Les États-Unis, la Grande-Bretagne et divers pays de l’UE appellent à un cessez-le-feu immédiat au Tigré (Fulvio Beltrami)

Les innombrables dénonciations de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité commis au Tigré ont contraint les États-Unis et l’Union Européenne à adopter des positions fortes contre les deux régimes coupables : celui éthiopien d’Abiy Ahmed Ali et celui érythréen d’Isaias Afwerki ; appelant à la fin immédiate des hostilités et à un accès humanitaire sans restriction dans toutes les régions du Tigré pour permettre aux organisations humanitaires d’atteindre des millions de personnes confrontées à la famine, directement causée par le gouvernement Abiy qui a détruit les récoltes.

Le PAM (Programme Alimentaire Mondial) a déclaré qu’il était alarmé par la façon dont le conflit a augmenté les niveaux déjà élevés de la faim dans le Tigré. “Un total de 5,2 millions de personnes, soit 91% de la population du Tigré, ont besoin d’une aide alimentaire d’urgence en raison du conflit”, a déclaré le porte-parole du PAM Tomson Phiri à Genève.
L’initiative a été promue par la Grande-Bretagne avec le soutien immédiat des États-Unis. « Nous convenons avec le Royaume-Uni que la situation humanitaire au Tigré se détériore rapidement. Une accalmie des combats maintenant, ainsi qu’un accès humanitaire sans restriction, aideront immédiatement à conjurer le risque de famine », lit-on hier sur Twitter publié par l’Ambassade américaine à Addis-Abeba.

Après l’expulsion du correspondant du New York Times, La Maison Blache a effectivement ouvert une guerre froide flagrante contre son plus important allié politique militaire dans la Corne de l’Afrique : l’Éthiopie. Les États-Unis ont déjà imposé des sanctions et demandé à la Banque mondiale et au FMI de cesser les financements de l’Éthiopie. La semaine dernière, Joe Biden a appelé les belligérants du Tigré à déclarer et à rejoindre un cessez-le-feu.

Le Ministre finlandais des Affaires Étrangères, Pekka Haavisto, a déclaré avoir discuté de la situation humanitaire alarmante au Tigré avec le Secrétaire Général de l’ONU, António Guterres, et a appelé à protéger les travailleurs humanitaires et à garantir l’accès humanitaire.

L’initiative anglo-américaine a été rejointe par le Canada et de nombreux pays européens, dont : la France, l’Allemagne, l’Irlande, la Norvège, la Suède et le Danemark. L’Italie n’apparaît pas dans les listes de membres publiées dans les médias internationaux pour le moment. Le ministère italien des Affaires Étrangères italien reste toujours fermé dans un silence incompréhensible, renonçant de fait à assumer le leadership diplomatique dans la résolution de la crise éthiopienne comme l’ancien Premier Ministre Giuseppe Conte l’avait souhaité.

L’Érythrée, principal acteur militaire de l’horreur au Tigré, était également impliquée. Les Nations Unies ont ouvertement accusé le régime nord-coréen d’Afwerki d’être la principale cause d’entrave à l’aide humanitaire au Tigré. Les troupes érythréennes dans la région ont deux tactiques. La première est de défendre les nouvelles frontières de leur pays, illégalement annexé par la force dans les zones nord-ouest du Tigré. La seconde est d’essayer de vaincre les forces de défense du Tigré, contrôlées par la direction du TPLF dans le nord-est et le centre du Tigré.

Une victoire difficile à remporter car le dictateur Afwerki a été contraint a répondre à la demande de son allié : le Premier Ministre éthiopien d’envoyer des troupes combattre sur le front d’Oromia, la plus grande région de la Fédération qui abrite également la capitale : Addis-Abeba. Plusieurs unités de l’armée érythréenne sont également présentes dans d’autres régions d’Éthiopie et à la frontière avec le Soudan.

La réponse du gouvernement éthiopien est un défi méprisant pour la communauté internationale et pour le plus fondamental des devoirs d’une Nation : protéger la vie de ses citoyens. Le Premier Ministre Abiy a jusqu’à présent rejeté avec indignation les appels à un cessez-le-feu au Tigré, recherchant le soutien populaire par le biais d’une propagande nationaliste (suggérée par la direction fasciste Amhara) qui dépeint les États-Unis et les pays de l’UE comme des impérialistes aux dents acérées qui veulent s’ingérer dans les affaires intérieures d’un pays souverain.
Malheureusement, les crimes contre l’humanité à Oromia et dans diverses autres parties du pays et le génocide en cours au Tigré ne peuvent pas être qualifiés comme «affaires intérieures » car ils affectent l’ensemble de la communauté internationale. Le directeur de la Commission éthiopienne des droits de l’homme, enragé, joue le rôle de la victime en disant « nous sommes injustement accusés par toutes les ethnies ». Accusations dirigées contre la Commission soupçonnée d’être trop complaisante envers le gouvernement central et le dictateur érythréen Isaias Afwerki.

La position prise par le Premier Ministre éthiopien de rejet total est compréhensible si l’on analyse dans la logique de ses alliés internes : les dirigeants Amharas. Selon la mentalité impériale archaïque de ces dirigeants, la signature d’un cessez-le-feu reviendrait à admettre une défaite militaire sur le terrain et, pire encore, offrir la possibilité au TPLF de se réorganiser, de renforcer ses effectifs avec de nouveaux recrutements et de recevoir de nouveaux approvisionnements en armes et des munitions par des alliés « étrangers », probablement le Soudan et l’Égypte. Situations intolérables pour les dirigeants Amharas.
Si Abiy acceptait les exigences de l’Occident, il perdrait le seul allié à l’intérieur du pays qui le maintient au pouvoir, au risque de déstabilisation ou de coup d’État. L’utilisation de la compagnie aérienne nationale Ethiopian Airlines pour transporter des armes et des munitions en provenance de Chine et du Liban et l’achat d’autres armes en provenance d’Ukraine avec la complicité de la Turquie sont des signes clairs que le prix Nobel de la paix 2019 n’envisage pas à distance un cessez-le-feu.

Pour le dictateur érythréen, la situation est plus compliquée. Au Tigré, on estime que l’armée érythréenne a perdu des dizaines de milliers d’hommes et est épuisée. L’allié érythréen a jusqu’à présent supporté tout le poids des guerres du Tigré et d’Oromia. Cet effort de guerre serait l’explication de l’escalade contre la population civile. Incapables de remporter la victoire contre le TPLF, les soldats érythréens se vengent de la population sans défense.

Le journaliste sud-africain Martin Plaut rapporte que les troupes érythréennes ont subi de lourdes pertes près de l’historique ville de Adwa en raison de l’offensive en cours des forces de défense du Tigré. Le site en ligne EtitreaHub rapporte que les 57e et 16e divisions d’infanterie battent en retraite, laissant les Feds à se battre seuls. Malgré ce retrait partiel, Afwerki est très susceptible de décider de continuer la guerre contre ses cousins tigréens. Le retrait total des troupes serait interprété comme une défaite militaire qui ouvrirait les portes d’une période de forte instabilité sociale en Erythrée, compromettant la capacité de rester au pouvoir du régime nord-coréen à la sauce africaine.

Le poids économique de l’aventure militaire au Tigré qui doit soutenir le peuple érythréen (en plus de leurs enfants morts au front) est immense même si le régime totalitaire tente de le cacher. Cela peut être compris à partir de la demande d’Afwerki au Premier Ministre éthiopien de 2 milliards de birr éthiopien (environ 37,8 milliards d’euros) pour les dépenses de guerre engagées jusqu’à présent pour le compte de l’Éthiopie, y compris les interventions au Tigré, en Oromia et à la frontière avec le Soudan. A cette demande d’indemnisation s’ajoute la précédente de 100 millions de Birr (environ 18,9 millions d’euros) pour les dépenses médicales encourues par les soldats érythréens blessés dans les combats sur divers fronts éthiopiens.

La demande de compensation pour l’effort de guerre met les troupes érythréennes en état de mercenaires dans la Corne de l’Afrique. Le rapport de force (en faveur du dictateur érythréen) a été expliqué il y a deux jours par le Général éthiopien Tsadkan dans une interview accordée aux médias éthiopiens. Le Général, sans vergogne, explique que l’attaque contre 7 millions de citoyens éthiopiens a été planifié par le dictateur Afwerki et les dirigeants d’Amhara en 2019, identifiant le Premier Ministre Abiy comme le moyen (plus malléable et contrôlable) de mener à bien le plan.

Selon le général Tsdkan, l’un des facteurs qui ont influencé la décision de détruire le Tigré à l’époque était de garantir les intérêts des monarchies arabes. Le TPLF au pouvoir s’était toujours opposé à l’influence politique et économique excessive des monarchies arabes, considérant l’Éthiopie comme la Bastion chrétien en Afrique contre l’Islam.

Les demandes d’Afwerki seront difficiles à satisfaire car l’Éthiopie est proche de la faillite et désormais soumise aux sanctions économiques américaines. Plusieurs analystes régionaux prédisent qu’Abiy se jetterais (sans condition) dans les bras des monarchies arabes, de la Turquie, de la Russie et de la Chine. Ces puissances régionales et internationales ont des agendas différents pour l’Éthiopie et sont souvent en concurrence les unes avec les autres. Cela augmentera la confusion qui existe déjà, exacerbera le conflit et supprimera la possibilité de sa résolution civile et pacifique.

Vient maintenant la nouvelle de la tentative ratée d’assassinat d’Abraham Bealy, chef du gouvernement intérimaire du Tigré mis en place par le Premier Ministre éthiopien et non reconnu par la population. L’attaque s’est perpétuée près d’Adigrat. Les assaillants (probablement des partisans du TPLF) ont tué son garde du corps mais Belay a miraculeusement réussi à survivre.

Fulvio Beltrami