Burundi. La junte militaire refuse de coopérer avec l’ONU sur les droits de l’homme. Coup dur pour les amis du régime au Parlement Européen

Deux mois après la fin du mandat de la Commission d’Enquête Indépendante au Burundi, la junte militaire burundaise vient de fermer définitivement la porte à toute possibilité d’enquête indépendante dans le pays relative aux violences ethniques et politiques qui se commettent toujours avec une totale impunité. Les victimes de ces violences sont : la minorité tutsie, les opposants, la société civile et les centaines de milliers de Hutus opposés au régime, sympathisants du parti d’opposition CNL (Congres National pour la Liberation), dirigé par Aghaton Rwasa, véritable vainqueur des élections présidentielles tenues en Mai 2020. Une décision destinée à étendre les sanctions économiques décidées par l’Union Européenne en 2016 dont le régime était certain qu’elles seraient abrogées d’ici novembre dernier. Possibilité ventilée par l’Union Européenne elle-même.

La question des droits humains est au centre du dialogue politique au Burundi, qui traverse une grave crise économique et politique qui a débuté avec l’arrivée au pouvoir du parti extrémiste hutu CNDD-FDD en 2005 et s’est aggravée en 2015 lorsque la population s’est opposée à la tentative du dictateur Pierre Nkurunziza d’obtenir le troisième mandat présidentiel contrairement aux dispositions de la Constitution.
L’opposition populaire a été réprimée dans un bain de sang et un dur pogrom a commencé contre les associations de défense des droits de l’homme, la société civile, les partis d’opposition et la minorité ethnique tutsie. L’escalade des violences ethniques promue par le défunt dictateur Nkurunziza et désormais maintenant par la junte militaire dirigée par le Général Neva (alias Évariste Ndayishimiye) illégalement au pouvoir depuis juin 2020, a contraint l’Union Européenne à imposer de lourdes sanctions économiques en 2016.

En 2021, un dialogue politique a été engagé entre la junte militaire et l’Union Européenne afin de vérifier les prétendues améliorations des droits de l’homme et les promesses de réformes et d’ouvertures démocratiques faites par le Général Neva. Des ouvertures qui, si elles avaient été réellement mises en œuvre, auraient déclenché un processus de révision sinon d’abrogation des sanctions économiques européennes qui ont littéralement mis le pays à genoux.
Ce dialogue politique, mené par l’UE par son représentant au Burundi : l’Ambassadeur Claude Bochu, a buté dès le départ, notamment sur la question de l’existence même de la Commission d’Enquête Indépendante de l’ONU chargée d’enquêter sur les violations des droits humains commises au Burundi. Une structure pleinement soutenue par les Européens, mais dont la junte militaire burundaise n’a jamais voulu entendre parler.
Convaincue de la sincérité des intentions exprimées par le Général Neva et sous les conseils du représentant de l’UE Claude Bochu (@ClaudeBochuEU), Bruxelles avait proposé de transformer la Commission d’Enquête Indépendante de l’ONU en la dotant d’un mécanisme plus léger renforcent la participation des autorités locales, suscitant l’indignation et les avis contraires de l’opposition politique, des associations de défense des droits humains et de la société civile burundaise.

L’UE, grâce également aux rapports confidentiels optimistes envoyés par l’ambassadeur Bochu sur les prétendues ouvertures démocratiques du régime et sur l’amélioration tout aussi prétendue du respect des droits de l’homme, avait décidé d’ignorer l’avis des forces démocratiques et les preuves présentées d’une augmentation exponentielle des violences contre les civils volue par le Général Neva et par le Premier Ministre, le Maréchal Général Alain Guillaume Bunyoni. Il y a deux mois, Bruxelles avait adopté ce changement dans le mécanisme d’enquête sur les violations des droits humains au Burundi, espérant que la junte militaire burundaise reviendrait bientôt se sentir à l’aise et moins sous pression de l’extérieur, permettant ainsi une accélération du processus fantôme d’ouvertures démocratiques.

Cet espoir s’est brisé jeudi lorsque le chef de la diplomatie burundaise a annoncé lors de la réunion du corps diplomatique à Bujumbura que le rapporteur spécial, dont la nomination est prévue pour mars 2022, ne sera pas le bienvenu dans le pays car sa nomination a été faite avec la coercition.
C’est ce qu’a déclaré le Ministre des Affaires Étrangères Albert Shingiro, un extrémiste bien connu de la domination raciale HutuPower et un partisan ouvert de la nécessité d’exterminer complètement la minorité tutsie persistante dans le pays. “Notre pays démocratique et souverain ne permettra jamais au rapporteur spécial imposé par la force d’enquêter sur des violations présumées et imaginaires des droits de l’homme qui n’ont jamais eu lieu”, a déclaré Shingiro dans une déclaration aux journalistes écrite dans la langue nationale : le kirundi.
La décision prise représente un recul vers les ouvertures entre le Burundi et l’Union Européenne et un coup dur pour tous les « amis » européens du régime et pour les personnes de bonne volonté, y compris les congrégations catholiques européennes bien connues qui avaient tenté d’adopter une nouvelle approche avec le Burundi après la mort du dictateur sanglant Pierre Nkurunzisa l’année dernière. Désormais, les critiques et mises en garde de l’opposition et de la société civile burundaise, qui ont toujours souligné une continuité de terreur et de violence entre Nkurunziza et l’actuel Président Evariste Ndayishimiye, se sont avérées pleinement fondées.

Le Rapporteur Spécial des Nations Unies pour le Burundi a été créé en octobre par le Conseil des Droits de l’Homme des Nations Unies pour remplacer la Commission d’Enquête des Nations Unies sur le pays. Le Ministre burundais des Affaires Étrangères, dans ses commentaires la semaine dernière, a déclaré que le gouvernement actuel avait amélioré les droits de l’homme, annonçant la fin du programme de sanctions américain contre le pays le mois dernier. Il s’est cependant opposé au maintien des sanctions de l’UE.
Comme cela se passe en Éthiopie, les déclarations du régime correspondent exactement à leur contraire. Les violations des droits humains ont augmenté depuis l’accession illégale au pouvoir du Général Neva par rapport à 2019-2020, lorsque Nkurunziza a relâché la pression après avoir pris le contrôle de l’opposition politique et anéanti la faible opposition armée.

A la liste interminable d’horribles exécutions extrajudiciaires à caractère ethnique politique s’ajoute le massacre de détenus qui a eu lieu à la prison de Gitega dans la nuit du 6 au 7 décembre. Selon le communiqué officiel publié par la junte militaire, l’incident est dû à des causes accidentelles et a fait 38 victimes parmi les prisonniers.
Malheureusement, la vérité est différente. Selon des informations reçues par la presse indépendante dont le directeur de la Radio Publique Africaine : Bon Rugurika, validées par des sources de la société civile en exil et des sources diplomatiques occidentales au Burundi, l’incendie a fait plus de 100 victimes dont les corps ont été jetés dans des fosses communes pour cacher les preuves du massacre.

Il ne s’agissait pas d’un incendie dû à des causes accidentelles mais d’un incendie volontaire provoqué par les services secrets sous l’ordre conjoint du Président Évariste Ndayishimiye et du Premier Ministre le Marechal Général Bunyoni. La veille de l’incendie, la direction de la prison a fait disparaître tous les dossiers des détenus afin de rendre impossible l’identification des victimes.
La prison de Gitega, un établissement délabré de l’époque coloniale, a une capacité de 400 détenus. Au moment du drame, 1 442 personnes étaient incarcérées, pour la plupart des opposants politiques et des membres de la société civile. Parmi eux se trouvaient également 50 officiers qui avaient participé au coup d’État manqué contre le dictateur Nkrunziza en mai 2015.

L’incendie criminel visait à liquider les 50 officiers du coup d’État de mai 2015. Ironiquement, les 50 officiers sont sortis indemnes grâce à leur formation militaire qui leur a permis de gérer l’urgence en évitant la mort par suffocation ou d’être brulés vifs par les flammes. Les détails de l’incendie criminel auraient été portés à l’attention du Parlement Européen comme une preuve supplémentaire de la volonté fausse et trompeuse de réformes démocratiques annoncée par la junte militaire.
Bien qu’en grande difficulté et en grande gêne, la faction de la junte militaire burundaise au sein de l’UE a réussi à prolonger la décision finale de lever ou non les sanctions économiques à fin février, début mars 2022. Selon des sources diplomatiques bien informées, il est maintenant désormais plus difficile pour les «amis» d’Evariste et de Bunyoni de faire passer le récit de réformes démocratiques et d’abrogation des sanctions.
Le représentant de l’UE, Claude Bochu, n’a pas commenté le report de la discussion sur les sanctions imposées au Burundi. Les sources diplomatiques contactées soulignent une forte gêne de Bochu qui depuis mai dernier à diverses reprises aurait presque donné pour certain l’abrogation des sanctions. Cependant, l’engagement de l’Ambassadeur Bochu auprès du «gouvernement» burundais semble plus actif que jamais.

En novembre dernier, aussi grâce à ses rapports, l’Union Européenne a accordé une nouvelle aide de 4 millions d’euros pour le rapatriement des Burundais de Tanzanie à travers deux projets visant à répondre aux besoins humanitaires des rapatriés. Ceci malgré le fait que les associations internationales de défense des droits de l’homme et la société civile burundaise ont présenté depuis 2020 divers témoignages de rapatriement forcé effectué par la police tanzanienne en étroite collaboration avec les milices paramilitaires du régime : les Imbonerakure et la violence et la répression de tous les rapatriés présumés soutenir le parti d’opposition hutu CNL d’Aghaton Rwasa.
Toujours grâce aux vœux de l’Ambassadeur Bochu et de l’Ambassadeur de France Jérémie Blin (@jeremieblin), la multinationale énergétique française VINCIEnergies (qui possède également des succursales en Italie) a signé le 7 décembre un contrat de 22 millions d’euros avec la société Regideso Burundian Public Energy à renforcer l’approvisionnement et l’accès à l’électricité.

Au-delà du rideau de propagande, cet accord est une privatisation de facto après que le régime a intentionnellement fait faillite la Regideso, l’une des entreprises publiques les plus prospères. Après l’avoir mis en faillite, le régime a remplacé tous les membres du Conseil d’entreprise en plaçant des noms fidèles au Président Général Neva et au Premier Ministre Bunyoni.
Des militants de la société civile burundaise contraints à l’exil, informent que la signature de l’accord en date du 7 décembre est purement symbolique puisque la privatisation a eu lieu à l’insu de la population début octobre. La société civile dénonce également que le Generaux Neva et Bunyoni bénéficieront de cette privatisation. La population, déjà réduite à l’extrême pauvreté, s’est retrouvée depuis octobre 2021 à payer le triple des factures d’électricité au profit du Président, du Premier Ministre et de la multinationale française. Les affaires sont les affaires.

Fulvio Beltrami