Consultatif ou délibératif ? Le cardinal Coccopalmerio interroge la nature du Synode sur l’Amazonie

“La nature de la synodalité du Synode sur l’Amazonie. De consultatif à délibératif?” est le tire d’une tribune dans l’Osservatore Romano du 3 décembre du cardinal Francesco Coccopalmerio, président émérite du Conseil pontifical pour les textes législatifs :

Dans le document final du Synode sur l’Amazonie (26 octobre 2019), dans le chapitre V “Les nouveaux chemins de conversion synodales”, on rencontre des expressions qui attirent l’attention sur ce qui touche à la nature de la synodalité. Nous pouvons relire quelques affirmations: “pour marcher ensemble, l’Eglise d’aujourd’hui a besoin d’un conversion à l’expérience synodale. Il est nécessaire de renforcer une culture du dialogue, de l’écouté réciproque, du discernement spirituel, du consensus et de la communion pour trouver des espaces et des modes de décisions communes et répondre aux enjeux pastoraux” (n.88), “les formes d’organisations de l’exercice de la synodalité peuvent être variées,… en offrant un attention spéciale à la participation effective des laïcs dans le discernement et dans la prise de décision, en donnant du poids à la participation des femmes” (n.92), “les assemblées et les conseils pastoraux dans tous les environnements ecclésiastiques sont nés comme expression de la co-responsabilité de tous les baptisés dans l’Eglise… Nous reconnaissons la nécessité de renforcer et amplifier la place de la participation des laïcs, dans la consultation comme dans la prise de décision, dans la vie et la mission de l’Eglise” (n.94), “…on demande à ce que la voix des femmes soit écoutée, qu’elles soient consultées et participent à la prise de décision, et ainsi, qu’elles puissent contribuer avec leur sensibilité à la synodalité ecclésiale” (n.101).

L’écriture en italique est volontaire, pour souligner la reproduction de textes cités : la synodalité ecclésiale consiste, ou peut consister, en une “décision commune” ou en la “prise de décision” de la part des prêtres et fidèles qui agissent ensemble pour le bien de la communauté.

Dès lors qu’on affirme que les prêtres et les fidèles agissent de façon commune pour prendre les décisions, on affirme aussi que les fidèles prennent eux aussi, avec les prêtres, les décisions.

A ce stade, il est tout à fait normal de faire référence au Droit canon et au Code relatif aux organismes pour lesquels on parle de synodalité.

Outre le cas très spécifique du Conseil oecuménique (cann. 336-341), il y a : le synode des évêques (cann. 342-348), les conciles particuliers (cann. 439-446), le synode diocésain (cann. 460-468), le conseil presbytéral (cann. 495-502), le conseil pastoral diocésain (cann. 511-514), le conseil pastoral paroissial (can. 536). Dans toutes ces structures, la synodalité est en acte parce que à divers niveaux, les différents pasteurs et leurs différents fidèles réalisent une activité conjointe pour de la communauté ecclésiale.

Notons désormais avec une attention particulière que, en relation avec les structures ecclésiales que je viens d’énumérer, le Droit canon s’enquiert de préciser : “ils ont un vote uniquement consultatif”. C’est le cas pour le synode diocésain (can. 466), e conseil presbytéral (can. 500, § 2), le conseil pastoral diocésain (can. 514, § 1), ainsi que pour le synode des évêques (cann. 342-343) ou enfin, pour certains membres des conciles particuliers (cann. 443, § § 3-5; 444, § 2).

Je me permets une rapide remarque pour comprendre au mieux cette précision du Droit canon. Dans la structure d’une activité ou d’un vote consultatif, deux sujets sont en jeu et en relation. L’un est appelé le consultant, l’autre le délibérant. Le consultant est celui qui donne des conseils au délibérant et suggère ce qu’il y a de mieux à faire. Le délibérant est celui qui reçoit les conseils du consultant et prend ensuite la décision sur ce qu’il faut faire.

Dans le cas particulier d’une consultation ecclésiale, le consultant ce sont les fidèles et le délibérant le prêtre: les fidèles donnent les conseils, le prêtre prend les décisions.

Cependant, les textes du Synodes, comme nous l’avons constaté, affirment à plusieurs reprises que les laïcs prennent aussi des décisions avec les prêtres.

Même si, évidemment, les textes synodaux ne s’expriment de façon aussi technique et précise que le langage canonique, il faut tout de même constater que ces textes contredisent la précision du Droit canon qui se font donc opposition: même les fidèles, avec les prêtres, prennent des décisions.

Eh bien, comme il est évident de dire que prendre des décisions signifie délibérer, il l’est d’affirmer que le fait que les fidèles qui ne donnent pas seulement des conseils mais prennent aussi des décisions avec les pasteurs, signifie, pour les fidèles, passer du consultatif au délibératif. Du consultatif du Droit canon, au délibératif du Synode.

La différence conceptuelle est sous nos yeux. Que peut-il donc se passer ? Si le Pape acceptait les conseils offerts par le Synode, le code de Droit canon changerait-il ? Je pense que c’est une possibilité, mais, avec certaines précisions, que je formule en répondant à une objection née spontanément dans mon esprit de canoniste: mettre en oeuvre une transition du consultatif du Droit au délibératif du Synode est-ce possible, c’est à dire légitime, en considérant avant-tout la structure de l’Eglise ?

La réponse à l’objection et les précisions annoncées plus haut, ne sont finalement pas si difficiles. Là aussi, je me permets une petite remarque. Dans la structure de l’activité oud du vote de délibération, les personnes sont en jeu, et forment pourtant une unité, un sujet unique et donc un seul sujet délibérant. Dans les textes du Synodes que nous avons cité, le pasteur et les fidèles forment avec lui un unique sujet, qui pourrait être appelé, lorsqu’il prend des décisions, “entité commune délibérante”.

Or, comment agit une entité commune délibérante ? Résumons. Chaque composant du sujet accomplit un acte volontaire et l’exprime à travers un vote, qui forme, par la majorité des votes, une volonté unie, qui est la volonté de l’entité et donc la délibération elle-même (tel que la délibération normale ou civile). Cependant, puisque le pasteur a une position supérieure, d’un point de vue hiérarchique, à celle des autres fidèles, il a la position de chef, le vote du pasteur a par conséquent, une valeur supérieure au vote des fidèles et ainsi la délibération de l’entité consiste à atteindre la majorité des voix à laquelle s’ajoute la voix du pasteur qui, c’est évident, doit être libre (comme l’est la délibération ecclésiale).

En d’autres mots, dans la “délibération ecclésiale” d’une entité commune délibérante, pour que la délibération de l’entité même soit réelle, la majorité des votes ne suffit pas, il est essentiel que s’y ajoute la voix concordante, et libre je répète, du prêtre.

En résumé, il me semble que cette notion soit raisonnable et donc adoptable. En effet d’un côté, rien n’est retiré à la position du pasteur dont le vote reste déterminé, alors que, d’un autre côté, cela souligne au mieux que la délibération vient de tous les membres de la communauté, c’est à dire précisément de l’entité commune délibérante. Surtout, il n’est pas vrai de dire, justement en cette période de discernement pastoral qui comprend une délibération, qu’il y a une nette séparation entre pasteurs et fidèles, par le fait que seuls les prêtres assurent la délibération alors que les fidèles en sont exclus apparaît insuffisant pour mettre en oeuvre une synodalité satisfaisante. En revanche, la pleine unité ente prêtre et fidèles se vérifie, je répète, dans le moment culminant, et apparaît appropriée pour mettre en acte une synodalité satisfaisante.

Cardinal Francesco Coccopalmerio pour L’Osservatore Romano.