Xi Jinping en Europe: le courage de faire un pas en avant. La trêve olympique et l’intérêt global chinois (J. Palalic)

Ursula von der Leyen, president of the European Commission, right, Emmanuel Macron, France's president, left, and Xi Jinping, China's president, center, following their meeting in Paris, France, on Monday, May 6, 2024. The French government will sign a wide-ranging pact with the automotive industry on Monday that sets new targets for electric vehicle sales, just as Xi arrives for a state visit clouded by trade tensions in the sector. Photographer: Nathan Laine/Bloomberg

La visite du président de la République populaire de Chine en Europe est assurément un événement politique de haut niveau. Non seulement parce qu’il s’agit du dirigeant de l’une des deux superpuissances mondiales, ni parce qu’il s’agit de l’une des deux nations les plus peuplées du monde, mais aussi en raison du calendrier de la visite et des destinations européennes soigneusement choisies où le dirigeant chinois résidera. Chacune de ces destinations envoie un message très clair aux différents acteurs mondiaux, indiquant sans équivoque les priorités chinoises sur le “vieux continent”. Paris, Belgrade et Budapest ont certainement un point commun aux yeux des Chinois. Chacune de ces nations, indépendamment de leur position géopolitique différente et de leur puissance politique et économique, cherche à mener une politique indépendante vis-à-vis de l’actuel Washington en particulier, mais aussi de l’administration bruxelloise. La France a affirmé le concept d'”autonomie européenne” et les intérêts européens, notamment vis-à-vis de la Chine et de la Russie. Budapest, au sein de l’Union européenne et de l’OTAN, s’oppose à l’imposition d’idéologies étrangères et cherche à maintenir une position neutre dans le conflit en Ukraine, tandis que ma patrie, la Serbie, positionnée en dehors des intégrations occidentales, défend le droit international et l’intégrité territoriale des États, rejetant les doubles standards de la politique mondiale et cherchant à mener une politique totalement indépendante en accord avec les intérêts nationaux.

À Paris, le dirigeant chinois arrive à l’occasion du jubilé des relations diplomatiques entre les deux pays, établies à l’initiative du général De Gaulle, le plus grand défenseur de l’autonomie européenne, envoyant un message en particulier à l’Allemagne, qui est évitée lors de cette tournée européenne, en ce qui concerne sa politique actuelle.

À Belgrade, Xi Jinping arrive le jour du 25e anniversaire du bombardement de l’ambassade de Chine par l’armée de l’air américaine, indiquant clairement à l’administration américaine que cette agression n’a pas été oubliée et que la Chine se souvient de sa dignité et la défend. À cette occasion, je voudrais m’attarder sur un aspect de la visite à Paris qui n’a pas reçu d’importance particulière, même si, s’il se concrétise, il pourrait avoir de nombreuses conséquences significatives. En général, tous les analystes ont prêté attention aux questions économiques et aux différences entre les deux parties concernant le déséquilibre des relations économiques, les prix de dumping et les fermetures de marchés, les voitures électriques chinoises et le cognac français.
Ces questions sont particulièrement mises en exergue du côté français, de manière très spécifique et parfois tranchante. Cependant, la question de la guerre en Ukraine, bien que présente, est restée quelque peu indéterminée.

Le président chinois a rejeté toute responsabilité chinoise dans ce conflit, affirmant clairement les positions chinoises sur le chemin de la paix. L’appel équilibré de Macron à la Chine pour qu’elle joue un rôle constructif vis-à-vis de la Russie en matière d’armement et de poursuite de la guerre a été en partie sapé par la rhétorique très dure de la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen, qui faisait partie de l’agenda pour présenter les positions de Bruxelles, mais aussi en partie de Washington, compte tenu de sa proximité connue avec l’administration Biden.

Ce qui est frappant, c’est l’insistance du président français sur la coordination sur cette question avec la partie chinoise et le dialogue constant, ainsi que ses remerciements au président chinois pour être venu à Paris avant la visite du président russe afin d’écouter les points de vue et les positions de l’Europe. Et puis, dans cette atmosphère de débats économiques passionnés et de débats politiques équilibrés, est venue l’initiative surprenante du président Xi de proclamer une trêve dans tous les conflits mondiaux pendant les Jeux olympiques de Paris.

Cette initiative, qui peut être considérée comme un geste de courtoisie à l’égard de l’hôte français, dont le pays accueille ces jeux et qui l’a acceptée avec reconnaissance, soulève de nombreuses questions et dilemmes, notamment en ce qui concerne le conflit en Ukraine. La première question concerne le rôle de la Chine et de la France dans la proposition de trêve aux parties en conflit. L’intérêt absolu de la France est la fin de la guerre, avec un soutien aux positions de Kiev sur la question de l’intégrité territoriale. Tout le ton agressif de la France à l’égard de la Russie au cours des derniers mois a consisté à faire pression sur Moscou pour qu’elle entame des négociations et mette fin à la guerre.

La France se présente ainsi comme le défenseur d’une politique européenne indépendante qui veut un compte-rendu clair avec la Russie afin de construire une nouvelle architecture de sécurité européenne après la guerre.
Une trêve de près de deux mois sur le front arrêterait l’avancée russe et créerait un espace pour d’éventuelles négociations. La position et l’intérêt de la France à l’égard de la trêve sont clairs.

Mais où se situent les intérêts chinois dans cette trêve, compte tenu du soutien fort de la Chine à la Russie ?Il faut d’abord se poser quelques questions sur la relation de la Chine avec ce conflit.Bien qu’il ait été clair dès le départ que la Chine se rangerait du côté de la Russie, ses positions ne sont pas tout à fait en phase avec les objectifs russes en Ukraine.En raison de la question de Taïwan, la Chine ne peut soutenir aucun séparatisme, ce qui est le principal objectif de la Russie dans l’est de l’Ukraine.

La proposition chinoise de paix de l’année dernière n’envisageait pas la sécession des zones contestées, mais elle ne prévoyait pas non plus le retrait des troupes russes, ce qui laissait une marge de manœuvre pour définir le statut de ces territoires ultérieurement, par le biais de nouvelles négociations.D’autre part, la Chine a d’énormes intérêts économiques en Occident, comme l’a confirmé cette visite à Paris. Le président chinois a lui-même déclaré que l’Europe était la partie la plus importante de la politique étrangère chinoise. Par conséquent, cette initiative de trêve de la Chine soulève un certain nombre de questions concernant les intérêts et les objectifs de Pékin, car la Chine souhaite relancer son économie par le biais d’investissements européens et d’un meilleur accès au marché européen, dont la croissance s’est ralentie ces dernières années.

Ainsi, cette initiative de trêve soulève la question de savoir si Pékin procédera à la mise en œuvre concrète de la proposition de trêve, ou s’arrêtera-t-elle à l’appel ?En d’autres termes, demandera-t-il à Moscou d’accepter la trêve alors que la Russie se prépare à une offensive majeure. Au vu de la situation sur le front et de la position de la partie ukrainienne, cette trêve serait plus favorable à Kiev qu’à Moscou.Il faudra certainement attendre la visite de Poutine à Pékin pour voir si un accord a été trouvé à Paris entre Xi Jinping et Macron, y compris la résolution des importants différends commerciaux et économiques, qui affectent certainement la Chine, pour voir si la Chine, à travers ses mécanismes d’influence sur la Russie, demandera à Moscou d’arrêter le conflit sur le front.
Cependant, cette initiative de trêve soulève la question de savoir comment elle sera accueillie, peut-être même par l’acteur le plus important du conflit ukrainien : Washington.Ayant eu du mal à trouver un consensus interne sur l’aide à apporter à l’Ukraine pour poursuivre la guerre, la question se pose de savoir si une telle initiative sino-française incitera l’administration américaine à faire pression sur Kiev pour qu’elle l’accepte. Cela dépendra certainement de l’évaluation par la Maison Blanche des intérêts ukrainiens et des intérêts de cette administration à la lumière de la dynamique interne à l’approche des élections présidentielles.

Mais le fait qu’il se passe quelque chose de très important est évident si l’on considère que nous avons une série de visites importantes dans le quadrilatère Chine-Amérique-Russie-Europe en très peu de temps, et que dans chacune de ces réunions, le thème principal a été la façon de mettre fin à la guerre en Europe de l’Est. La trêve est toujours l’occasion non seulement de mettre fin aux souffrances, mais aussi d’ouvrir la voie à des négociations.Pendant que les armes se taisent, les diplomates parlent.

Mais il n’y a pas de trêve s’il n’y a pas de volonté réelle de la part des deux parties au conflit, ou s’il n’y a pas de pression suffisante sur elles pour qu’elles l’acceptent.Ces deux éléments dépendent des intérêts des parties au conflit. Une initiative de trêve, comme celle de Gaza, échoue sous nos yeux parce qu’Israël la rejette et parce que la pression exercée sur Tel-Aviv par son principal allié n’est pas suffisante. Nous verrons bientôt si cette initiative sino-française connaîtra le même sort. Poutine arrive en Chine très bientôt, et le jour du début des Jeux olympiques approche.

Jovan Palalić
Membre du Parlement serbe