Afghanistan. Retrait des troupes américaines. La guerre n’est pas finie. Cela vient de commencer

Sgt. Michael Misheff, CH-47F Chinook helicopter chew chief for Task Force Flying Dragons, flies the American flag over southern Afghanistan Aug. 28. Task Force Raptor pilots and crew chiefs fly American flags to present with certificates to service members as part of aviation tradition.

La guerre en Afghanistan a commencé le 7 octobre 2001 avec l’invasion du territoire contrôlé par les talibans par le mouvement afghan de l’Alliance du Nord avec une couverture aérienne et une assistance logistique des États-Unis et de l’OTAN. Après la conquête de Kaboul, la présence des troupes américaines a augmenté de façon exponentielle, s’étendant à tout le pays et devenant la seule force combattante capable de s’opposer aux talibans.

La guerre en Afghanistan a été justifiée par l’administration Bush comme une action militaire nécessaire et inscrite dans la lutte contre le terrorisme suite aux attentats du 11 septembre 2001, dans le but de détruire al-Qaïda et de capturer ou tuer Oussama ben Laden. Depuis l’invasion de l’Irak en 2003, la guerre en Afghanistan a perdu la priorité parmi les objectifs de l’administration américaine pour ne la retrouver que depuis 2009 sous l’administration Obama.

À partir de 2015, l’opération FIAS de l’OTAN a été remplacée par l’opération Resolute Support, visant à poursuivre l’aide au gouvernement afghan avec moins de troupes, dans le contexte d’une augmentation des offensives des talibans. Techniquement, les forces américaines n’ont pas participé à des combats au sol en Afghanistan depuis 2014. Mais les troupes antiterroristes ont depuis poursuivi et ciblé des leaders terroristes basés en Afghanistan.

Au cours de ces vingt années, les États-Unis ont en effet subi la même défaite que lors de la précédente aventure militaire de l’Union soviétique. Bien qu’elle n’ait pas connu les protestations populaires en Amérique lors du conflit vietnamien, l’engagement de l’armée américaine en Afghanistan est perçu par le public comme une aventure incompréhensible et coûteuse. Ajoutez à cela que le gouvernement de Kaboul a été incapable de construire une administration acceptable, de contrôler le territoire et de créer un appareil de défense digne de ce nom malgré tous les millions dépensés par Washington et Bruxelles pour former et armer les soldats et policiers afghans.

La décision prise en mai 2021 d’engager le retrait des troupes d’Afghanistan correspond à une capitulation politique à l’évidence sur le terrain. Les talibans ne peuvent pas être vaincus et les États-Unis ont dépensé beaucoup trop de millions de dollars pour suivre une chimère. La même conclusion est venue de la coalition de l’OTAN.

Le président Joe Biden avait fixé le retrait complet des Marines au 11 septembre 2021. Vendredi dernier, le Pentagone a décidé d’accélérer le processus en prévoyant la phase complète d’ici la fin août. Le général en charge de Kaboul, Scott Miller a déjà rapatrié la plupart des soldats et du matériel militaire. Il ne reste que 950 Marines. Le chef du commandement central des États-Unis, le général Frank McKenzie, aura l’autorité jusqu’en septembre au moins pour défendre les forces afghanes contre les talibans. Il peut le faire en ordonnant des attaques avec des avions de guerre américains basés en dehors de l’Afghanistan, selon des responsables de la défense qui ont discuté des détails de la planification militaire sous des conditions d’anonymat, informe le site américain proche du Pentagone : Defense One.

Alors que les dernières troupes de combat américaines se préparent à quitter l’Afghanistan, la question se pose : la guerre est-elle vraiment terminée ?
Pour les Afghans, la réponse est claire : la guerre ne finira pas. Au contraire, une nouvelle escalade sera amorcée par les talibans qui sont déjà à l’offensive depuis quelques mois, parvenant à reprendre le contrôle du territoire dans diverses provinces du sud. Encouragée par le départ des troupes américaines et de l’OTAN, l’insurrection talibane gagne du terrain sur le champ de bataille et les futurs pourparlers de paix sont au point mort. Certains craignent qu’une fois les forces étrangères seromt définitivement parties, l’Afghanistan se plongera plus profondément dans la guerre civile. Bien que plus faible que les talibans, al-Dawla al-Islāmiyya – DAESH (connu en Occident sous le nom d’État islamique) est également actif dans le pays.

En prévision d’une prochaine victoire des talibans sur le gouvernement fragile et faible de Kaboul, le Département d’État américain prévoit une évacuation à grande échelle des tous Afghans qui ont aidé les troupes américaines et de l’OTAN au cours des deux dernières décennies. L’utilisation d’avions commerciaux affrétés et protégés par un pont aérien militaire de l’US Air Force est envisagée.

Alors que la guerre américaine en Afghanistan touche à sa fin, il n’y aura pas de capitulation, pas de traité de paix, pas de victoire finale ou de défaite décisive. Biden dit que les États-Unis ont atteint leurs objectifs dans le pays : démanteler Al-Qaïda et tuer Oussama ben Laden. Il est évident, non seulement pour les Afghans mais pour la communauté internationale, qu’il s’agit d’une excuse commode pour dissimuler une défaite militaire.

Les talibans sont déterminés à renverser le gouvernement de Kaboul et à restaurer le gouvernement théocratique islamique pré-américain. Ces dernières semaines, la violence en Afghanistan a augmenté. Les attaques des talibans contre les forces afghanes et les civils se sont intensifiées et le groupe a pris le contrôle de plus de 100 centres de district. Les dirigeants du Pentagone ont déclaré qu’il existe un risque “moyen” que le gouvernement afghan et ses forces de sécurité s’effondrent dans les deux prochaines années, sinon plus tôt. Selon divers experts militaires (y compris des Russes), il s’agit d’une prévision beaucoup trop optimiste. Le gouvernement résistera que quelques mois en face à une offensive bien organisée par les talibans.

Une conséquence économique directe du retrait américain est la frontière avec le Tadjikistan. Les États-Unis ont dépensé plus de 40 millions de dollars pour la construction de l’infrastructure routière reliant les deux pays liés par des échangés commerciaux intensifs. Désormais, ces routes sont maintenant sous le contrôle des talibans qui perçoivent leurs propres taxes douanières aux frais du gouvernement de Kaboul. En signe de mépris et de moquerie, les talibans ont publié des images de propagande montrant des terroristes gardant les postes frontaliers et remerciant ironiquement « l’Oncle Sam » pour les bonnes routes qu’ils ont construites.

Les dirigeants américains insistent sur le fait que la seule voie vers la paix en Afghanistan passe par un accord négocié. L’administration Trump a signé un accord avec les talibans en février 2020 qui stipulait que les États-Unis retireraient leurs troupes d’ici mai 2021 en échange de diverses promesses des talibans, notamment pour empêcher l’Afghanistan d’être à nouveau une arène pour les attaques contre l’Amérique. Désormais, comme il fallait s’y attendre, les talibans maintenant ne reconnaissent pas les accords signés il y a tout juste deux mois.

La mission Resolute Support de l’OTAN visant à former, conseiller et assister les forces de sécurité afghanes a commencé en 2015, lorsque la mission de combat dirigée par les États-Unis a été officiellement déclarée terminée. À ce moment-là, les Afghans assumaient l’entière responsabilité de leur sécurité, mais restaient dépendants de milliards de dollars par an d’aide américaine et européenne.

Au plus fort de la guerre, il y avait plus de 130 000 soldats en Afghanistan provenant de 50 pays de l’OTAN et pays partenaires. Cela faisait environ 10 000 soldats de 36 pays pour la mission Resolute Support, et cette semaine, la plupart avaient retiré leurs troupes. Les troupes de l’OTAN ne se retireront pas d’ici septembre mais très probablement d’ici 2022. À tous égards, leurs opérations de combat militaire sont désormais très limitées.

La seule chance pour le gouvernement de Kaboul et le président Ashraf Ghani vient de Turquie. Istanbul a négocié un accord avec les dirigeants afghans pour assurer la sécurité à l’aéroport international de Kaboul et ils ont promis d’augmenter leurs effectifs actuels sous la coordination de l’OTAN si le besoin s’en faisait sentir. Il n’est pas exclu que le président Ghani se tourne également vers la Russie pour pouvoir contenir la menace talibane.

Pour éviter que l’Afghanistan ne tombe sous l’influence turque ou, pire encore, russe, divers experts du Pentagone suggèrent de poursuivre les opérations de raids aériens et de missiles en soutien à l’armée afghane depuis des bases étrangères au Moyen-Orient au Qatar et aux Émirats Arabes Unis. Les experts du Pentagone avertissent l’administration Biden qu’elle ne pourra pas mettre fin aux efforts antiterroristes américains en Afghanistan pour la simple raison que la menace terroriste n’a pas disparu.

Inversement, comme l’a carrément averti un rapport non classifié du Département du Trésor américain cette année, « al-Qaïda gagne en force en Afghanistan alors qu’elle continue d’opérer avec les talibans sous la protection des talibans ». Par ailleurs, alors que les sanctuaires terroristes se sont multipliés depuis les attentats du le 11 septembre 2001, une « partie importante » de la direction d’al-Qaïda est toujours basée sur la frontière entre l’Afghanistan et le Pakistan, selon un rapport des Nations Unies publié ce mois-ci, qui souligne l’importance particulière de la région pour un réseau islamique extrémiste.

Cette semaine a eu lieu le retrait américain de la base stratégique de Bagram. Une retraite sans cérémonies et sans attendre que la base soit occupée par une division de l’armée que Kaboul s’apprête à stationner dans la région. Des dizaines de civils afghans ont pénétré dans l’installation et l’ont saccagé, volant du ravitaillement avant d’être repoussés par les quelques soldats afghans restants gardant l’immense base de Bagram. « Ce qui reste des États-Unis à Bagram, ce sont les ordures qu’ils ont laissées derrière eux, des véhicules militaires cassés, des mâts de drapeau rouillés, le système d’approvisionnement en eau délibérément détruit et une poignée de soldats afghans confus qui sont susceptibles de passer du côté des talibans ou de déserter sous peu. » Dit une source afghane qui habite près de la base interrogée par Reuters.