Le pape élève la voix pour dénoncer le ciblage aveugle de la population à Gaza, au Liban, en Ukraine et en Russie (S.C.)

“Les événements en Ukraine et à Gaza”, avec des dizaines de milliers de victimes civiles et d’immenses destructions, “sont la preuve évidente” d’une très grave dégénérescence en cours: “le discernement entre objectifs militaires et civils n’est plus observé, il n’y a pas de conflit qui ne finisse pas d’une manière ou d’une autre par frapper de manière indiscriminée la population civile”. Le pape François – dans son discours au corps diplomatique – condamne sévèrement tous les participants aux deux principales guerres en cours, en mettant particulièrement l’accent sur l’Occident qui, dans les deux cas, arme et soutient l’un des belligérants, à savoir l’Ukraine et Israël: “Même lorsqu’il s’agit d’exercer le droit à l’autodéfense, il est impératif d’adhérer à un usage proportionné de la force”, a ponctué M. Francis avec une référence transparente à l’anéantissement en cours de Gaza, aux expéditions punitives d’Israël en Cisjordanie et au Liban, et à la contre-offensive de Kiev qui s’étend au bombardement du territoire russe et de cibles civiles dans le Donbass et en Crimée.

“Peut-être ne réalisons-nous pas, a souligné François, que les victimes civiles ne sont pas des “dommages collatéraux”. Ce sont des hommes et des femmes avec des noms et des prénoms qui perdent la vie. Ce sont des enfants qui deviennent orphelins et sont privés d’avenir. Ce sont des personnes qui souffrent de la faim, de la soif et du froid, ou qui sont mutilées par la puissance des armes modernes. Si nous pouvions regarder chacun d’entre eux dans les yeux, les appeler par leur nom et évoquer leur histoire personnelle, nous verrions la guerre pour ce qu’elle est : rien de plus qu’une terrible tragédie et “un massacre inutile”, qui porte atteinte à la dignité de chaque personne sur cette terre”.

En particulier, a déclaré Bergoglio, “nous avons tous été choqués par l’attaque terroriste du 7 octobre contre la population en Israël, où tant d’innocents ont été blessés, torturés et tués d’une manière atroce et où beaucoup ont été pris en otage. Cela ne résout pas les problèmes entre les peuples, mais les rend plus difficiles, entraînant des souffrances pour tous. En fait, cela a provoqué une forte réponse militaire israélienne à Gaza qui a entraîné la mort de dizaines de milliers de Palestiniens, pour la plupart des civils, y compris de nombreux enfants, jeunes et adolescents, et a provoqué une situation humanitaire très grave avec des souffrances inimaginables”.

“Malheureusement – d’ailleurs – après presque deux ans de guerre à grande échelle de la Fédération de Russie contre l’Ukraine, la paix tant désirée – dénoncée par le pape Bergoglio – n’a pas encore pu trouver sa place dans les esprits et les cœurs, malgré les nombreuses victimes et les énormes destructions”. “Un conflit qui s’enracine de plus en plus, au détriment de millions de personnes, ne peut pas se poursuivre, mais il faut mettre fin à la tragédie en cours par la négociation, dans le respect du droit international”, a déclaré François, qui s’est également dit “préoccupé par la situation tendue dans le Caucase du Sud entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan, exhortant les parties à parvenir à la signature d’un traité de paix”. Il est urgent de trouver une solution à la situation humanitaire dramatique des habitants de cette région, d’encourager le retour des personnes déplacées dans leurs foyers dans la légalité et la sécurité et de respecter les lieux de culte des différentes confessions religieuses présentes dans cette région”, a déclaré le pape, assurant que “de telles démarches pourraient contribuer à la création d’un climat de confiance entre les deux pays en vue de la paix tant désirée”.

Le pape est ensuite revenu sur la question de la fabrication et de la diffusion d’armements de plus en plus meurtriers. “Les guerres peuvent continuer grâce à l’énorme disponibilité des armes”, a-t-il expliqué, demandant à tous les pays qui ont des relations avec le Saint-Siège de “poursuivre une politique de désarmement, car il est illusoire de penser que les armements ont une valeur dissuasive”. “C’est plutôt le contraire qui est vrai : la disponibilité des armes encourage leur utilisation et augmente leur production. Les armes créent la méfiance et détournent les ressources. Combien de vies pourraient être sauvées avec les ressources allouées aux armements aujourd’hui ? Ne serait-il pas préférable de les investir dans une véritable sécurité mondiale ? “Les défis de notre temps dépassent les frontières, comme le montrent les différentes crises – alimentaire, environnementale, économique et sanitaire – qui caractérisent ce début de siècle”, a déclaré François, renouvelant la proposition de “créer un Fonds mondial pour éliminer définitivement la faim et promouvoir le développement durable de toute la planète”.

“Parmi les menaces causées par ces instruments de mort, je ne peux pas ne pas mentionner celle causée par les arsenaux nucléaires et le développement de dispositifs toujours plus sophistiqués et destructeurs”, a répété le pape, réitérant à nouveau “l’immoralité de la fabrication et de la possession d’armes nucléaires” et exprimant l’espoir “que nous puissions parvenir le plus tôt possible à la reprise des négociations pour le redémarrage du Plan global d’action conjoint, mieux connu sous le nom d'”Accord nucléaire iranien”, afin de garantir un avenir plus sûr pour tous.”

François a ensuite abordé l’Afrique et donc la “souffrance de millions de personnes en raison des multiples crises humanitaires dans lesquelles se trouvent divers pays subsahariens, en raison du terrorisme international, de problèmes sociopolitiques complexes et des effets dévastateurs du changement climatique, auxquels s’ajoutent les conséquences des coups d’État militaires qui ont eu lieu dans certains pays et de certains processus électoraux caractérisés par la corruption, l’intimidation et la violence”. Le pape est particulièrement préoccupé par “les événements dramatiques au Soudan, où malheureusement, après des mois de guerre civile, aucune issue n’est encore en vue, ainsi que par la situation des personnes déplacées au Cameroun, au Mozambique, en République démocratique du Congo et au Sud-Soudan”.

Parlant ensuite de l’Amérique latine, le Souverain Pontife a renouvelé son appel au Nicaragua, qui est aux prises avec “une crise prolongée aux conséquences douloureuses pour l’ensemble de la société nicaraguayenne, en particulier pour l’Église catholique” : “Le Saint-Siège ne cesse d’appeler à un dialogue diplomatique respectueux, pour le bien des catholiques et de l’ensemble de la population”.

La question urgente du climat a également été au centre du discours prononcé devant le corps diplomatique. “La crise climatique exige une réponse de plus en plus urgente et requiert la pleine implication de tous, ainsi que de toute la communauté internationale”, a noté le pape, qui a cité “parmi les causes de conflit” également “les désastres naturels et environnementaux”. Selon François, “l’adoption du document final de la Cop28 est un pas encourageant et révèle que, face aux nombreuses crises que nous vivons, il est possible de revitaliser le multilatéralisme à travers la gestion de la question climatique globale, dans un monde où les problèmes environnementaux, sociaux et politiques sont étroitement liés”. Lors de la Cop28, il est apparu clairement que la décennie actuelle est une décennie critique pour la lutte contre le changement climatique”, a noté le pape, regrettant de ne pas avoir pu assister personnellement à l’événement : “Le soin de la création et la paix sont les questions les plus urgentes et elles sont liées”. D’où l’espoir que “ce qui a été établi à Dubaï conduise à une accélération décisive de la transition écologique, à travers des formes qui se concrétisent dans quatre domaines : l’efficacité énergétique ; les sources renouvelables ; l’élimination des combustibles fossiles ; et l’éducation à des styles de vie moins dépendants de ces derniers”.

La question des migrants est également centrale. Selon François, la mer Méditerranée “est devenue au cours de la dernière décennie un grand cimetière, avec des tragédies qui continuent à se succéder, également à cause de trafiquants d’êtres humains sans scrupules”, alors que “parmi les nombreuses victimes, il y a beaucoup de mineurs non accompagnés”. “La Méditerranée devrait plutôt être un laboratoire de paix, un lieu où différents pays et réalités se rencontrent sur la base de l’humanité que nous partageons tous”, a fait remarquer François, notant que “face à cette immense tragédie, nous finissons facilement par fermer nos cœurs, en nous retranchant derrière la peur d’une invasion. Nous oublions facilement que nous sommes face à des personnes qui ont des visages et des noms et nous négligeons la vocation propre de la Mare Nostrum, qui ne doit pas être un tombeau, mais un lieu de rencontre et d’enrichissement mutuel entre les personnes, les peuples et les cultures”. “Cela n’enlève rien au fait que la migration doit être régulée pour accueillir, promouvoir, accompagner et intégrer les migrants, tout en respectant la culture, la sensibilité et la sécurité des populations qui se chargent de l’accueil et de l’intégration.

Inversant l’ordre des priorités indiqué par l’Italie, le Pape a ensuite ajouté : “d’autre part, il est également nécessaire de rappeler le droit de pouvoir rester dans son propre pays et la nécessité conséquente de créer les conditions pour qu’il puisse être effectivement exercé”. “Face à ce défi, aucun pays ne peut être laissé seul, et personne ne peut envisager d’aborder la question de manière isolée, par le biais de législations plus restrictives et répressives, parfois approuvées sous la pression de la peur ou pour accroître le consensus électoral”. Dans ce contexte, François a commenté “avec satisfaction l’engagement de l’Union européenne à rechercher une solution commune à travers l’adoption du nouveau Pacte sur les migrations et l’asile, tout en notant certaines de ses limites, notamment en ce qui concerne la reconnaissance du droit d’asile et le danger des détentions arbitraires”.

Les questions de bioéthique, avec un accent renouvelé sur le genre, et d’intelligence artificielle, “l’un des défis les plus importants des années à venir”, n’ont pas manqué d’être évoquées. Pour François, “il est indispensable que le développement technologique se fasse de manière éthique et responsable, en préservant la centralité de la personne humaine, dont la contribution ne peut et ne pourra jamais être remplacée par un algorithme ou une machine”. D’où la nécessité d’une “réflexion attentive à tous les niveaux, national et international, politique et social, afin que le développement de l’intelligence artificielle reste au service de l’homme, en favorisant et non en empêchant, surtout chez les jeunes, les relations interpersonnelles, un sain esprit de fraternité et une pensée critique capable de discernement”.

Dans cette perspective, selon le pape, “les deux conférences diplomatiques de l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle, qui auront lieu en 2024 et auxquelles le Saint-Siège participera en tant qu’État membre, acquièrent une pertinence particulière”. “Pour le Saint-Siège, la propriété intellectuelle est essentiellement orientée vers la promotion du bien commun et ne peut s’affranchir de limitations de nature éthique, donnant lieu à des situations d’injustice et d’exploitation indue”, a précisé François : “Une attention particulière doit alors être portée à la protection du patrimoine génétique humain, en empêchant les pratiques contraires à la dignité humaine, telles que le brevetage du matériel biologique humain et le clonage d’êtres humains”.

“Peut-être, a conclu François, avons-nous aujourd’hui plus que jamais besoin de l’année jubilaire” et, à cet égard, il a remercié en particulier les autorités italiennes, nationales et locales, “pour leur engagement à préparer la ville de Rome à accueillir de nombreux pèlerins et à leur permettre de tirer des fruits spirituels du voyage jubilaire”. “Face à tant de souffrances, qui désespèrent non seulement les personnes directement touchées, mais aussi toutes nos sociétés, face à nos jeunes qui, au lieu de rêver d’un avenir meilleur, se sentent souvent impuissants et frustrés, et face à l’obscurité de la guerre civile, qui ne cesse de s’aggraver, le Jubilé est une occasion unique pour les jeunes de s’exprimer ; et face aux ténèbres de ce monde, qui semblent s’étendre au lieu de reculer, le Jubilé est la proclamation que Dieu n’abandonne jamais son peuple et garde toujours ouvertes les portes de son Royaume”, a conclu François, rappelant que “dans la tradition judéo-chrétienne, le Jubilé est un temps de grâce où l’on fait l’expérience de la miséricorde de Dieu et du don de sa paix. C’est un temps de justice où les péchés sont pardonnés, où la réconciliation l’emporte sur l’injustice et où la terre se repose. Ce peut être pour tous – chrétiens et non-chrétiens – le temps où les épées sont brisées et les charrues fabriquées ; le temps où une nation ne lèvera plus son épée contre une autre nation, et où l’on n’apprendra plus l’art de la guerre. C’est ce que je souhaite de tout cœur à chacun d’entre vous, chers ambassadeurs, à vos familles, à vos collègues et aux peuples que vous représentez. Merci et bonne année à tous !”

Sante Cavalleri