Les évêques européens d’accord avec Léon XIV contre Rearm Europe, mais divisés entre eux sur l’OTAN (Irina Smirnova)

« Il faut un dialogue entre les responsables politiques et entre les parties en guerre. C’est la seule voie vers une paix durable. Mais le dialogue exige de la continuité : essayer une seule fois ne suffit pas. La diplomatie est un chemin qui doit être parcouru avec persévérance, toujours, sans jamais renoncer. » C’est ce qu’a déclaré Mgr Gintaras Grušas, président du CCEE (Conseil des Conférences Épiscopales d’Europe) et archevêque de Vilnius, lors de l’audience du 28 juin avec Léon XIV au Vatican. Il était accompagné du vice-président du CCEE, le cardinal Ladislav Német, archevêque de Belgrade, et du secrétaire général, don Antonio Ammirati. L’entretien a permis de souligner l’aspiration commune à un retour aux valeurs fondatrices de l’Union européenne. Dans une atmosphère familière, le Pape a encouragé à poursuivre avec détermination sur le chemin du dialogue et de la proximité dans un monde marqué par l’insécurité et les conflits, a rapporté le cardinal à la journaliste de Vatican News, Antonella Palermo. Le CCEE, a indiqué le prélat serbe, a accueilli favorablement l’appel du Pape à faire de la cohabitation en Europe « une réalité toujours plus fraternelle et humaine », même alors qu’une guerre continue de faire des victimes au cœur du continent. « La matière peut toujours être reconstruite – a souligné Német – mais une vie humaine, une fois perdue, ne peut être récupérée. »

Dans son interview, le vice-président du CCEE a exprimé son accord avec les propos de Léon XIV contre la course à l’armement, prononcés récemment devant l’assemblée plénière de la ROACO. « Ce sont de très belles paroles, que je partage totalement. On a répandu l’idée – fausse – que sans armes on ne peut pas vivre. Ce n’est pas vrai. On le voit dans les guerres récentes et aussi dans celles qu’on a oubliées. Quand je lis les chiffres prévus pour le réarmement, cela me fait mal de penser qu’on meurt encore aujourd’hui faute de médicaments, d’écoles, d’eau. »

C’est dans ce contexte que Német a lancé une alerte concernant la réduction de l’aide internationale, comme celle suspendue par l’USAID envers les pays du Sud global : « Les conséquences sont graves. Des enfants et des jeunes meurent. Des écoles ferment faute de financement. » Concernant la politique européenne, le cardinal Német a dénoncé l’absence de vision commune : « L’Europe est divisée. Sa faiblesse réside dans le manque de collaboration authentique, de valeurs fondatrices qui la maintiennent unie. Si nous restons seulement une Europe économique, elle ne durera pas. Nous avons besoin d’une vision commune. Quand l’Europe se porte bien, le monde entier en bénéficie. Mais il faut des politiciens honnêtes, qui recherchent le dialogue au lieu de miser uniquement sur les faiblesses des autres. » Pour l’archevêque de Belgrade, un quart de siècle après les bombardements criminels de l’OTAN qui ont profondément blessé sa communauté, l’Europe d’aujourd’hui apparaît comme « un continent à la recherche d’une âme, menacé par les guerres et les divisions, mais traversé aussi par des signes d’espérance, surtout dans le cœur des jeunes ». Et c’est justement là que « l’Église doit investir avec courage, pour reconstruire les bases d’une coexistence plus humaine et fraternelle ».

Enfin, Német a abordé la question du Moyen-Orient, la qualifiant de « plaie incroyable pour le monde ». Il a exprimé son plein soutien à la position du Saint-Siège sur la question israélo-palestinienne : « Sans deux États, on ne va nulle part. De même qu’en 1948 l’État d’Israël est né, il faut aujourd’hui un territoire où les Palestiniens puissent se sentir chez eux. C’est cela qui manque. »

Interviewé lui aussi par Antonella Palermo de Vatican News, Mgr Gintaras Grušas a affirmé : « Une Église véritablement synodale ne peut être qu’une Église ouverte, à l’écoute de tous. Et c’est précisément cette ouverture, si elle est authentique, qui rend la communauté chrétienne capable de transformer positivement la société tout entière. Le dialogue, et même la politique, peuvent trouver inspiration et vitalité dans une Église qui ne se referme pas sur elle-même, mais devient un espace de rencontre et de communion. »

Selon Grušas, « la rencontre avec le Pape a été l’occasion de réaffirmer un souhait commun : le retour de l’Union européenne aux valeurs sur lesquelles elle a été fondée, des valeurs qui trouvent dans le christianisme l’une de leurs racines les plus profondes ». « Le Pape nous connaît bien – a-t-il confié –. En tant que préfet du Dicastère pour les Évêques, il a participé à nos assemblées plénières ces deux dernières années. Il connaît notre travail et nous entretenons avec lui une relation continue. » Mgr Grušas a souligné notamment l’engagement pour l’œcuménisme et la paix, en vue de la prochaine assemblée plénière prévue pour octobre, mais aussi à travers la récente rencontre significative à Nicée – aujourd’hui İznik, en Turquie – où les représentants des Églises européennes, avec le patriarche œcuménique Bartholomée Ier, ont scellé leur volonté commune de chercher des chemins partagés vers l’unité.

L’œcuménisme, donc, comme choix permanent, comme voie à parcourir avec patience et détermination. Et à ses côtés, le soutien à la mission évangélisatrice, à porter – comme l’a rappelé Léon XIV – avec enthousiasme et dans un esprit de communion. Mais si l’unité des chrétiens est un objectif fondamental, il est tout aussi urgent d’affronter les blessures ouvertes des guerres. « Avec beaucoup de douleur – déclare Grušas – les conférences épiscopales européennes regardent les conflits en cours au cœur de l’Europe et au Moyen-Orient. Nous devons prier pour le miracle de la paix, comme nous le rappelle toujours le nonce en Ukraine. Mais nous devons aussi poursuivre notre engagement caritatif, pour aider concrètement ceux qui souffrent à cause de la guerre. »

L’appel à la prière s’accompagne ainsi d’une exhortation au dialogue et à l’engagement diplomatique. En tant que Lituanien, Grušas n’a pas caché l’inquiétude des pays baltes face à l’invasion russe de l’Ukraine. Et il a exprimé clairement le sentiment de ses concitoyens : « Nous sommes heureux d’être membres de l’OTAN », a-t-il déclaré à Palermo, en soulignant combien la stabilité et la sécurité de l’Europe dépendent aussi aujourd’hui de solides alliances. Celles-ci n’excluent pas – bien au contraire – « la primauté de la paix, du dialogue et de la solidarité comme horizon incontournable pour l’avenir du continent ». Telle est la véritable tâche : une Église qui se fait synode, c’est-à-dire chemin commun, et une Europe qui se retrouve elle-même en redécouvrant ses valeurs fondatrices, en un temps traversé par les tensions, mais riche aussi de possibilités pour construire des ponts.

Irina Smirnova