Le père Gianfranco Ghirlanda, grand canoniste, proche collaborateur de Joseph Ratzinger depuis l’époque à laquelle le futur Pape était Préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, a expliqué les raisons de ce choix d’établir les ordinaires anglo-catholiques à l’intérieur du rite latin. “Depuis le début, il était clair qu’il fallait trouver une figure canonique qui permettrait l’intégration corporative dans l’Eglise catholique des fidèles de chaque état de vie venant de l’anglicanisme, mais, dans le même temps, la protection de leur patrimoine spirituel, liturgique, théologique et rituel”. Il a été tout de suite compris que la figure de l’Eglise ‘sui iuris’ distincte de l’Eglise latine ne pouvait fonctionner, parce que “la tradition liturgique spirituelle et pastorale anglicane apparait plutôt comme une particularité à l’intérieur de l’Eglise latine”.
Tout cela signifie que, pour la première fois depuis des siècles, des hommes mariés peuvent être ordonnés prêtres dans le rite latin. Une ouverture historique, même si elle ne remet évidemment pas en discussion la règle générale du célibat. Dans son livre “Foi et avenir” en 1970, le théologien Joseph Ratzinger, devenu Benoît XVI, expliquait déjà que la meilleure voie était celle du “cas par cas”: “l’Eglise va sans aucun doute découvrir des nouvelles formes de ministère, et ordonnera à la prêtrise des chrétiens aptes, et pouvant exercer une profession. Dans de nombreuses petites congrégations ou des groupes indépendants, la pastorale sera gérée de cette manière. Parallèlement, le ministère du prêtre à plein temps restera indispensable, comme avant”.
À bien y regarder, il s’agit d’une vision bien plus réformatrice de celle du Pape François qui aujourd’hui a clarifié sa position par la voix de son porte-parole Matteo Bruni: “la position du Saint-Père sur le célibat est connue. Lors d’une conversation avec les journalistes de retour des JMJ de Panama, le Pape François a affirmé : ‘Il me vient à l’esprit une phrase saint Paul VI : “Je préfère donner ma vie avant de changer la loi du célibat”’. Il avait alors ajouté: ‘personnellement, je pense que le célibat est un don pour l’Église. Je ne suis pas d’accord pour permettre le célibat comme une option. Il resterait juste quelques possibilités, dans les localités les plus reculées, je pense aux îles du Pacifique (…) quand il y a une nécessité pastorale, le pasteur doit penser aux fidèles.” Dans le cadre du Synode sur l’Amazonie en octobre 2019, le Pape affirmait lors de la session conclusive : “cela m’a fait très plaisir que nous ne soyons pas tombés prisonniers de ces groupes sélectifs qui ne veulent voir du synode que ce qui a été décidé sur tel ou tel point intra-ecclésiastique, et qui nient le corps du Synode que sont les diagnostics que nous avons faits sur les quatre dimensions” (pastorale, culturelle, sociale et écologique).
Deux papes aux rapports cordiaux
Finalement la bonne théologie et le bon sens vont de pair, comme les deux Papes. Reste le problème du livre écrit en collaboration avec le cardinal ultra-conservateur Robert Sarah, une personnalité très complexe. Un homme qui n’est presque jamais traversé par des doutes, ce qui n’est pas bon pour un pasteur. Ainsi, le cardinal Sarah soutient que “avec certitude, nous savons bien que l’ordination d’hommes mariés ou la création de ministères féminins ne sont pas des demandes des peuples amazoniens. C’est un fantasme de théologiens occidentaux en manque de transgressions. Je suis choqué que la détresse des pauvres soit instrumentalisée à ce point”. Selon le cardinal, Préfet de la Congrégation pour le Culte divin, si l’Eglise a eu des prêtres mariés dans les premiers siècles, “dès le moment de leur ordination, ils étaient contraints à l’abstinence totale de relations sexuelles avec leurs épouses. C’est un fait prouvé par des recherches récentes”.
Une fermeture totale, donc, aux ouvertures du Synode voulu par le Pape François, et qui ne déplaisait pas à son prédécesseur (d’après ce qui se dit). “Officiellement, explique le vaticaniste Iacopo Scaramuzzi, les rapports entre François et Benoîts sont cordiaux, les marques d’estime réciproque sont nombreuses, et il n’y a pas de raison de croire qu’elles ne soient pas sincères, mais au fil des ans, certains ont subtilement insinué le doute sur une compétition. Mgr Georg Gaenswein, Secrétaire particulier de Joseph Ratzinger, parle d’un “ministère élargi avec un membre actif et un membre contemplatif”, “presque un ministère commun”. Le soupçon, démenti par les mots, est confirmé par les faits. A côté de l’omniprésent Mgr Gaenswein, ce n’est pas un hasard s’il reçoit souvent des personnes critiques, et même farouchement, envers le Pape en fonction (par exemple, Mgr Livio Melina, très hostile au nouveau statut voulu par Bergoglio pour l’Institut Jean–Paul II pour les Sciences du Mariage et de la Famille, qu’il a longuement présidé).
Pour Scaramuzzi, en fait, “beaucoup soulignent que Benoît XVI, 92 ans et de plus en plus faible, est plus facilement influencé par son entourage, si bien que certaines initiatives reflètent les désidératas de ses destinataires plus que les intentions du rédacteur”.
Salvatore Izzo