Au nom de Teilhard de Chardin, le jésuite banni qui réconciliait science et foi, le pape encourage la Chine et la Mongolie. Et les cardinaux Hong Kong

Par un geste surprise, avant la fin de la messe dans la Steppe Arena d’Oulan-Bator, François a rapproché le cardinal Tong Hon et le futur cardinal Chow, pasteur émérite et actuel pasteur de Hong Kong: “Je souhaite au peuple chinois le meilleur et de toujours progresser”. Et il a demandé aux 200 pèlerins chinois venus en Mongolie ces jours-ci: “Soyez de bons chrétiens”.

“Continuons à grandir ensemble dans la fraternité, comme des graines de paix dans un monde malheureusement ravagé par trop de guerres et de conflits”, tel est le message confié aux fidèles de Mongolie et d’autres pays d’Asie qui ont participé au rite. “Un grand merci à vous, peuple mongol, pour le don de l’amitié que j’ai reçu ces jours-ci, pour votre capacité authentique à apprécier même les aspects les plus simples de la vie, à préserver avec sagesse les relations et les traditions, à cultiver la vie quotidienne avec soin et attention”, François s’est adressé en particulier aux 1 500 catholiques de Mongolie, à qui il a rappelé le grand philosophe et théologien Pierre Teilhard de Chardin, un jésuite très ouvert et brillant, mais persécuté par l’Église officielle, et la prière qu’il a adressée à Dieu il y a 100 ans dans le désert d’Ordos, non loin de l’arène de la steppe. Je me prosterne, Seigneur”, a lu le pape, “devant ta présence ardente dans l’univers et, sous l’apparence de tout ce que je rencontrerai, de tout ce qui m’arrivera et de tout ce que j’accomplirai en ce jour, je te désire et je t’attends”.

Le Père Teilhard, explique François, était engagé dans des recherches géologiques. Un jour, il désirait ardemment célébrer la Sainte Messe, mais il n’avait ni pain ni vin avec lui, et il composa donc sa “Messe sur le monde”, exprimant ainsi son offrande : “Reçois, Seigneur, cette Hostie totale que la Création, mue par ton attrait, te présente dans l’aube nouvelle”. Une prière similaire était déjà née en lui lorsqu’il était au front pendant la première guerre mondiale, où il travaillait comme brancardier. Ce prêtre, souvent incompris, souligne le Pontife, avait eu l’intuition que “l’Eucharistie est le centre vital de l’univers, le centre débordant d’amour et de vie inépuisable” (Enc. Laudato si’, 236). C’est pourquoi il demande à tous, même à une époque comme la nôtre de tensions et de guerres, de prier avec les mots du Père Teilhard : “Parole étincelante, puissance brûlante, ô Toi qui façonnes le multiple pour lui insuffler Ta vie, abaisse sur nous Tes mains puissantes, Tes mains bienveillantes, Tes mains omniprésentes, je T’en supplie”.

Dans une tentative de concilier la théorie évolutionniste et la doctrine du péché originel, Teilhard exprima des opinions non conformes à la doctrine officielle de l’Église dans un document envoyé à certains théologiens de Louvain. Ses supérieurs, par mesure disciplinaire, l’obligent à démissionner de l’enseignement des matières philosophico-théologiques, lui demandent de ne plus rien publier sur ces sujets et le contraignent à s’installer en Chine, où il s’était déjà rendu en 1923 pour le compte du “Muséum d’histoire naturelle de Paris”, et où il séjourne de 1926 à 1946.
En Chine, il s’installe d’abord à Tientsin et participe à des expéditions de recherche mineures, notamment parce qu’elles sont réalisées avec des moyens très limités (Kanson, vallée du Sang-Kan-Ho, Mongolie orientale), puis, en 1929, il devient conseiller du “Service géologique de Chine” et s’installe à Pékin. Il participe à des expéditions de recherche décisives pour l’étude de la paléoanthropologie. Pendant son long séjour sur le continent asiatique, il approfondit sa connaissance des mystiques indienne, chinoise et japonaise. De retour à Paris, il est rattrapé par un ordre du Saint-Office lui interdisant d’enseigner. Il s’installe aux États-Unis où il continue d’étudier et d’écrire en tant que simple clergyman. Il meurt en 1955 d’une crise cardiaque. En 1965 est créée la Fondation Teilhard de Chardin, basée au Muséum national d’histoire naturelle de Paris, qui rassemble la documentation sur et par Teilhard de Chardin.
L’importance de l’œuvre du théologien-scientifique est aussi d’avoir collaboré au projet de tisser un pont entre la pensée scientifique et la pensée religieuse.

La pensée de Teilhard a également été évoquée (avec prudence) par le cardinal Giorgio Marengo, préfet apostolique d’Oulan-Bator, lorsqu’il a remercié François pour sa présence “source de profonde émotion”, en tant que pèlerin de la paix et porteur du feu de l’Esprit, ce feu qui éclaire, réchauffe et réconforte même lorsque les flammes scintillantes ne sont pas visibles.
“Maintenant que nous avons touché de nos propres mains combien ce peuple de Dieu en Mongolie vous est cher”, a déclaré le cardinal, “nous souhaitons accepter votre invitation à être des témoins joyeux et courageux de l’Évangile dans ce pays béni. Continuez à nous soutenir par votre parole et votre exemple ; nous n’aurons qu’à nous souvenir et à mettre en pratique ce que nous avons vu et entendu ces jours-ci”.

La messe dans le Steppe Arena d’Oulan-Bator était presque terminée, où le silence s’est installé lorsque le Pape, écartant les bras, avant de prononcer ses remerciements au cardinal Giorgio Marengo, a fait approcher John Tong Hon et Stephen Chow, l’évêque émérite et l’évêque actuel de Hong Kong, ce dernier étant un cardinal désigné qui recevra la pourpre dans le Consistoire le 30 septembre prochain. “Ces deux frères évêques, l’émérite de Hong Kong et l’actuel évêque de Hong Kong…”, dit-il en prenant la main de l’un et de l’autre, présents à tous les événements du voyage en Mongolie, et en leur serrant la main : “Je voudrais profiter de votre présence pour saluer chaleureusement le noble peuple chinois. A tout le peuple, je souhaite le meilleur, et toujours aller de l’avant, toujours progresser”.
Le silence a été rompu par un chœur de “Vive le Pape”. Les premières à le lancer sont deux femmes de la tribune de Hong Kong qui agitent le drapeau rouge de la Chine. En les regardant, ainsi que les quelque 200 autres Chinois venus à Oulan-Bator en train, en avion et en voiture depuis la Chine continentale, mais aussi depuis Macao et Taïwan, le pape a lancé un appel à tous les croyants du pays asiatique : “Et aux catholiques chinois, je demande d’être de bons chrétiens et de bons citoyens. À tous”, a-t-il conclu en tenant les mains de Hon et de Chow.

“Lorsque ce dernier recevra la pourpre, il y aura trois cardinaux à Hong Kong, dont l’émérite Joseph Zen. C’est l’un des rares cas où trois cardinaux vivent encore dans un seul diocèse”, rappelle aujourd’hui Vatican News, citant des paroles similaires adressées au peuple chinois le 23 mai à la fin de l’audience générale, lorsque, rappelant la Journée mondiale de prière pour l’Église catholique en Chine, qui coïncide avec la fête de la Bienheureuse Vierge Marie Auxiliatrice, vénérée et invoquée dans le sanctuaire de Notre-Dame de Sheshan, à Shanghai, il avait déclaré : “En cette occasion, je souhaite assurer le peuple chinois de la présence de l’Église catholique en Chine : “En cette occasion, je désire assurer la mémoire et exprimer ma proximité à nos frères et sœurs de Chine, en partageant leurs joies et leurs espoirs”. Le pape avait ensuite adressé “une pensée particulière à tous ceux qui souffrent, pasteurs et fidèles, afin que, dans la communion et la solidarité de l’Église universelle, ils puissent trouver consolation et encouragement”.

Au cours du vol de Rome à Oulan-Bator, le souverain pontife a adressé au président Xi Jinping “un message de vœux alors qu’il traversait l’espace aérien de son pays en direction de la Mongolie”. “En vous assurant de mes prières pour le bien-être de la nation, j’invoque sur vous toutes les bénédictions divines de l’unité et de la paix”, pouvait-on lire dans le télégramme. Pékin a répondu au souhait de François par l’intermédiaire du porte-parole du ministère des affaires étrangères, Wang Wenbin. La Chine, a-t-il déclaré, “est prête à continuer à travailler avec le Vatican pour engager un dialogue constructif, améliorer la compréhension, renforcer la confiance mutuelle”, en vue “d’améliorer les relations entre les deux pays”. “La Chine est prête à continuer à travailler avec le Vatican pour engager un dialogue constructif, améliorer la compréhension et renforcer la confiance mutuelle”, a répondu le porte-parole du ministère des affaires étrangères, Wang Wenbin, lors de la conférence de presse quotidienne. Pékin “encouragera le processus d’amélioration des relations entre les deux pays”, a ajouté M. Wang.

Sante Cavalleri