Le pape François a condamné aujourd’hui la politique de rejet et désigné les ventes d’armes comme l’une des principales causes de la guerre, répondant aux journalistes dans l’avion qui le ramenait de Marseille. “Parfois, comme dans un jeu de ping-pong, les migrants sont renvoyés. Et l’on sait qu’ils finissent souvent dans des camps, qu’ils finissent plus mal qu’avant”.
Le pape François s’adresse aux journalistes lors de la conférence de presse sur le vol de retour de Marseille. Et à propos de la guerre en Ukraine, il a déclaré : “Elle est aussi un peu intéressée non seulement par le problème russo-ukrainien, mais aussi par la vente d’armes, le commerce des armes. Un économiste a dit il y a quelques mois qu’aujourd’hui les investissements qui rapportent le plus sont les usines d’armement, certainement les usines de la mort”.
Voici les questions et réponses de l’entretien du Pape avec les journalistes
Matteo Bruni
Bonsoir Votre Sainteté, bonsoir à tous. Merci pour le temps que vous nous accordez au retour de ce voyage. Ce fut un voyage particulier au cours duquel vous avez pu constater toute l’affection des français qui, comme le disait le cardinal Aveline, sont venus prier avec vous. Je pense qu’il y a quelques questions que les journalistes voudraient vous poser, à moins que vous ne souhaitiez nous dire quelque chose?
Merci beaucoup pour votre travail. Avant que je n’oublie, je voudrais dire deux choses. D’abord, je crois que c’est le dernier vol de Roberto Bellino (technicien du Dicastère pour la communication, ndr) qui prend sa retraite. Merci. Et la deuxième chose : aujourd’hui, c’est l’anniversaire de Rino. L’ineffable Rino (Anastasio). Maintenant, je vous invite volontiers à poser vos questions.
Raphaële Schapira, France Télévisions
Votre Sainteté bonsoir. Vous avez commencé votre pontificat à Lampedusa en dénonçant l’indifférence. Dix ans plus tard, vous demandez à l’Europe de faire preuve de solidarité. Cela fait dix ans que vous répétez le même message. Cela signifie-t-il que vous avez échoué?
Je ne pense pas. Je dirais que c’est une avancée qui progresse lentement. Aujourd’hui, il y a une prise de conscience du problème des flux migratoires. Il y a une prise de conscience et la conscience que c’est quelque chose qui est arrivé à un point tel, comme une patate chaude qu’on ne sait pas comment affronter. Angela Merkel a dit un jour qu’on résoudrait le problème en allant en Afrique et en permettant au peuple africain d’élever son niveau de vie. Mais il y a des accidents de parcours, très violents, où les migrants sont renvoyés à leur point de départ. C’est comme un ping-pong. Et nous savons que souvent ils finissent dans des camps, dans des situations pires que celles qu’ils connaissaient avant de partir.
J’ai suivi le parcours d’un garçon, Mahmoud, qui a tenté de fuir ces camps. Mais à la fin il s’est pendu. Il n’a pas résisté, il n’a pas toléré cette torture. Je vous ai déjà dit de lire ce petit livre «Hermanito». Il faut savoir que les migrants qui arrivent ont été vendus. Un jour où l’autre on leur prend leur argent pour payer. Ensuite ils doivent appeler leurs familles pour qu’elle leurs donnent plus d’argent. C’est une vie terrible. J’ai écouté une personne qui a été témoin. Une nuit, au moment de l’embarquement, elle a vu une simple embarcation, sans sécurité, et quelqu’un qui ne voulait pas embarquer. Pan, pan! Fin de l’histoire. C’est le règne de la terreur.
Les migrants ne souffrent pas seulement parce qu’ils sentent le besoin de s’en sortir, mais aussi parce que le règne de la terreur fait d’eux des esclaves. Nous ne pouvons pas ne pas voir les choses, les renvoyer en arrière comme une balle de ping-pong. C’est pourquoi je répète le principe selon lequel les migrants doivent être accueillis, accompagnés, promus et intégrés. Si vous ne pouvez pas l’intégrer dans votre pays, accompagnez-le, intégrez-les dans leurs pays, mais ne les abandonnez pas aux mains de ces cruels trafiquants d’êtres humains.
Le drame des migrants est bel et bien là, lorsque nous les renvoyons et qu’ils tombent entre les mains de ces délinquants qui font tant de mal, qui les vendent, qui les exploitent. Ces migrants essaient de fuir, de s’en sortir. Il y a quelques groupes de personnes qui se consacrent à sauver ces migrants des griffes du mal. J’ai invité l’un d’entre eux à participer au Synode, un responsable de “Mediterranea Saving Humans“. Ces gens-là vous racontent des histoires terribles. Pour mon premier voyage, comme vous l’avez souligné, je suis allé à Lampedusa. Les situations se sont améliorées, vraiment. Il y a une plus grande conscience aujourd’hui. Il fut un temps où ces choses ne se savaient pas et où on ne nous disait pas la vérité. Je me souviens d’une réceptionniste à la maison Sainte-Marthe qui était éthiopienne, fille d’Éthiopiens, et qui connaissait la langue. Elle suivait mon voyage à la télévision, et il y avait (à Lampedusa) une personne, un pauvre Éthiopien qui m’expliquait les tortures et toutes ces choses.
Et le traducteur m’a ensuite dit que ce garçon m’avait menti, qu’il avait édulcoré la situation. C’est difficile de faire confiance. Et il y a tant de drames. Et lorsque j’étais là-bas, une femme médecin m’a dit: regardez cette femme qui va et vient au milieu des cadavres. Elle regardait les visages pour tenter de reconnaitre celui de sa fille qu’elle ne retrouvait pas. Si nous regardons ces drames en face, ils nous rendront plus humains, et par conséquent plus divins.
C’est un appel. Je voudrais que ce soit comme un cri. Faisons attention faisons quelque chose. La conscience a vraiment changé, il y a aujourd’hui une plus grande conscience, pas seulement parce que j’en ai parlé, mais parce que les gens se sont rendus compte du problème et ils en parlent beaucoup. Ce fut mon premier voyage et là, j’ai entendu quelque chose de l’intérieur. Je ne savais même pas où était Lampedusa. Mais j’ai écouté les récits, j’ai lu des choses, et dans la prière j’ai entendu que je devais me rendre sur place, comme si le Seigneur m’envoyait là-bas, pour mon premier voyage.
Clément Melki, AFP: Ce matin vous avez rencontré Emmanuel Macron après avoir exprimé votre opposition à l’euthanasie. Le gouvernement français se prépare à approuver une loi controversée sur la fin de vie. Pourriez-vous nous dire ce que vous avez dit au président français sur ce sujet-là? Et si vous pensez pouvoir lui faire changer d’avis?
Aujourd’hui nous n’avons pas parlé de ce thème mais nous l’avons fait lors d’une autre visite lors de laquelle nous nous sommes rencontrés. J’ai parlé clairement quand il est venu au Vatican. Je lui ai donné mon avis, très clairement. Avec la vie, on ne joue pas, ni au début ni à la fin. On ne joue pas.
Mon avis, c’est de protéger la vie. Au final, vous finirez avec une politique de la non-douleur, une euthanasie humaniste. À ce propos, je voudrais reparler d’un livre, lisez-le. C’est un roman écrit en 1907 par Benson qui s’intitule «Le Maïtre de la terre». C’est un futuriste qui montre comment ce sera à la fin. Ils abolissent toutes les différences, ils enlèvent les douleurs, et l’euthanasie est une de ces choses. La mort douce, le choix de la naissance. Cela montre comment cet homme voyait les conflits d’aujourd’hui.
Faisons attention aux colonisations idéologiques qui détruisent la vie humaine, qui vont contre la vie humaine. Aujourd’hui, on efface la vie des grands-parents, par exemple, quand la richesse humaine se trouve dans le dialogue entre les petits-enfants et les grands-parents. On les efface: ils sont vieux, ils ne servent pas. Avec la vie on ne joue pas. Cette fois je n’en ai pas parlé avec le président mais la dernière fois oui, quand il est venu.
Je lui ai donné mon avis: avec la vie on ne joue pas. Que ce soit la loi qui ne laisse pas grandir l’enfant dans le sein de la mère, la loi sur l’euthanasie pour les maladies liées à la vieillesse.
Je ne dis pas que c’est une histoire de foi, c’est quelque chose d’humain. C’est de la mauvaise compassion. Un jour, la science est arrivée à faire que certaines maladies douloureuses le soient moins grâce à des médicaments. Mais avec la vie, on ne joue pas.
Javier Martínez Brocal Ogáyar, ABC Saint-Père, merci d’avoir répondu aux questions à l’occasion de ce voyage très intense et dense. Jusqu’au dernier moment, vous avez parlé de l’Ukraine et le cardinal Zuppi s’est rendu à Pékin. Y a-t-il des progrès dans cette mission? Au moins concernant la question humanitaire du retour des enfants? Une question un peu dure, mais comment vivez-vous personnellement le fait que cette mission n’ait pas réussi à obtenir des résultats concrets jusqu’à présent. Lors d’une audience, vous avez parlé de frustration. Ressentez-vous de la frustration?
Je vous remercie.
C’est vrai que l’on ressent une certaine frustration, parce que la Secrétairerie d’État fait tout pour aider, même la “mission Zuppi” qui s’est rendu là-bas. Il y a quelque chose de positif qui bouge avec les enfants, mais concernant cette guerre, il me vient à l’esprit qu’elle est aussi un peu affectée non seulement par le problème ukraino-russe, mais aussi par la vente d’armes, par le commerce des armes. Un économiste a dit il y a quelques mois, qu’aujourd’hui les investissements qui rapportent le plus sont les usines d’armement, certainement des usines de la mort ! Le peuple ukrainien est un peuple martyr, il a une histoire de martyre, une histoire qui fait souffrir. Ce n’est pas la première fois: à l’époque de Staline, il a beaucoup souffert, beaucoup, c’est un peuple martyr. Mais nous ne devons pas jouer avec le martyre de ce peuple, nous devons l’aider à résoudre possiblement les choses, concrètement, faire notre possible. Dans les guerres, concrètement il faut faire son possible, mais il ne faut pas se faire d’illusions, imaginer que demain les deux dirigeants en guerre aillent manger ensemble. Mais dans la mesure du possible, humblement, nous ferons notre possible. Aujourd’hui, j’ai vu qu’un pays avait fait marche arrière, qu’il ne donnera plus d’armes, commençant ainsi un processus dont le martyr sera certainement le peuple ukrainien. Et c’est une mauvaise chose!
Vous avez changé de sujet. C’est pourquoi je voudrais revenir au premier sujet, le voyage. Marseille est une civilisation de nombreuses cultures, c’est un port de migrants.
À une époque, ils allaient à Cayenne où se rendaient les condamnés… L’archevêque (de Marseille, ndlr) m’a offert «Manon Lescaut» pour me rappeler cette histoire. Mais Marseille est une culture de la rencontre! Hier, on l’a vu lors de la rencontre avec les représentants des différentes confessions -musulmans, juifs, chrétiens coexistent- il y a coexistence, c’est une culture de l’aide. Marseille est une mosaïque créative, c’est cette culture de la créativité. Un port qui est un message à l’Europe: Marseille accueille. Elle accueille et fait la synthèse sans nier l’identité des peuples. Il faut repenser cette question pour les autres: la capacité d’accueil. Pour en revenir aux migrants, il y a cinq pays qui subissent de nombreux de migrants, mais dans certains de ces pays, il y a des villages qui sont vides. Je pense à un cas concret que je connais, il y a un village où vivent moins de 20 personnes âgées et rien de plus. S’il vous plaît, que ces villages fassent l’effort d’intégrer. Nous avons besoin de main-d’œuvre, l’Europe en a besoin. Une migration bien menée, c’est un atout, c’est un atout. Réfléchissons à cette politique migratoire pour qu’elle soit plus fructueuse et qu’elle nous aide beaucoup.
Maintenant c’est l’heure de la fête pour Rino et pour le départ de Roberto. Arrêtons-nous ici, merci beaucoup pour votre travail et vos questions.