diplomatique rapporte que certains pays européens sont contre la levée des sanctions. Parmi eux la Belgique.
Selon l’avis d’un diplomate européen également interrogé sur l’hypothèse que les sanctions seront levées, les délais seront longs. Une fois le consensus atteint (situation qui ne s’est pas encore produite), la décision doit être inscrite à l’ordre du jour du Conseil des Ministres de l’UE qui se réunit une fois par mois. Ce processus pourrait prendre plusieurs mois. La décision doit également être approuvée au préalable par le Groupe Afrique, qui est chargé de gérer la politique extérieure de l’UE envers l’Afrique subsaharienne, y compris ses 46 pays, l’Union Africaine et d’autres organisations sous-régionales.

Si les deux organes de décision approuvent la révocation proposée des sanctions, l’ouverture sera progressive et pourra être révoquée à tout moment si la situation politique en Burundi devrait tomber précisément à cause de la lutte pour le pouvoir au sein de la junte militaire dont il est encore tôt pour prédire qui réussira : colombes ou faucons ? Ainsi, l’argent tant attendu par le Général Neva, Bunyoni et compagnie ne sera pas disponible immédiatement dans les prochains mois. De l’argent pourrait se matérialiser vers la fin de l’année ou début 2022.
Le problème est que la junte militaire a besoin MAINTENANT d’argent européen pour survivre. L’économie s’est effondrée. L’inflation est incontrôlable. L’extrême pauvreté est désormais généralisée, tout comme l’insécurité alimentaire. Des gens meurent de faim au Burundi. Jamais arrivé auparavant, à la fois pendant la période coloniale et depuis l’indépendance jusqu’en 2014.

Considérant que les alliés du régime racial HutuPower : Turquie, Russie, Chine, Egypte se sont montrés très avares en aide économique malgré leur soutien politique et leurs ventes d’armes, l’Union Européenne est la seule instance supranationale capable de restaurer le Burundi. Au cours du quinquennat 2015-2020, l’UE a alloué 430 millions d’euros au Burundi, devenant ainsi le premier pays donateur.
Pour tenter d’accélérer la décision de retrait de l’UE, le régime se livre à des actes de distinction, considérés par l’opposition comme des actes de façade qui n’altèrent pas le caractère despotique et racial des Généraux au pouvoir.

Deux jours avant la section de dialogue UE-Burundi, la cour d’appel du Burundi a annoncé qu’elle avait réduit la peine infligée en 2018 au défenseur des droits humains Germain Rukuki. Une forte réduction de peine a été appliquée : de 32 ans à 12 mois. Cette décision a été saluée par les « amis » du régime qui résident à Bruxelles comme un geste important dans le sens d’un changement radical dans le respect des droits de l’homme.
Ces « amis » ont manifestement renoncé à l’obligation de faire une analyse minutieuse. Cela n’aurait montré aucun changement substantiel dans la politique dictatoriale du régime. Si Rukuki a bénéficié d’une réduction substantielle de sa peine, il n’en demeure pas moins que les chefs d’accusation qui ont conduit à la condamnation : “participation à un mouvement insurrectionnel” et “menace à la sûreté de l’Etat” subsistent. Chefs d’accusation complètement infondés, non prouvé lors du procès-spectacle de 2018. Rukiki est en prison depuis 4 ans et restera en prison pour une autre année, tout en étant innocent.

La junte militaire tente de jeter de la fumée dans les yeux de Bruxelles avec d’autres ouvertures et réformes de façade. Il s’est lancé dans une lutte contre la corruption mais en ne s’attaquant qu’aux « petits poissons » pour centraliser les quelques ressources laissées entre les mains (et les poches) des hauts responsables du régime. Il a fait croire qu’il avait diminué le pouvoir de la milice paramilitaire Imbonerakure, qui depuis 2016 avait également assumé le rôle de maintien de l’ordre à la place de la police. En réalité, les Imbonerakure continuent d’être le bras armé de la junte militaire, devenant cependant moins visibles, s’abstenant désormais des manifestations publiques qu’ils faisaient contre le Rwanda et l’Union Européenne.
La junte militaire a également pris ses distances avec un entrepreneur européen bien connu qui, depuis 2015, s’est ouvertement rangé du côté du régime racial à la fois pour des raisons économiques et pour partager l’idéologie de la mort HutuPower. Cette décision serait toutefois fondée sur son incapacité à mettre à disposition l’énorme financement promis et son amitié embarrassante avec le défunt dictateur Nkurunziza. On sait que lorsqu’un dictateur africain tombe en disgrâce, les Occidentaux trop attachés à lui subissent le même sort.

Ces évolutions trompeuses vers la démocratisation sont acceptées sans réserve par les « amis » des Généraux burundais à Bruxelles mais ne convainquent pas les associations internationales de défense des droits humains. « L’UE doit honorer ses engagements en faveur des droits de l’homme au Burundi » soulignent 12 associations internationales et burundaises de défense des droits de l’homme dans une lettre ouverte adressée au Haut Représentant et Vice-président et aux ministres des Affaires étrangères des États membres de l’Union Européenne.
« Malgré un certain nombre d’actes isolés du gouvernement burundais relatifs aux libertés publiques, le Conseil devrait maintenir sa position selon laquelle la progression durable et visible de l’ouverture de l’espace politique et civique et la lutte contre l’impunité sont indispensables pour résoudre les problèmes fondamentaux de droits de l’homme au Burundi. L’UE ne devrait pas se fier aux promesses de réformes des droits humains faites par les autorités burundaises et devrait plutôt insister sur le respect des critères concrets qui attestent de leur engagement à garantir la responsabilité et à entreprendre des droits humains respectueux », affirment les associations qui ont le mérite de toucher au cœur du problème.

L’Union Européenne pourrait décider de lever les sanctions contre le Burundi non pas sur la base d’un constat concret et impartial que la démocratie et le respect de tous les êtres humains sont véritablement respectés mais sur la promesse de le faire reçue par des Généraux dont un suspect à la Cour pénale internationale pour crimes contre l’humanité : le Maréchal Général Alain-Guillaume Bunyoni, actuel Premier ministre.
« La levée des sanctions ne serait pas négative si elle s’accompagnait d’une série de conditions jusqu’à présent d’un réel changement démocratique et d’un suivi efficace des progrès réalisés conjugués au retour immédiat aux sanctions en cas d’absence de réels changements. L’Union Européenne avec le Burundi a le couteau sur le côté du manche et est capable d’exercer une forte pression pour un changement radical. C’est juste une question de volonté politique », explique notre source diplomatique.

Malheureusement, le risque est fort que la décision de lever les sanctions ne repose pas principalement sur le respect des droits de l’homme et le lancement d’un véritable processus démocratique, mais sur la capacité du régime à garantir la stabilité nationale et régionale.
A l’heure actuelle, la junte militaire a peu de pouvoir pour stabiliser la situation en raison d’une lutte au sein du régime qui voit la faction des « colombes » dirigée par le Général Neva (alias Evariste Ndayishimiye) s’opposer violemment à la faction des faucons, dirigée par le Premier Ministre Bunyoni, fidèle allié politique des milices Imbonerakure et des terroristes des FDLR. Le soi-disant « président » a récemment déclaré à trois occasions publiques qu’il craignait d’être assassiné par ses « amis ». Il a même changé les unités de la Garde Présidentielle, remplaçant les soldats hutus contrôlés par les terroristes rwandais des FDLR par des unités de soldats tutsis revenus de Somalie où le Burundi participe à la force africaine de maintien de la paix : l’AMISOM.
La lutte pour le pouvoir (qui fera prochainement l’objet d’une enquête du Place ST Pierre) pourrait remettre en cause les “réformes” démocratiques tant attendues de l’Union Européenne. “Il existe un risque fort que le financement de l’UE, s’il est dégelé, n’aide pas à stabiliser le pays mais contribue à créer une escalade des conflits déjà évidente au sein du régime avec des résultats catastrophiques également pour la sécurité et la paix régionales”, prévient la source diplomatique.

Outre l’objectif de stabilisation du Burundi, l’Union eEuropéenne espère également reprendre la coopération économique pour entrer sur le marché lucratif des gisements de terres rares burundais. Selon les dernières recherches géologiques, le Burundi serait capable de produire plus de 5 000 mégatonnes de terres rares par an. La mine principale est située à Gakara, dans la province de Bujumbura. Les terres rares sont essentielles à la transition énergétique car elles sont nécessaires pour les aimants utilisés dans les véhicules hybrides et électriques, ainsi que pour les éoliennes. Selon un rapport de l’Agence internationale de l’énergie (AIE) publié en mai, la demande mondiale de terres rares pourrait augmenter de trois à sept fois d’ici 2040.
L’espoir de l’UE de favoriser la pénétration de ses sociétés minières sur le marché burundais est déjà compromise alors que la junte militaire est en train de conclure un accord avec la société minière sud-africaine Rainbow Earths pour l’exploitation des champs de Gakara qui est la seule mine de terres rares jusqu’à présent découvert en Afrique. L’accord est sur le point d’être signé, informe le directeur général de la société sud-africaine : George Bennet. « L’accord pour l’exploitation de la mine de Gakara sera certainement signé. Les dernières discussions sont en cours concernant la convention minière, les royalities et les taxes », déclare Bennet au site d’information African Report.

L’Union Européenne court le risque réel de sauver la junte militaire de l’échec économique sans réaliser aucun progrès dans les réformes démocratiques et le respect des droits de l’homme et l’exclusion des entreprises européennes des opportunités minières au Burundi. Outre la multinationale sud-africaine, d’autres partenaires économiques émergent au détriment de la concurrence européenne : Russie, Turquie, Egypte, Chine. Tous alliés de la junte militaire qui, contrairement à l’UE, ne donnent même pas un dollar d’aide mais concluent des accords économiques milliardaires.
Selon la source diplomatique, le principal acteur du projet de dédouanement de la junte militaire burundaise, malgré la continuité des violations systématiques des droits humains, est le Représentant de la Délégation de l’UE au Burundi : Claude Bochu. Une déclaration confirmée par les tweets officiels de Bochu pleins d’éloges au « gouvernement » burundais et à son soi-disant président qui s’écartent totalement de la sobriété qu’un diplomate devrait maintenir dans ses déclarations publiques. « Les déclarations de la junte militaire burundaise qui présentent la décision de lever les sanctions comme un fait déjà accomplis, sont principalement dues aux déclarations de Bochu qui laissent penser que l’Union Européenne a déjà pris la décision en faveur de la junte alors que le processus est encore en cours » signale notre source diplomatique.

Cependant, il reste à se demander si en maintenant les sanctions, car elle serait plus conforme à ses propres règles, l’UE ferait vraiment le bien de ce malheureux pays?

Fulvio Beltrami