Hier dans l’avion, le pape François a confirmé le voyage au Soudan du Sud avec le primat anglican Welby comme imminent mais a reporté d’un an le voyage en RDC, qui devait être la deuxième étape du même pèlerinage apostolique. Diplomatiquement expliqué le runvio avec la saison des pluies. Mais l’aggravation des tensions ethniques qui rendent possible une guerre avec le Rwanda et poussent les forces onusiennes à quitter le pays, excluant pour l’instant les déplacements.
Après trois jours (25, 26 et 27 juillet) de manifestations contre les installations de la Mission des Nations Unies pour la stabilisation du Congo (MONUSCO), le calme est partiellement revenu au Nord-Kivu, province orientale de la République Démocratique du Congo (RDC) .
A Beni, la dernière tentative d’attaque de la base des Casques bleus dans la matinée du jeudi 28 juillet a été pour une fois repoussée par la police congolaise. Qu’en réalité peu ou rien n’avait été fait pour empêcher les troubles des jours précédents dans les villes de Goma et Butembo, incendiées par des groupes de jeunes qui s’étaient emparés des casernes des militaires de l’ONU en les détruisant et en les pillant, ils avaient incendié de nombreux véhicules de la Mission et endommagé les domiciles privés des officiers.
Dix jours plus tôt à Goma, le président du Sénat – c’est-à-dire le numéro deux du régime, en théorie -, Modeeste Bahati Lukwebo, avait harangué la foule en disant que « la MONUSCO doit plier bagages » et en ajoutant : « Il faut utiliser tous les armes possibles pour le faire quitter du pays”
Organisée par certains groupes extrémistes de la « société civile » du Nord-Kivu, comme les Veranda Mutsanga à Butembo et les Lucha à Goma, connus pour leur xénophobie et une haine virulente des communautés tutsi congolaises, la mobilisation s’est déroulée sur la parole d’ordre de départ immédiat et sans condition des casques bleus.
Ses promoteurs ont misé sur l’exaspération populaire contre la MONUSCO qui, en 22 ans de présence au Congo, s’est révélée incapable de remplir sa fonction de protection des civils. Entre début 2017 et le mois d’avril de cette seule année, plus de 7 380 personnes ont été tuées dans l’est de la RDC par des gangs tribaux armés, dont les liens avec l’armée régulière (FARDC) étaient toutefois plus ciblés mis en évidence par les rapports de l’ONU.
D’une rare violence, les affrontements, notamment les mardi 26 et mercredi 27 juillet, ont fait trois victimes dans les rangs du personnel onusien (un militaire et deux policiers) et une vingtaine de manifestants qui accusent l’Organisation des Nations Unies (ONU) d’avoir tiré à vue niveau contre la foule. Cela a été démenti par Kassim Diagne, représentant spécial du Secrétaire Général de l’ONU (SGNU) en RDC, qui a souligné que les trois membres du personnel de Washington ont été tués par des armes volées à la police congolaise. D’autre part, de nombreux agents de l’État en uniforme ont été vus et photographiés en train de participer au pillage.
Dans la soirée du 28, les membres du Conseil de Sécurité des Nations unies (CSNU) ont souligné dans un communiqué que “les attaques délibérées contre les casques bleus peuvent constituer des crimes de guerre au regard du droit international”.
Deux problèmes restent donc en suspens. Tout d’abord et suite au démenti de Kassim Diagne, il est légitime de se demander : si ce ne sont pas les soldats de l’ONU, qui ont tiré sur les manifestants ? Ensuite, et surtout : comment expliquer une contestation d’une telle radicalité, qui a duré plus de 48 heures, dans deux centres importants, plus d’autres mineurs, dans une province, le Nord-Kivu, où l’État est en vigueur depuis 14 mois l’état du siège? Et où, depuis le 6 mai 2021, il n’y a plus eu de manifestations parce que le gouverneur militaire, le Général Constant Ndima Kongba, homme à la poigne de fer et aux pleins pouvoirs, a interdit toute forme de réunion publique ?
Dans les slogans et banderoles portés par les militants les plus engagés qui ont mené les affrontements, outre la MONUSCO et en dehors des habituelles incitations à la violence contre les membres des communautés tutsi, le président Tshisekedi, le Rwanda et tous les États de la Communauté d’Afrique de l’Est (EAC) ont été visés – tous accusés d’être parmi les auteurs des violences subies par les populations du Nord-Kiv -, mais jamais les FARDC, qui sont donc les premiers à être considérés parmi les auteurs directs et indirects de ces violences.
Or, que certains officiers supérieurs de l’armée soient les inspirateurs de la contestation anti-MONUSCO est plus qu’une hypothèse. Cependant, l’objectif poursuivi ne serait pas la sortie de la Mission, mais plutôt celui de faire pression sur elle pour engager toutes ses forces dans la guerre que les FARDC ont choisie comme option pour résoudre la crise avec la rébellion du M23. Guerre que les FARDC elles-mêmes sont incapables de supporter seules. En fait, on aimerait un remake de 2013, lorsque le M23 a été contraint de se replier en Ouganda suite à l’intervention de la Brigade spéciale de l’ONU (FIB).
Sauf que, neuf ans après cet épisode, le cadre géopolitique de la région n’est plus le même et dans les hautes sphères du Département des Opérations de Maintien de la Paix (DOMP) la voie des négociations à Nairobi (Kenya) est privilégiée pour parvenir à un accord entre les gouvernement de Kinshasa et le M23.
Aussi parce que, et contrairement aux événements qui ont suivi la rébellion des le M23 en 2012-2013, les accusations portées contre le Rwanda comme soutenant les insurgés n’étaient pas considérées comme crédibles par la communauté internationale (CI) dans son ensemble. A la tête de la MONUSCO, la représentante spéciale du SGNU en RDC, la Guinéenne Bintou Keïta, a précisé que la Mission ne s’engagerait pas pleinement dans une guerre contre le M23, expliquant que la nature de ce mouvement n’est pas celle d’un mouvement armé mais d’une armée conventionnelle. Et d’ajouter qu’il n’entre pas dans les compétences de la Mission de combattre une armée conventionnelle…
C’est ainsi que, dans le bras de fer entre les FARDC et la MONUSCO, les faucons de l’armée congolaise, ceux qu’on appelle à Kinshasa les « généraux intransigeants », parmi lesquels les figures de l’inspecteur général Gabriel Kumba Amisi, dit « Tango Four » et de Frank Ntumba, chef de la « maison militaire » du président de la République, l’affrontement entre les deux entités alliées a atteint un point où il peut dégénérer, comme le montrent ces derniers faits.
Lors des événements de fin juillet, l’armée congolaise a manipulé le mécontentement populaire en utilisant l’association juvénile Lucha et la Veranda Mutsanga comme accessoires. Et ils n’ont pas hésité à jouer la carte de la violence de rue jusqu’au bout en mobilisant dans les manifestations des petits groupes de combattants Maï Maï et FDLR, tous unis par la haine contre les Tutsis congolais. Il est significatif qu’à Butembo, la Véranda ait au fil des événements lancé le slogan « Opération zéro Tutsi au Kivu ». Selon certains témoins, lors des affrontements, les FDLR auraient exercé une fonction précise de provocation, tirant sur les manifestants. Ce qui expliquerait le nombre élevé de victimes dans leurs rangs.
Quant à la MONUSCO, la Mission a toujours endossé, avec un silence plus que complice, tous les abus du régime depuis l’époque de la présidence de Joseph Kabila. De la falsification systématique des bulletins de vote aux crimes de guerre commis par les FARDC, le silence de l’ONU est devenu souverain et ne manque pas de soutenir une armée qui fait la guerre aux civils que ladite Mission devrait protéger.
Par conséquent, dire qu’aujourd’hui la MONUSCO se retrouve piégée dans le mécanisme qu’elle a choisi est un euphémisme…
Luigi Rosati