Burundi : l’Union Européenne aime-t-elle les dictatures africaines (F. Beltrami)

Le vendredi 9 avril, l’Union Européenne et la junte militaire au pouvoir au Burundi ont tenu une deuxième série de pourparlers pour donner suite au dialogue lorsque le Général Neva (nom de guerre d’Evariste Ndayishimiye officiellement utilisé sul la page Twitter de la Présidence) est devenu Chef d’Etat après les élections du Mai 2020 caractérisées par une violente répression des candidats de l’opposition et une forte fraude électorale. Dans la crise burundaise, qui a débuté en 2015, mais qui a ses origines en 1993 et ​​2005, ce qui se présente actuellement comme un «gouvernement légitime» est en fait une junte militaire de le groupe armé HutuPower Forces en Décence de la Démocratie: FDD et son aile politique  Conseil National en Décence de la Démocratie: CNDD.

La majorité des Généraux qu’ils composent le gouvernement sont soupçonnés de crimes contre l’humanité commis pendant et après les manifestations populaires de 2015 contre le troisième mandat du chef de guerre Pierre Nkurunziza, dirigeant du CNDD-FDD decedu en 2020 à cause du Covid19. C’est précisément ces violences, bien documentées par les Nations Unies, qui a poussé l’Union Européenne en 2016 à bloquer l’aide humanitaire et à imposer de lourdes sanctions économiques qui ont mis l’économie du petit pays africain à genoux.

Après la mort du dictateur Nkurunziza et avec la montée au pouvoir du Général Neva, le régime s’est rendu compte que les alliés disponibles: la Russie, la Chine, l’Égypte, la Turquie étaient valables sur le plan politique pour se battre  à faveur du régime chez le Conseil de Sécurité de l’ONU et dans d’autres institution internationales,  mais avare de financement au régime et du soutien au développement du Burundi.

Avec le pays en lambeaux, le régime a désespérément besoin de liquidités suffisantes pour relancer l’économie. Une liquidité qui ne peut provenir que de l’Union Européenne et des États-Unis. Les nouveaux dirigeants du CNDD-FDD depuis août 2020 tentent de faire croire à une amélioration des droits de l’homme et à la volonté d’ouverture démocratique, malgré divers rapports également des Nations Unies qui indiquent le contraire.

Le Général Neva a rencontré l’an dernier l’ambassadeur de l’Union Européenne au Burundi, Claude Bochu, ainsi que les Ambassadeurs d’Allemagne, de Belgique et de France. Après la réunion, Bochu a déclaré que le moment était venu de résoudre les malentendus dans le respect mutuel. Le travail de réhabilitation du régime burundais qui a commencé sous la pression de la France et de l’Allemagne est resté sourd aux rapports Onusiennes qui ont mis en évidence une augmentation des violations des droits de l’homme et un renforcement du pouvoir des milices paramilitaires Imbonerakure.

Facteurs inquiétants et aggravés par l’augmentation de l’influence politique militaire sur la junte Gitega par le groupe terroriste rwandais Forces Démocratiques de Libération du Rwanda – FDLR, allié du CNDD-FDD depuis 2015. Les FDLR du Burundi ont tenté d’envahir le Rwanda au moins une fois par an entre le 2015 et le 2020. Ils sont soupçonnés par le gouvernement de la République Démocratique du Congo d’être les instigateurs et les auteurs du meurtre de l’Ambassadeur italien Luca Attanasi qui a eu lieu près de Goma, province du Nord-Kivu, au Congo. Il est d’actualité ces jours-ci que le Président congolais Félix Tshisekedi a ordonné à l’armée de lancer une offensive dans l’est du pays pour achever les opérations militaires contre les FDLR commencées en 2019 en collaboration avec le Rwanda.

Le 11 décembre, le Ministre des Affaires Etrangères et de la Coopération, Albert Shingiro, a invité l’Ambassadeur de l’Union Européenne et tous les Ambassadeurs des pays membres de l’UE présents au Burundi à déjeuner. C’est au cours de ce déjeuner que des équipes d’experts de l’UE et du Ministère des Affaires Etrangères ont été constituées pour préparer une réunion entre le ministre Shingiro et l’Union Européenne et ses États membres selon les informations reçues par les médias est-africains.

Le projet de réhabilitation franco-allemand de la junte militaire burundaise a été entravé et a rencontré des difficultés initiales en raison de l’opposition de 43 eurodéputés. « Le Burundi continue de violer les droits de l’homme, principes énoncés à l’article 96 de l’Accord de Cotonou. Les droits de l’homme continuent d’être violés par les services de l’État au Burundi. Violation du droit à la vie, enlèvements ou disparitions forcées, violences basées sur le genre, torture, arrestations arbitraires et détentions contre des opposants sont toujours présents, La reprise du dialogue et de la coopération entre le Burundi et l’UE est essentielle, mais elle ne peut être prévue sans preuves du gouvernement démontrant l’amélioration des droits de l’homme », ont déclaré les 43 députés européens dans une correspondance adressée à M. Josep Borrell Fontelles, haut représentant de l’UE pour les affaires étrangères et les politiques de sécurité, également vice-président de la Commission européenne.

Malgré cette opposition claire, l’axe franco-allemand a décidé d’ignorer totalement l’horrible situation des droits de l’homme au Burundi pour poursuivre la politique de réhabilitation du régime. Selon des fuites de sources diplomatiques africaines, les représentants de l’UE ont accepté les 6 priorités soumises par le régime pour remettre le pays sur les rails. Parmi ceux-ci, il n’y a aucune mention des droits de l’homme, de la démilitarisation des Imbonerakure, de la rupture de l’alliance politico-militaire avec les terroristes rwandais des FDLR et de l’augmentation des espaces démocratiques. Les 6 priorités seraient: la santé publique, l’éducation, l’agriculture et l’élevage, la gratuité des soins de santé pour les retraités et le développement des jeunes. Il a également été question d’un «bon gouvernement» sans entrer dans les détails.

À la fin des entretiens, les représentants U.E. auraient déclaré aux médias burundais que leur pays n’était plus considéré comme “un facteur de risque sur le continent”, rappelant que le 4 décembre 2020, le Conseil de Sécurité des Nations unies l’avait retiré de son ordre du jour.

Albert Shingiro, Ministre burundais des Affaires Etrangères et de la Coopération (et leader de la milice Imbonerakure), a déclaré: “Nous sommes convaincus que cette température atteindra un niveau de réchauffement normal à l’issue de ce dialogue que nous entamons aujourd’hui avec une détermination et une volonté partagées.” L’Union Européenne allouerait environ 62 millions d’euros à la promotion de la santé et de l’éducation au Burundi. Une grande partie de cette aide humanitaire ferait partie d’accords bilatéraux entre États sans l’intermédiation d’ONG internationales ou burundaises, selon les rapports reçus. Des sources diplomatiques expriment la crainte que l’Union Européenne abroge (peut-être partiellement) les sanctions économiques imposées au Burundi en novembre.

L’agenda des droits de l’homme ressemble être été relégué à un coin de rue pour donner la priorité à la stabilité régionale. L’axe franco-allemand est convaincu qu’un changement démocratique du régime actuel pourrait déclencher une guerre régionale à laquelle ils ne pourraient pas faire face car Bruxelles est déjà mise à rude épreuve par la guerre civile en Éthiopie. C’est un faux axiome. La nature du régime Gitega n’a pas changé par rapport à l’idéologie originale du groupe de guérilla Hutupower de domination raciale hutu. Cette idéologie a conduit au génocide de 1994 au Rwanda.

On a la nette impression que la junte militaire burundaise se moque de l’Union Européenne. En même temps que les promesses de bonne foi faites aux envoyés de l’UE pour «avoir l’argent», le régime a accompli un obscure recensement ethnique dans le pays, condamné 43 dirigeants de l’opposition et 12 dirigeants de la société civile et journalistes à la réclusion à perpétuité par contumace.

Le jeudi 8 avril, le bureau de l’Envoyé Spécial des Nations Unies au Burundi a reçu notification officielle du régime de fermeture d’ici le 31 mai 2020. `Thème résolument politique, la présence de l’ONU est depuis des années une source de tension entre l’organisation et les autorités burundaises, qui ont mis en doute la nécessité d’une mission d’observation du Conseil de Sécurité de l’ONU. Le bureau a été créé après que la nation centrafricaine a été plongée dans une crise politique en 2015, lorsque le président de l’époque, Pierre Nkurunziza, s’est présenté pour un troisième mandat controversé, provoquant des violences qui ont entraîné au moins la perte de milliers de vies. Suite à la fermeture du bureau de l’Envoyé de l’ONU, l’ONU devrait continuer à surveiller le Burundi par l’intermédiaire de l’envoyé spécial dans la région des Grands Lacs, Huang Xia de nationalité chinoise. Petit détail. Huang Xia est célèbre pour être un sympathisant du régime qui suit les conseils de son gouvernement de Pékin allié au CNDD-FDD…

L’opposition politique burundaise est fragmentée tandis que l’opposition armée: FOREBU RED Tabara et FNL sont à 100% dépendants du Rwanda. Pour le moment, le gouvernement de Kigali a décidé de ne pas soutenir l’opposition armée basée principalement dans l’est du Congo et dans une moindre mesure au Rwanda. De nombreux Burundais soupçonnent que le président Paul Kagame est entrain d’abandonner la cause de la démocratie au Burundi à la suite d’un accord hypothétique avec la France qui fournit une assistance à l’élimination du groupe terroriste rwandais FDLR en échange du maintien du statu quo au Burundi. La France aurait garanti que la junte militaire ne soutiendra aucune tentative d’agression contre le Rwanda et améliorera les relations entre les deux pays.

Ce ne serait pas la première fois que le gouvernement rwandais trahirait ses alliés. Au Congo, le Président Kagame a soutenu deux groupes armés Banyarwanda (Tutsi congolais) en 2009 et 2012 en fournissant des armes et des hommes pour remporter des victoires militaires et faire pression sur le gouvernement de Kinshasa à l’époque sous le commandement du Président Joseph Kabila. Une fois la supériorité militaire démontrée, le Rwanda a trahi ses alliés: le colonel Laurent Nkunda et le <ouvement 23 Marz (M23) pour obtenir une prolongation de temps dans le vol de ressources naturelles dans l’est du Congo: en particulier le coltan, un minerai primaire pour les ordinateurs et la téléphonie.

Une indication que le gouvernement rwandais se prépare à trahir l’opposition burundaise est la décision prise par le Président Paul Kagame de fermer trois médias burundais opérant en exil au Rwanda. À savoir : Radio Publique Africaine, Radio Izamba et Reinassance TV. En 2015, le régime a détruit leurs bureaux, saisi leurs comptes bancaires, tué leurs journalistes, les forçant à l’exil. Les trois médias cités, depuis 5 ans représentent la seule source alternative d’information sur les crimes commis par le régime au Burundi. Maintenant, ils risquent d’être réduits au silence.

Le Président américain Joe Biden est opposé aux ouvertures de l’UE et estime qu’il est encore prématuré de lever les sanctions contre le Burundi. Dans le rapport annuel 2020 sur les relations entre les États-Unis et un seul pays, le Burundi a été mis sur liste noire en raison de crimes documentés de 2015 à aujourd’hui. << De nombreux rapports indiquent que le gouvernement ou ses agents, y compris la police, le Service national des renseignements (SNR), le personnel militaire et des éléments des Imbonerakure, ont commis des meurtres arbitraires ou illégaux, souvent contre des partisans présumés de l’opposition politique ou contre ceux qui ont exercé leurs droits légitimes », lit-on dans le rapport.

La reddition inconditionnelle de l’Union européenne au Burundi est un autre signe d’un moment difficile qui traverse le Vieux Continent. Les graves problèmes internes (à la fois politiques et économiques) causés par la pandémie de Covid19 ont généré une faiblesse de la politique étrangère (qui n’a jamais été compacte et partagée par tous les États membres) qui rend l’UE incapable d’être un facteur de stabilisation sur la scène internationale chaotique. Les exemples évidents sont l’Éthiopie et la Turquie. Les régimes autoritaires du tiers monde ont compris que l’équilibre des pouvoirs n’est plus en faveur de l’Union Européenne. Ils ignorent donc tout appel à la paix (dans le cas de l’Éthiopie) ou tentent d’exploiter les ouvertures au dialogue (dans le cas de Turquie). De l’Union Européenne, ces régimes dictatoriaux veulent seulement de l’argent.