Ethiopie : une lettre ouverte d’anciens ambassadeurs américains au Premier ministre Abiy oblige la Maison Blanche à intervenir pour la paix (Fulvio Beltrami)

Cela ne fait que 8 jours que le Démocrate Joe Biden a pris ses fonctions du Président, après une période post-électorale orageuse marquée par la violence populaire pour la première fois dans l’histoire des États-Unis, et le vent du changement souffle déjà sur le conflit au Tigray. Les positions adoptées par son prédécesseur Donald Trump et l’Union Européenne au début novembre 2020 semblaient scandaleuses aux yeux de l’opinion publique internationale. Définir le conflit au Tigray comme “une question de politique intérieure” excluait toute possibilité d’intervention pour arrêter la guerre et la glorification de la politique promue par la Chine en Afrique de “non-ingérence dans les affaires intérieures du pays partenaire”. Une politique étrangère en apparence juste mais qui en fait sacrifie les valeurs démocratiques et le respect des droits de l’homme au nom du commerce avec n’importe qui et à tout prix.
Certaines sources diplomatiques affirment que le Premier Ministre éthiopien vers la fin du mois d’octobre 2020 aurait fait part à la Maison Blanche et à Bruxelles de son intention d’attaquer le Tigré en recevant le feu vert à condition de “clôturer le jeu au plus vite et sans trop de massacres. “. C’est exactement le contraire qui s’est produit. Nous sommes au 86e jour du conflit au Tigray, qui a débuté le 3 novembre 2020 et déclaré clos par le gouvernement fédéral (pour des raisons impérieuses de propagande) le 28 novembre 2020.
Pour tenter d’obtenir une victoire fulgurante, le Premier Ministre éthiopien a canalisé une force d’invasion sur le Tigré composée d’au moins 80.000 Fédéraux, un nombre inconnu (mais significatif) de miliciens Amhara et environ 12.000 soldats érythréens (selon des sources que nous l’opposition érythréenne en exil, non vérifiable sur le terrain). À ceux-ci, il faut ajouter 2.500 jeunes soldats somaliens qui étaient en formation en Érythrée et contraints de se battre au Tigré. Parmi ces jeunes, seuls 500 ont survécu, créant une fureur populaire en Somalie qui menace de secouer le gouvernement déjà faible du président Mohamed Abdullahi Mohamed Farmajo.
La prolongation d’une guerre censée être “fulgurante” offre l’opportunité de comprendre sa dynamique et ses motivations. Le conflit n’a pas éclaté en raison de l’attaque « présumé» du TLPF contre un camp militaire du commandement nord de l’armée fédérale. Il serait été secrètement planifié depuis septembre 2020 par deux acteurs principaux du carnage: le dictateur érythréen sanguinaire Isaias Afewerki et par le “ réformateur et démocrate ” Abiy.

Les causes du conflit sont au nombre de trois. Pour Abiy d’éliminer un adversaire politique dangereux qui dirige le pays depuis 28 ans (1991-2019) avec une excellente armée, des finances et des relations internationales. Le règlement des comptes du dictateur Afewerki avec le TPLF est resté sans solution depuis les jours de l’indépendance de l’Érythrée et s’est aggravé avec le conflit entre l’Éthiopie et l’Érythrée. Pour la direction Amhara, utilisez Abiy pour s’établir comme une ethnie politiquement dominante dans le pays et restaurer le pouvoir absolu dont jouissait sous la dynastie salomonienne des empereurs dont le dernier représentant était Ras Tafari Makonnen, connu sous le nom de Haile Selassie (Puissance de la Trinité ). Les ambitions de pouvoir absolu des dirigeants d’Amhara vont au-delà de la frontière, avec la revendication de territoires frontaliers soudanais et risquent de déclencher un conflit régional, lié au grand barrage de renaissance éthiopien-GERD.

La présence de soldats érythréens ; le massacre de 2000 sur 2500 jeunes soldats somaliens qui se trouvaient en Érythrée pour suivre une formation militaire et envoyés soudainement au front au Tigré pour combattre le TPLF ; la violence sans précédent contre la population civile et les réfugiés érythréens; le pillage systématique des marchandises transportées avec des colonnes de camions à Asmara comme butin de guerre; la destruction des églises orthodoxes et catholiques comme aussi des monuments historiques; l’interdiction d’accès aux journalistes et le boycott de l’aide humanitaire qui conduit des millions de personnes à la famine; ce sont des crimes de guerre qui ont lentement émergés, forçant les alliés occidentaux à prendre des positions diamétralement opposées à leurs positions initiales.
Le nouveau Département d’Etat Américain a demandé dans la nuit du 26 au 27 janvier le retrait immédiat de tous les soldats érythréens présents sur le territoire éthiopien. L’Éthiopie et l’Érythrée continuent de nier que l’armée érythréenne ait mené des opérations militaires au Tigré depuis le début du conflit, malgré l’accumulation de preuves du contraire. Dans sa déclaration, le Département d’État réaffirme que les États-Unis disposent d ‘”informations crédibles” sur les abus des Érythréens. Enfin, il évoque la situation humanitaire catastrophique dans la province.
Bien que le nouveau Président americaine soit plus attentif aux questions de politique étrangère adressées au continent africain, la position ferme est due à une lettre ouverte de 4 anciens ambassadeurs américains en Éthiopie: David H. Shinn (Ambassadeur: juillet 1996-août 1999), Aurelia E Brazeal (Ambassadeur: novembre 2002-septembre 2005), Vichki J. Huddleston (Chargé d’affaires: septembre 2005-novembre 2006), Patricia M. Haslach (Ambassadeur: septembre 2013-août 2016).

La lettre ouverte qui a poussé Biden à intervenir d’une main ferme modifie l’équilibre des pouvoirs qui n’est plus en faveur du Premier ministre Abiy Ahmed Ali et de ses alliés éthiopiens: les dirigeants d’Amhara. L’Agence de Coordination Humanitaire des Nations Unies (OCHA) fait écho à cette lettre ouverte. Dans son rapport du 26 janvier, OCHA est alarmé par «la faim et la malnutrition» des habitants de Tigray. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) parle du risque important d’épidémies, alors que 70% des hôpitaux du Tigray sont, selon l’OMS, “dysfonctionnels”.
L’Union Européenne entend également faire entendre sa voix. Le chef de la diplomatie européenne, accompagné du ministre finlandais des Affaires étrangères, est annoncé à Addis-Abeba le 6 février, à l’occasion du sommet de l’Union africaine. Enfin, l’Égypte, grand rival régional de l’Éthiopie, et le Soudan, son voisin avec lequel l’Éthiopie est en conflit dans le territoire contesté, ont récemment montré des signes d’amitié. Le rapport de force diplomatique, plus favorable hier au droit d’Addis-Abeba de «rétablir l’ordre» au Tigré, est en train de changer clairement.
Sommes-nous donc proches de la paix et de l’ouverture d’un dialogue non seulement entre le gouvernement fédéral et le TPLF, mais avec toutes les forces politiques éthiopiennes et la société civile ? Malheureusement non.
Le Premier Ministre Abiy a besoin d’une victoire totale et définitive à tout prix, quel que soit le prix à payer à la population du Tigré et à la population éthiopienne en général. Des sources diplomatiques africaines et l’opposition érythréenne en exil en Europe font état d’une vaste offensive conjointe imminente des milices éthiopienne, érythréenne et amhara pour anéantir le TPLF. Une nouvelle également confirmée par le mouvement d’opposition érythréen Abri Harnet (Freedom Friday). La décision de lancer cette deuxième offensive a été prise à la lumière de la pression croissante de la communauté internationale pour arrêter la guerre.
Selon des informations provenant de sources de l’opposition érythréenne en exil, le régime dictatorial d’Asmara a promis d’envoyer 32 000 soldats supplémentaires pour détruire les positions défensives du TPLF. Le gouvernement d’Addis-Abeba augmentera ses effectifs au Tigré de 20 000 personnes supplémentaires. Seules les milices Amhara ne recevront pas de renforts car la majeure partie des milices à la disposition de la direction Amhara est occupée à surveiller et à réprimer une éventuelle révolte Oromo et dans le conflit (au moment de faible intensité) dans les territoires frontaliers du Soudan.

À l’offensive imminente au Tigré s’ajoutent de nouvelles provocations de guerre à la frontière soudanaise et des préparatifs en vue de l’invasion du Soudan par l’Éthiopie et l’Érythrée. Le dimanche 24 janvier, des unités de l’armée soudanaise patrouillant à la frontière avec l’Éthiopie ont été la cible de tirs intenses de mortier tirés par l’armée fédérale éthiopienne. Une source militaire a déclaré au journal Sudan Tribune que les unités soudanaises qui patrouillaient dans la zone entourant les montagnes d’Abu Teyyour ont été soumises à d’intenses tirs de mortier par des unités fédérales éthiopiennes stationnées dans la région d’Abdel-Rafi de l’autre côté de la frontière. «Les troupes soudanaises ont répondu efficacement aux tirs éthiopiens et il n’y a pas eu de victimes de leur côté. Je ne peux pas dire s’il y a eu des pertes dans les rangs des forces de frappe parce qu’elles sont basées de l’autre côté du territoire frontalier. Le bombardement est c’était une attaque intentionnelle et planifiée qui sape la coexistence pacifique et alimente les tensions entre nos deux pays », a déclaré le responsable militaire. Comme prévu, le gouvernement éthiopien nie l’incident.
Le mardi 26 janvier, l’Union Africaine a fait une nouvelle tentative pour éviter la guerre régionale en organisant une future réunion des dirigeants des deux pays pour trouver une solution pacifique et honorable sur le différend sur les territoires frontaliers de souveraineté soudanaise incontestée mais visé par la renaître la politique impériale de la direction d’Amhara. La tentative de l’UA a été sabordée par les conditions préalables provocantes posées par le Premier Ministre Abyi Ahmed Ali pour toute forme de négociation sur le différend frontalier.

Le gouvernement éthiopien, ont rapporté les médias d’Etat, n’entamera les pourparlers que lorsque la partie soudanaise se retirera des territoires considérés comme appartenant à la région d’Amhara. “Notre condition préalable à la poursuite des négociations avec la partie soudanaise est le retour au statu quo ante. Ensuite, nous discuterons de la question des frontières”, a déclaré la porte-parole du ministère des Affaires étrangères, Dina Mufti, soulignant qu’il n’y aura pas de dialogue avec le Soudan à moins que ce dernier ne retire ses forces des territoires éthiopiens occupés. Demander à un État souverain de renoncer à une partie de ses territoires est une preuve supplémentaire que le Premier Ministre éthiopien cherche à tout prix une guerre hors de l’Éthiopie. Khartoum a rejeté la demande d’Addis-Abeba sur les zones frontalières déclarées que le Soudan considère comme faisant partie intégrante de son territoire.
Au moins 2 divisions érythréennes seraient en attente de rejoindre les forces éthiopiennes du gouvernement fédéral et les milices fascistes Amhara pour une invasion imminente du Soudan. Pour empêcher l’entrée des troupes érythréennes, l’état-major soudanais a déjà mobilisé deux de ses meilleures brigades de combat à la frontière avec l’Érythrée: les 17e et 61e brigades.
Aux nombreuses inconnues d’une guerre régionale qui semble recherchée à tout prix, il y a un avertissement clair de la nouvelle administration américaine. Dans une décision sans précédent dans l’histoire des relations entre Washington et Khartoum, les chefs militaires soudanais ont discuté mardi dernier de la coopération militaire entre les deux pays avec une délégation américaine en visite dirigée par le commandant adjoint du Commandement militaire africain (AFRICOM). La rencontre a été précédée par l’arrivée (lundi 25 janvier) de l’ambassadeur Andrew Young en visite officielle accompagné de l’amiral Heidi Berg, directeur du renseignement du United States Africa Command et d’autres responsables militaires. Il a rencontré le chef du Conseil souverain Abdel Fattah Al-Burhan, le Premier ministre Abdallah Hamdok et les commandants de l’armée soudanaise.

Suite à sa rencontre avec le Premier ministre soudanais, le responsable américain en visite a tenu à souligner que leur coopération est limitée aux forces armées soudanaises, suggérant que les milices ne sont pas incluses dans le rapport. “Nous travaillons ensemble en partenariat avec le gouvernement civil de transition soudanais pour renforcer le partenariat entre l’armée professionnelle soudanaise et le Commandement de l’armée américaine en Afrique (AFRICOM)”, a déclaré Young dans les commentaires des médias après sa rencontre avec Abdallah. Hamdok. Il a ajouté que sa visite à Khartoum, en tant que premier haut fonctionnaire du Commandement militaire des États-Unis pour l’Afrique, est “une étape qui permettra d’évaluer et de promouvoir nos intérêts communs en matière de bonne gouvernance, de promouvoir les droits de l’homme et de responsabilité, de vaincre les menaces terroristes et de promouvoir la prospérité”.
Le responsable militaire américain a affirmé le soutien de son pays au gouvernement de transition et s’emploie à le renforcer et à coopérer avec celui-ci, soulignant l’effort de Washington pour “établir une relation basée sur le dialogue, la confiance mutuelle et un engagement commun pour atteindre une plus grande sécurité et stabilité”. Lors du communiqué de presse, la délégation américaine a exprimé sa vive préoccupation face à la situation à la frontière orientale du Soudan, soulignant que l’armée soudanaise a été redéployée à la frontière avec l’Éthiopie. Un avertissement voilé aux seigneurs de guerre d’Addis-Abeba et d’Asmara.
Une attaque sévère contre le Premier Ministre éthiopien vient du journal libéral le plus influent des États-Unis: le Washington Post. Dans un éditorial au titre accusateur: «Le dirigeant éthiopien a remporté le prix Nobel de la paix. Maintenant, il est accusé de crimes de guerre. », Le journal historique américain accuse sans réserve Abiy de perpétrer de graves crimes contre l’humanité. «Après avoir lancé une invasion de la province rebelle du Tigré, le régime de M. Abiy est accusé d’avoir scellé la région et bloqué la nourriture et d’autres fournitures humanitaires. Les responsables de l’aide internationale préviennent que des millions de personnes pourraient être menacées de famine.
Le gouvernement Abiy affirme qu’il est engagé dans une “mission de stabilisation” après avoir mis en déroute les forces du Front de Libération du Peuple du Tigré (TPLF). En fait, il a sans relâche pourchassé les dirigeants fugitifs du TPLF, y compris l’ancien ministre des Affaires étrangères éthiopien Seyoum Mesfin, 71 ans, qui a été tué ce mois-ci dans ce que les autorités ont qualifié de fusillade. Bien que quatre douzaines de chefs du TPLF aient été tués ou capturés, beaucoup sont toujours en liberté, ainsi que des milliers de combattants qui contrôlent encore certaines parties de la province.

M. Abiy affirme que ses forces ont déjà triomphé au Tigré et que le conflit sera bientôt terminé. Plus probablement, une guérilla avec le TPLF durera des années et la crise humanitaire s’aggravera, même si une famine immédiate est évitée. C’est pourquoi les États-Unis et l’Union européenne, qui financent fortement l’Éthiopie, devraient retenir l’aide supplémentaire jusqu’à ce qu’il y ait un accès humanitaire complet au Tigré et que le gouvernement accepte de poursuivre les pourparlers de paix. ” L’éditorial du Washington Post se lit comme suit.

Fulvio Beltrami

Ci-dessous, nous reproduisons la traduction fidèle de la lettre ouverte.
«Lettre ouverte adressée au Premier Ministre Abiy Ahmed par des ambassadeurs américains en Éthiopie à la retraite.
21 janvier 2021
Cher Premier Ministre,
Nous sommes d’anciens ambassadeurs qui ont servi en Éthiopie à divers carrefours politiques et chacun de nous est toujours inspiré par la résilience et les principes du peuple éthiopien. Pour le moment, nous sommes profondément préoccupés par la stabilité et l’avenir de l’Éthiopie et nous nous sommes donc permis de vous écrire au sujet de nos préoccupations.
Nous avons vu le conflit au Tigray avec une grave détresse car, selon les Nations Unies, près de 60 000 réfugiés ont fui vers le Soudan, 2,2 millions de personnes ont été déplacées et 4,5 millions de personnes ont besoin d’une aide d’urgence, dont beaucoup n’ont pas de nourriture adéquate. Nous sommes également préoccupés par la présence présumée de troupes érythréennes au Tigré, qui pourrait mettre en péril l’intégrité territoriale de l’Éthiopie.
Nous sommes préoccupés par l’escalade des tensions ethniques dans tout le pays, qui se traduit par la prolifération des discours de haine et une augmentation de la violence ethnique et religieuse. Compte tenu du temps passé dans votre pays, cette violence croissante nous semble contraire à la longue tradition éthiopienne de tolérance envers les différentes religions et ethnies.
Nous espérons, Monsieur le Premier ministre, que votre gouvernement assurera la protection des civils, l’enquête indépendante sur les violations des droits de l’homme et l’accès sans restriction des Nations Unies et d’autres organismes de secours. Nous voudrions répéter le conseil que nous avons souvent entendu lors de chacune de nos missions dans votre pays: l’Éthiopie a besoin d’un dialogue national conçu pour rassembler tous les secteurs de la société. Nous souhaitons le meilleur à vous et à chaque Ethiopien.
Cordialement”