Tunisie. Le président entame la dictature pour sauver le pays de l’islam radical grâce à un référendum boycotté par le peuple (J. Lahbib)

“C’est la démocratie populaire ! C’est une grande victoire ! Voici la vraie démocratie, pas celle des élites, du bon sens ou des bourgeois, mais la démocratie populaire !” Tels sont les slogans diffusés par l’efficace équipe de communication présidentielle et répétés par la foule de jeunes tunisiens qui, hier à minuit, est descendue sur l’avenue Bourguiba, au centre de Tunis, pour célébrer la naissance de la Troisième République grâce à la victoire du oui, a estimé à 92, 3 %.

L’euphorie et la confiance en l’avenir ont été les principales caractéristiques de cette manifestation massive de soutien au président, après douze ans de mauvaise gestion, de mensonges et de trahison d e la Thawrat Alyasamin (la révolution du jasmin) qui a éclaté le quatrième jour du mois de Muharram de l’année 1432 selon le calendrier arabe, correspondant au 17 décembre 2010 du calendrier grégorien. Les jeunes Tunisiens confient leur vie et leur avenir à Kaïs Saïed, qui les aurait sauvés d’un avenir triste et horrible de terreur islamique et charia que le parti extrémiste Ennahda et les Frères Musulmans préparaient pour le pays, avant le coup d’État institutionnel de Saïed.

La joie des jeunes tunisiens se heurte cependant à la réalité des chiffres. Le parti salafiste Ennahda, les Frères Musulmans et les autres partis d’opposition sont les vrais vainqueurs de ce référendum. La majorité des électeurs ont choisi de suivre leur conseil de ne pas se rendre aux urnes. Sur 8.929.665 inscrits, le nombre d’électeurs au référendum d’hier a atteint 2.458.985 Tunisiens. Un taux de participation de 27,54 %. Dans les élections de 2019, le taux de participation était de 45,02 % et en 2014 il était de 62,9 %. L’astucieux Saïed avait prévu la faible participation pour cette raison il avait supprimé l’obligation du Quorum.

Certes, une plus grande participation était préférable. Pour l’augmenter, Saïed a rompu hier le silence électoral en compagnie de son épouse Ichraf Saïed lors de leur vote au bureau de vote de l’école primaire Ennasr 1 de la Cité Ennasr à Tunis. Le président a publié une déclaration aux médias (interdite par la loi électorale) invitant les Tunisiens à voter pour ou contre la nouvelle Constitution.

Les résultats du vote qui donnent aux OUI une victoire bulgare : 92,3% se réfèrent aux estimations publiées par l’Institut Supérieur Indépendant pour les Elections – ISIE vient de conclure les opérations de vote (à 22h00 hier soir) sans attendre le dépouillement dans les bureaux de vote. Pour les résultats officiels et définitifs on parle de fin août. La nécessité de publier la victoire est compréhensible. Kaïs Saied ne pouvait plonger le pays dans l’incertitude avant plusieurs semaines. La victoire devait être proclamée immédiatement pour renforcer son plan dictatorial et autoritaire. Divers observateurs électoraux nationaux et internationaux affirment que l’issue des résultats définitifs qui seront connus vers le mois prochain ne sera pas trop différente de ces annoncés, tout en déplorant la publication de pourcentages basés sur des estimations.

“Celui qui s’est rendu aux urnes appartenait au camp du OUI. Qui les a abandonnés au NON.” explique un observateur électoral tunisien qui partage son analyse territoriale et générationnelle des électeurs. La participation électorale s’est concentrée à Tunis et dans les gouvernorats environnants de Bizerte, Manouba, Ariana, Tunis, Ben Arous, Zaghouan, Nabeul tandis que le boycott aux urnes s’est produit systématiquement dans la côte nord-ouest, le centre et le sud du pays.

Cette division territoriale est importante car Tunis et les gouvernorats environnants de la côte nord-est ont un pourcentage élevé de jeunes. En effet, l’observateur électoral contacté confirme que la majorité des électeurs du camp du Oui sont des jeunes entre 20 et 35 ans, appartenant aux classes sociales urbaines du prolétariat, petite et moyenne bourgeoisie. Les personnes âgées et les jeunes d’autres villes et zones urbaines ont boycotté le référendum, paralysant la victoire de Kaïs Saied. Ces données rendront tortueux le chemin vers la dictature éclairée qui veut instaurer le président.

On peut voir Kaïs Saïed au Suk de Tunis (ancien marché arabe) acheter du poisson enveloppé dans du papier journal ou boire du café traditionnel dans la médina (ancienne ville) en discutant de plus en moins avec les autres clients, c’est-à-dire avec le peuple. Une astuce qui a fonctionné car il est impossible d’imaginer qu’un président qui aime le peuple au point de partager les petits bonheurs quotidiens puisse nourrir des idées dictatoriales. “Celui qui boit du café avec nous les pauvres ne peut pas être un dictateur” crient les habitants de la médina de Tunis. Son bureau de communication (composé de jeunes experts) a également promu cette image avec des techniques de communication destinées aux jeunes. C’est l’une des forces du chef de l’Etat tunisien.

La propagande du futur sultan ne se limite pas à la célébration de la victoire. Au contraire, l’idée se répand que les citoyens seront associés à l’élaboration de la nouvelle Constitution qui réunira les marginalisés et les exclus du processus décisionnel. Une Constitution propre à édifier une nouvelle République différente de celle existante où règne une société de droit.

Une propagande qui contraste avec la réalité, étant donné que la nouvelle Constitution a déjà été rédigée par Kaïs Saïed lui-même qui a rejeté trois versions proposées par un comité désigné par lui à cet effet. Ceux qui ont pu accéder au texte de la Constitution le jugent trop vague si l’on exclut les articles qui donnent au Président tous les pouvoirs, soupçonnant qu’il s’agissait d’un choix précis du Sultan pour pouvoir imposer son interprétation du texte principal de la Troisième République.

Kaïs Saïed est conscient que le soutien des 2,4 millions de jeunes de Tunis et de la côte nord-est ne suffit pas à vaincre la majorité de la population qui, avec l’abstention du vote, a dit NON à son projet dictatorial. C’est pourquoi il travaille pour avoir le soutien total de l’armée et de la police, purgeant tous les éléments que les extrémistes islamiques d’Ennahda avaient infiltrés (surtout dans la police) pendant leur régime parlementaire.

Saïed se concentre également sur l’obtention du soutien inconditionnel des États-Unis, de l’Union Européenne et de l’Italie, donnant à ces partenaires politiques et économiques un choix dramatique. Avoir une dictature éclairée capable de stabiliser le pays ou un Etat islamique, commanditaire du terrorisme islamique international mené par le parti Ennahda et les Frères Musulmans, à quelques kilomètres des côtes italiennes.

Désormais, Kaïs Saïed a besoin des fonds du FMI pour stabiliser l’économie nationale désormais réduite à un malade en phase terminale. Malheureusement, le FMI exige un remède radical qui augmentera le chômage, éliminera presque toutes les subventions gouvernementales et augmentera le coût de la vie pour les Tunisiens. Puisque les millions du FMI sont vitaux pour son maintien au pouvoir, Saïed va tenter de convaincre les millions de jeunes qui le soutiennent de la nécessité de ces sacrifices pour un avenir meilleur.

Au cas où il ne parviendrait pas à les convaincre, l’armée et la police (maintenant entre ses mains) pourront utiliser des arguments plus convaincants. En prévision de futures turbulences sociales, Saïed se prépare à anéantir ce qui reste de l’islam radical tunisien. Divers observateurs nationaux et internationaux prévoient bientôt une vague de répression sans précédent contre le parti Ennahda, les salafistes et les Frères Musulmans à la manière du Général Sissi en Égypte. Tous les abus possibles de la force et les violations des droits de l’homme seront tolérés par l’Occident comme cela s’est produit en Égypte.

Jalel Lahbib