La Russie va-t-elle reconquérir l’Afrique ? Poutine sur les traces de Khrouchtchev (Fulvio Beltrami)

Vingt ans après l’arrivée au pouvoir de Vladimir Poutine, la Russie réaffirme son influence en Afrique sur les plans économique, politique et diplomatique. Rien ne semble être laissé au hasard. Moscou, avec une grande habileté, place ses pions sur le continent dans les secteurs public et privé, devenant une réalité difficile à ignorer.

Le retour de la Russie en Afrique nous oblige à nous poser la question : quels sont les intérêts de Moscou, les moyens employés et la stratégie appliquée pour réaffirmer son influence sur le continent africain ?

Nous proposons aux lecteurs du Place ST Pierre ce documentaire édité par “Terre de France” qui, loin des condamnations morales qui cachent souvent les intérêts de propagande des “démocraties” occidentales contre le danger historique russe (Tsariste, Bolchevique et désormais Poutinien), explique la résurgence de la Russie en Afrique en nous offrant une analyse politique et économique lucide et impartiale.

Depuis la chute de l’Union Soviétique, la présence russe en Afrique est marginale. Aujourd’hui, la Russie est de retour, redessinant les jeux géostratégiques d’une situation déjà complexe dominée par la présence de la Chine et le déclin des puissances coloniales occidentales.

Historiquement, l’Afrique a joué un rôle mineur pour la Russie. A l’époque du Tsar, la présence russe sur le continent était pratiquement nulle. Pendant l’ère soviétique, après la Seconde Guerre mondiale (où l’Afrique était occupée par les puissances occidentales), Staline s’est concentré sur l’Europe de l’Est, la région du Caucase et, par la suite, le Moyen-Orient, ignorant l’Afrique. C’est après l’ère stalinienne que Nikita Khrouchtchev est intervenu sur le continent en pleine guerre d’indépendance, conscient de l’impossibilité de conquérir d’autres zones d’influence en Europe.

Khrouchtchev lance de nombreux partenariats stratégiques en Algérie, en Angola, au Bénin, au Burkina Faso, en Égypte, à Madagascar, au Mozambique, en Afrique du Sud et dans les pays du Maghreb. Des partenariats également promus en collaboration avec Cuba. Moscou et La Havane se sont personnellement impliqués dans les glorieuses luttes pour l’indépendance contre le colonialisme portugais en Angola, en Guinée-Bissau et au Mozambique. Nikita a structuré la présence soviétique au niveau économique, idéologique, militaire et diplomatique.

C’est sur le plan diplomatique que Nikita donne le meilleur de lui-même, rendant de grands services aux pays africains. C’est grâce à l’Union Soviétique que chaque pays africain, à peine libéré du joug colonial, a obtenu un siège à l’Assemblée Générale des Nations Unies. Par ce geste, l’Union Soviétique a obtenu en échange le fort soutien des pays africains sur des nœuds internationaux cruciaux en opposition aux États-Unis et aux pays du Pacte Atlantique, y compris la condamnation de l’invasion américaine de Cuba (Baie des Cochons) et de la crise de missiles ultérieure toujours à Cuba.

Moscou a mis l’accent sur la coopération militaire en envoyant des conseillers et des mercenaires pour aider les jeunes États africains déstabilisés par la CIA à rétablir le contrôle de leurs territoires et la paix. Le continent africain est devenu un important marché d’exportation d’armes, jetant les bases de la situation actuelle où la Russie est le principal fournisseur d’équipements militaires de l’Afrique.

L’effondrement de l’Union Soviétique a marqué la fin de la présence russe en Afrique. Les centres culturels soviétiques ont été fermés, les échanges économiques bloqués, les aides supprimées et les dettes réclamées.

Le grand retour de la Russie

Après la chute de l’Union Soviétique, il a fallu 5 ans pour retrouver sa présence stratégique sur le continent. En 1999, la Russie a décidé d’annuler 5 milliards de dollars de dette contractée par l’Angola en échange d’exportations d’armes et de droits d’exploitation pétrolière et minière. En 2001, la totalité de la dette contractée par la Guinée Bissau a été annulée en échange de plusieurs contrats commerciaux privés. En 2006, Moscow annule la dette contractée par l’Algérie en échange d’un contrat de vente d’armes estimé à plus de 4 milliards de dollars. En 2008, la Russie a annulé la dette libyenne en échange de contrats d’armement qui n’ont pas été honorés en raison de la chute du Colonel Kadhafi décidée et exécutée par les États-Unis, la France et l’OTAN, provoquant une perte nette de 4,2 milliards de dollars. En 2013, un partenariat stratégique a été signé avec l’Egypte.

Contrairement aux lieux communs en Occident, c’est la Russie et non l’Union Européenne et les États-Unis qui a commencé à annuler la dette extérieure africaine. Les puissances occidentales, le FMI et la Banque Mondiale ont été contraints d’imiter Moscou en renonçant à la puissante arme du chantage à la dette pour imposer des politiques économiques libérales dévastatrices en Afrique. La situation actuelle de privatisation de la santé et de l’éducation est la conséquence de ces politiques libérales imposées. Un autre mythe démystifié est la politique du « soft power » de la Chine en Afrique. C’est Moscou et non Pékin qui a adopté pour première cette stratégie en coopérant avec quelque régime africain que ce soit : démocratique, semi-démocratique ou dictatorial. La Chine a emboîté le pas.

La Russie refusera de promouvoir l’aide humanitaire considère par Moscow comme un cheval de Troie pour les puissances occidentales afin de maintenir la domination coloniale en Afrique. Après 40 ans, la coopération montre toutes ses limites et il n’y a pas eu d’impacts d’amélioration socio-économique en Afrique. Les bailleurs de fonds ont abandonné les secteurs clés d’intervention : la santé, l’éducation et l’agriculture pour revenir aux « problèmes critiques » créés par eux même : réfugiés de guerre ou flux migratoires illégaux. La majorité des ONG sont devenues un moyen de gagner de l’argent en exploitant mêmes leurs volontaires et le personnels nationaux africains, ainsi qu’un débouché pour le chômage des jeunes européens.

La majorité des gouvernements et des populations africaines nourrissent désormais des sentiments hostiles envers les ONG et les Bailleurs accusés d’avoir créé un énième Business sur la peau des Africains. En appliquant la résistance passive de la période coloniale, les autorités africaines, les commerçants et le personnel local tentent d’exploiter les ONG en accaparant une partie du « butin » avec une augmentation exponentielle de la corruption et l’échec de la plupart des interventions humanitaires. Des phénomènes qui épargnent les ONG catholiques et protestantes considérées par les Africains comme toujours valables grâce à leurs actions concrètes précisément dans les secteurs clés : la santé, l’éducation et l’agriculture.

Au lieu de la charité, Moscou favorisera les contrats économiques, militaires et énergétiques. Les résultats de cette politique ne se sont pas fait attendre. En 2014, la majorité des pays africains ont soutenu l’annexion de la Crimée à l’Assemblée Générale des Nations Unies et s’est opposé aux sanctions contre la Russie proposées par les États-Unis et l’Union Européenne.

La présence russe sur le continent n’est pas homogène. Moscou a identifié des zones d’intérêt géostratégique. Des relations privilégiées sont entretenues avec l’Algérie, l’Egypte, le Mali, le Maroc, le Nigeria, le Soudan, l’Afrique du Sud, la Tunisie. Ces pays représentent 80% des 100 milliards de dollars d’échanges enregistrés entre la Russie et l’Afrique de 2014 à 2018. Les principaux secteurs d’exportation sont l’armement, l’aéronautique, la marine, l’énergie (gaz, pétrole et nucléaire), les minéraux rares et les services. Ces échanges placent la Russie au sixième rang du partenariat économique avec l’Afrique, loin de la Chine, de la France, de la Grande-Bretagne et des États-Unis. Cependant, Moscou enregistre la deuxième position de croissance exponentielle des échanges économiques immédiatement après la Chine.

Une stratégie publique et privée

La Russie n’a pas une puissance économique suffisante pour s’appuyer sur l’État pour sa collaboration en Afrique. Pour combler ce déficit, elle recourt régulièrement à des joint-ventures entre secteurs public et privé, dont Rosatom pour les partenariats liés au nucléaire et Gasprom pour les hydrocarbures. La stratégie publique et privée a été copiée directement de la France assurant d’excellents résultats. Le secteur privé russe est devenu le principal vecteur de l’influence russe en Afrique.

Compte tenu de l’importance géographique et des ressources naturelles du continent, elle oblige les puissances mondiales à faire un « nid » en Afrique avant qu’il ne soit trop tard, au risque d’être exclues du prometteur marché africain et du quatrième pôle économique mondial. Des acteurs comme la France, la Grande-Bretagne et les États-Unis ont du mal à rivaliser avec des pays comme la Chine, la Russie, l’Inde. Des puissances émergentes qui privilégient la neutralité dans les négociations, le principe de non-ingérence vis-à-vis par exemple de l’Union Européenne et des États-Unis qui se fondent sur le renforcement de la démocratie et des droits de l’homme.

Valeurs universelles non appliquées d’office mais selon les circonstances, tolérant ou non les régimes totalitaires africains. Par exemple, après la mort du dictateur tchadien Idris Deby Itno, la France a toléré l’arrivée au pouvoir de son fils et la perpétuation du régime dictatorial aux mains de la minorité ethnique Zagawa. Au Burundi, l’Union Européenne réfléchit à la levée des sanctions économiques contre la junte militaire malgré le fait qu’aucun changement substantiel n’est intervenu dans le domaine de la démocratie, de la liberté de la presse et de la défense des droits humains.

En Afrique, la Russie est en conflit direct avec la Chine, qui depuis dix ans a perdu le continent d’assaut en déployant des moyens financiers que les secteurs privé et public russes ne peuvent imiter. La stratégie russe de contenir la Chine est simple. Se présenter comme un partenaire fort et expérimenté dans les domaines clés de l’armement, de la coopération militaire, des hydrocarbures, des minéraux et du nucléaire.

Elle joue aussi sur le sentiment anticolonial africain qui lui a permis de créer des zones d’influence fortes dans des fiefs français comme le Mali ou la République Centrafricaine, se présentant comme le garant de leur souveraineté. Pour convaincre les gouvernements africains du bien-fondé de la protection russe, Moscou présente le portefeuille de son engagement à protéger la Syrie contre les multiples tentatives de déstabilisation menées par les puissances occidentales, en s’engageant militairement dans le conflit syrien qui dure depuis dix ans.

En Afrique, la Russie s’inscrit dans l’héritage de l’Union Soviétique, promouvant un monde multipolaire. Moscou a été le premier à comprendre que l’Afrique jouera un rôle plus important dans l’économie mondiale dans les décennies à venir mais aussi pour l’économie russe.

 

 

Fulvio Beltrami