Le report du voyage du pape au Congo évite une éventuelle exploitation. Ernesto Africano: “en RDC le patriotisme devient un appel à tuer”

“Je suis heureux que le Pape ne se rende pas au Congo : dans cette situation, François aussi aurait été enrôlé dans une cause militante”. Ernesto Africano (nom de fantaisie) commente ainsi FarodiRoma sur l’escalade de la violence qui se développe aux frontières entre la République démocratique du Congo et le Rwanda, précisément dans les jours qui auraient dû être la veille du voyage de François. Il est difficile de comprendre si le report du voyage du pape, même s’il est motivé par des raisons de santé, est en quelque sorte lié aux nouvelles tensions entre la RDC et le Rwanda et à la reprise des actions militaires par des formations telles que le M23, le 23 mars Mouvement, un groupe rebelle majoritairement tutsi actif dans l’Est de la RDC, un groupe armé qui au fil du temps est devenu avant tout un mouvement politique. Ernesto Africano a participé à ses activités et aussi à sa transformation, avant de quitter le militantisme actif pour devenir un observateur attentif et autoritaire de ce qui se passe.

Pourquoi pensez-vous que le voyage du pape en juillet n’aurait pas été opportun ?
Car on assiste à une radicalisation des positions et le gouvernement de Kinshasa sème la haine contre la minorité tutsie et contre le Rwanda, pour que le patriotisme devienne un appel à tuer.
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Pourquoi en sommes-nous arrivés là ?
La RDC est un grand pays à défaut d’être un État, il y a plus de 400 tribus sur un territoire qui est presque équivalent en extension à l’Europe du Nord, et si dans les années 60 il y avait la droite et la gauche, dans le sens où il y avait une conscience politique supérieure, maintenant pas de conscience politique et pas de ligne idéologique claire, mais un grand vide, celui d’un État défaillant, qui n’a pas créé de routes et surtout n’a pas créé de liens entre les communautés. C’est précisément celui de l’incapacité à s’intégrer entre les différents groupes ethniques qui est le principal problème.
Les politiciens poussent à la haine ethnique, désignant les Tutsis comme un mal absolu, comme si nous étions un danger pour la société. Et on assiste à une véritable chasse à l’homme à chaque fois qu’un Tutsi isolé est identifié dans les villages bantous, ethnie majoritaire dans le pays, qui évidemment ne dérange personne. C’est une campagne acharnée pour criminaliser la minorité, en l’accusant d’être rwandaise et de servir le Rwanda.

L’absence de l’Etat dans les domaines de la formation, de l’assistance et en fait aussi de la sécurité, favorise cette dérive raciste. Pendant ce temps, les communautés vivant vers les frontières sont économiquement plus en relation avec les pays voisins qu’avec le gouvernement central, et alors qu’il n’y a pas de routes entre le nord, le sud, l’est et l’ouest, la contrebande de matières premières se développe ce qui renforce les groupes armés . : il y en a un pour chaque tribu. Et ils obtiennent des armes de la vente illégale de matières premières.
C’est une entreprise qui implique aussi l’État. Ce n’est qu’ainsi que le gouvernement peut armer l’armée, mais le contrôle du territoire est devenu très compliqué.

Le conflit ethnique est-il donc alimenté par les intérêts économiques de groupes étrangers ?
Le néo-colonialisme est encore pire que le colonialisme, les multinationales n’assument aucune obligation de faire quelque chose pour le pays où elles opèrent, elles se contentent de suivre ce que dit le gouvernement afin de continuer à commercer.
Le Congo est le pays le plus riche d’Afrique mais ce fait n’a pas aidé la société civile à se développer, et maintenant le peuple veut la guerre avec une autre partie du peuple, ceux qui doivent partir pour le bien du pays, dit-on. Ce qui s’est passé il y a déjà 25 ans se répète, les Tutsis étant forcés de se réfugier dans les camps de réfugiés juste au-delà des frontières, et maintenant il n’y a aucune volonté politique de ramener ces personnes dans les villages. Le nettoyage ethnique a été effectué, tout comme en Palestine, sauf que les Palestiniens ont été reconnus par la communauté internationale.
Les multinationales se foutent de la paix et se fichent des besoins des populations, mais elles ne comprennent pas qu’en réalité cette situation empêche un développement dont elles aussi bénéficieraient.
En fait, le Congo deviendrait un environnement de paix, avec un peuple travailleur et un État digne de ce nom, qui paie les enseignants et les soins de santé, car pour résoudre les problèmes du pays, il faut commencer par l’administration.

Mais l’Eglise peut-elle jouer un rôle pour aider la RDC à sortir de ce gouffre ?
En matière de haine ethnique, les dirigeants de l’Église sont malheureusement incapables de proposer un discours qui va à l’encontre de la pensée actuelle. En fait, tout le monde parle la même langue, et aider à vaincre la méfiance serait le propre de l’Église, à mon avis elle devrait aussi aider en se substituant à l’État, comme elle aide dans les services publics. Au lieu de cela, tout comme cela se produit en Ukraine, où les chefs religieux chrétiens qui incitent au nationalisme ne manquent pas, il en va de même au Congo, où trop souvent les chefs religieux invitent les gens à répondre par la haine à la haine, oubliant que même si nous sommes d’origine différente groupes ethniques, nous sommes tous congolais.

La haine est vraiment une maladie, et tant que le Congo n’aura pas une structure mentale différente, c’est-à-dire qu’il ne pourra pas vaincre une petite mentalité tribale, donnant force à l’idée d’une fédération du Congo, nous ne fera pas de grands progrès. À mon avis, la solution est la prise de conscience généralisée que nous pouvons tous ensemble faire une nation forte. Je sais que le Pape veut venir l’annoncer, mais je crois que nous ne sommes pas encore prêts à le recevoir. Nous devons travailler Nous devons travailler pour qu’une visite puisse arriver là où les gens sont prêts à entendre son message. Je pense que ce n’est pas grave si ça vient alors.

Sante Cavalleri

Sur la photo : la manifestation de jeudi à Goma, à la frontière avec le Rwanda, pour dénoncer ce qu’ils ont appelé “l’agression rwandaise” dans la province du Nord-Kivu, théâtre depuis plusieurs semaines d’une recrudescence d’affrontements entre les Forces armées congolaises (Fardc) et les rebelles congolais du Mouvement du 23 mars (M23), accusés par Kinshasa d’être soutenus par Kigali.