Le Niger, nouveau Vietnam. Vasapollo: Risque d’affrontement pour bloquer le pluricentrisme. En Afrique, des signes forts d’une renaissance décoloniale

«Ils ont appelé ‘Coup d’État’ la prise du pouvoir des militaires de la Garde Présidentielle à Niamey, le 26 juillet dernier. Mais, je dirais qu’il s’agit simplement d’une reprise de la souveraineté nationale de la part du peuple du Niger, qui a mis à la porte un gouvernement fantoche soutenu par Macron». C’est ainsi que le professeur Luciano Vasapollo, doyen de la faculté d’Economie de l’université La Sapienza, cofondateur de la section italienne du Réseau pour la défense de l’humanité et conseiller historique en matière de développement auprès des gouvernements de Cuba et du Venezuela, commente les événements du Niger dans un entretien avec Faro-di-Roma.

«Le peuple nigérien, souligne Vasapollo, est en train de se réapproprier de sa souveraineté. Et j’enregistre, de la part du nouveau gouvernement, un positionnement fortement anticolonialiste. Lors de leurs déclarations publiques et/ou officielles, les nouvelles autorités évoqusnt les paroles des grands révolutionnaires d’Amérique Latine, des expressios où la valeur de la patrie et le principe de l’autodétermination des peuples sont mis au premier plan».

La grande manifestation populaire en faveur du nouveau gouvernement nigérien dirigé par Abdourahmane Tchiani, ancien patron de la Garde Présidentielle nigérienne, installé à la tête d’un gouvernement de transition dans l’État ouest-africain deux jours après le renversement de l’exécutif de Mohammed Bazoum par son unité, confirme, selon l’économiste, «le début d’un processus irréversible» en cours en Afrique sahélienne, c’est-à-dire dans cette bande géographique comprenant le Soudan, le Tchad, le Niger, le Burkina Faso, le Mali et la Mauritanie.

Vasapollo rappelle que le président du Burkina Faso, Ibrahim Traoré, en a parlé lors du récent Forum Russie-Afrique de Saint-Pétersbourg, lorsqu’il a évoqué la «résurgence de l’Afrique» dans un discours devant le président russe Vladimír Poutine et d’autres dirigeants du continent. Un discours dans lequel il s’est dit convaincu que l’Afrique avait besoin de dirigeants qui « cessent de se comporter comme des marionnettes qui dansent chaque fois que les impérialistes touchent à un instrument de musique».

Vasapollo partage l’analyse de Traoré et soulign que « l’un des problèmes du continent africain est l’attitude de ses dirigeants. Le problème demeure dans les comportements des nombreux chefs d’Etat africains qui ne contribuent pas à l’essor de leurs peuples. Il s’agit de dirigeants subalternes qui prennent leurs décisions en syntonie avec l’impérialisme et que les grandes puissances traitent avec condescendance. Ils se mettent aux ordres des compagnies pétrolières et minières et en tout cas des intérêts des gouvernements des anciens pays colonisateurs, ou plutôt néo-colonisateurs. Tous ces gens-là -élites locales, cadres supérieurs des multinationale et décideurs occidentaux- sont tous responsables de la mise en œuvre de politiques qui ne respectent pas les droits de l’homme, ni les exigences populaires», a noté le professeur, rappelant le rôle de gendarme de l’Union Européenne qui a externalisé ses frontières jusqu’au Nigher pour arrêter les migrants dans le Sahara.

«Le Pape François l’a proclamé avec force dimanche dans le vol en direction de Lisbonne : le plus grand cimetière de migrants n’est pas la Méditerranée, qui en a englouti des dizaines de milliers, mais l’Afrique du Nord. Et face à ce constat, il est vraiment gênant que l’Europe réclame un retour à la légalitéconstitutionnelle au Niger».

A l’instar des déclarations de Traoré, Vasapollo affirme que «nous sommes aujourd’hui confrontés aux formes les plus barbares et les plus violentes du néocolonialisme et de l’impérialisme. En Afrique comme en Europe, l’affrontement entre les mondes unipolaire et multipolaire se poursuit, ce qui est à l’origine même de la guerre entre l’ Ukraine et la Russie».

En fait, explique le professeur Vasapollo, «nous assistons à la décadence du Nord-Centrisme et de la domination monétaire du dollar et de l’euro. Cela renvoie à ce qui s’est passé en Asie avec l’écroulement de l’Empire britannique et l’effondrement de la livre. Et l’on voudrait empêcher cet effondrement économique et monétaire, tout comme la disparition d’une gouvernance mondiale basée sur l’unipolarité, en faisant appel à la force militaire de l’OTAN, donc par la guerre et par l’économie de guerre. La guerre est donc envisagée comme le remède à la crise. C’est un pensée ancienne qui nous ramène aux philosophies classiques préchrétiennes : selon Héraclite, le conflit est inévitable et la guerre également. Car elle naît d’un feu mobile et perpétuellement actif -étant donné le conflit entre les hommes etles éléments Cette lutte et ce conflit sont l’expression d’un mouvement perpéruel, selon les penseurs de cette école philosophique: à chaque instant, nous et tout ce qui existe autour de nous, nous sommes en mouvement, nous sommes en devenir : à chaque instant, nous devenons -nous sommes et nous ne sommes pas- et le présent n’existe pas».

« La guerre militaire, insiste Vasapollo, est l’expression typique de la fin des Empires : lorsque ceux-ci sont en décadence, ceux qui président à leur destinée convoquent les théories du keynesisme militaire pour en assurer la continuité. En Afrique, c’est la même chose. Les peuples qui se réfèrent au Multicentrisme comme nouvelle perspective de relations internationales se battent pour leur émancipation. Le Multicentrisme est à la fois une idée-guide, une démarche libératoire et une conception des rapports entre nations dans lesquelles s’affirme le Sud Global : un Sud non seulement géographique, mais un ensemble de pays déterminés à sortir d’une condition de subalternité imposée et contre laquelle ils veulent se rebeller ».

Il y a maintenant au Niger, le risque d’un « conflit militaire mené par la France pour défendre ses intérêts économiques et commerciaux et également les intérêts de l’Occident pour l’uranium, l’or, le pétrole et d’autres ressources minérales. Mais une intervention de Paris par procuration et se servant du bras armé de la Communauté des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) affaiblirait encore plus l’image de la France dans le monde, où depuis trop longtemps elle se présente comme une puissance néo-coloniale avec le visage sinistre du génocide ».

En sens contraire, pour Vasapollo, « le pluricentrisme a toutes les chances de s’affirmersurtout en Afrique afin de mettre en place une transition décoloniale dans la perspective d’un nouvel ordre économique, commercial et monétaire mondial».

«Je reste convaincu que les États-Unis réfléchiront avant de se lancer dans une nouvelle guerre, indirecte oui directe. Il est évident que leur implication en Ukraine absorbe des énormes ressources en termes économiques et militaires, ainsi qu’en termes d’image internationale. Il serait donc difficile d’ouvrir un autre front de guerre direct. A la limite, ils pourraient envisager une guerre menée par les Africains. Et cela sur la base du fait que les forces néo-colonialistes sont habitués à promouvoir les guerres en Afrique, un continent que la France considère comme son arrière-cour. Elles parlent beaucoup de démocratie, mais ils visent la reconquête de territoires riches en matières premières stratégiques, dont l’exploitation risque de leur échapper. Néanmoins, je ne crois pas, au moins pour le moment, à l’ouverture d’un front militaire direct, car les Occidentaux ne me semblent pas en mesure de le tenir».

D’autre part, ajoute Vasapollo, «les forces populaires se sont mobilisée au Niger an appui aux militaires. Il y a par exemple le M62, un fort mouvement de masse, orienté sur la solidarité internationale et par les idéaux du panifracanisme. Un mouvement dont le profil politique ressemble à celui du M23 en RDC».

Avec Faro-di-Roma, Vasapollo précise que « le M23 n’est pas un mouvement qui agit aux ordres du Rwanda. Il est une force populaire qui agit pour la libération de la nation congolaise, une force anti-impérialiste qui se bat pour l’autodétermination et la souveraineté décononiale ». Or, grâce à ces présences alternatives et d’opposition, comme le M62 et le M23,« une conscience de sa propre dignité semble se développer en Afrique».

«Ce n’est pas un hasard si, lors du sommet de Saint-Pétersbourg, qui s’est tenu il y a quelques jours, nous avons vu la Russie annuler la grande majorité des échéances de la dette extérieure des pays africains et promettre de les aider aussi matériellement avec la livraison des céréales».
En résumé, pour Vasapollo, il apparaît que « la Russie mène une politique internationale davantage basée sur la solidarité et l’aide et non sur des attitudes néo-coloniales».

Par conséquent, «avec le nouveau gouvernement du Niger, il est nécessaire de rechercher un dialogue au lieu de criminaliser ce que l’on appelle un ‘coup d’État’. Une intervention militaire embraserait toute la région de l’Afrique de l’Ouest, en la transformant en un Viêt Nam. Il s’agirait en effets d’une véritable vietnamisation, car les anciennes colonies françaises pour la pluapart s’opposeraient, même sur le plan militaire et en adoptant également des formes de guérilla, à une agression du Niger et en défense de sa souveraineté et du droit des peuples à l’autodétermination».

Comme a été écrit sur Contropiano, «la présence d’environ 200 000 réfugiés maliens et burkinabés, qui ont fui la violence djihadiste vers le Niger, donne l’idée des risques d’une intervention militaire. A partir delaquelle tout le Sahel précipiterait dans la violence. Ce serait une sorte de “deuxième guerre mondiale africaine”, après celle qui s’est déroulée au Congo».

« L’Occident et ses ascarii, conclut Vasapollo, jouent une fois de plus avec le feu. Mais il n’est pas du tout certain que, s’ils allaient jusqu’au bout, leur aventurisme ne se transforme pas en un gigantesque boomerang pour leurs aspirations néocoloniales et pour les rentes politiques de ses pions vacillants sur le terrain».

Aurelio Tarquini