Pape François: “à Kiev l’idée de victoire est maintenue sans opter pour la médiation”. Entretien approfondi avec Vida Nueva

“J’envisage de nommer un représentant permanent pour faire le pont entre les autorités russes et ukrainiennes. Pour moi, au milieu de la douleur de la guerre, c’est un grand pas.” C’est ce qu’a annoncé le pape François dans une interview à l’hebdomadaire espagnol Vida Nuova.
“Le cardinal Matteo Zuppi, archevêque de Bologne – a expliqué François – travaille beaucoup en tant que responsable des pourparlers. Il s’est déjà rendu à Kiev, où l’idée de victoire est maintenue sans opter pour la médiation. Il était aussi à Moscou, où il a trouvé une attitude que l’on pourrait qualifier de diplomatique de la part de la Russie. Le progrès le plus significatif qui ait été réalisé est le retour des enfants ukrainiens dans leur pays. Nous faisons tout ce qui est en notre pouvoir pour que tout membre de la famille qui demande le retour de ses enfants puisse le faire.”

Mais le pape ne renonce pas à essayer d’arrêter la guerre. “Pour cette raison – a-t-il révélé – je songe à nommer un représentant permanent pour faire le pont entre les autorités russes et ukrainiennes. Pour moi, au milieu de la douleur de la guerre, c’est un grand pas. Après la visite du cardinal Zuppi à Washington, la prochaine étape prévue est Pékin, car les deux détiennent également la clé pour faire baisser la tension du conflit. Toutes ces initiatives sont ce que j’appelle ‘une offensive pour la paix’.

“Je suis un caillou dans la chaussure pour plus d’un. Je dis du mal de tout empire, quelle que soit son orientation.” Plus de mots du Pape François dans l’entretien avec Vida Nueva. Cela vaut la peine d’y réfléchir un instant car, d’une part, l’éloignement de la position unilatérale défendue par les États-Unis et l’UE, ainsi que le Royaume-Uni, le Canada et l’Australie, face à d’autres pays qui défendent les voies de l’autodétermination de peuples qui ont des cultures et des traditions différentes de celles anglo-saxonnes que nous définissons (à tort d’ailleurs) les démocraties. Une vision qui répudie drastiquement le découpage du monde en zones d’influence au profit d’une vision multipolaire qui plonge la doctrine bolivarienne de la grande patrie dont Jorge Mario Bergoglio est ouvertement adepte. Ainsi, le rejet de l’impérialisme comme ordre mondial de référence, ou l’acceptation d’une souveraineté limitée, avec la dévolution à l’UE et à l’OTAN de notre autonomie sur la question de la défense (et de l’armement) mais aussi sur l’accueil des migrants au nom de respect des droits de l’homme. Un refus que le pape François (et Zuppi) ont courageusement proclamé.

François a également annoncé une initiative du Vatican pour soutenir la lutte contre le changement climatique. “Pour novembre, avant la tenue du sommet des Nations unies sur le climat à Dubaï, nous organisons – a-t-il dit – une réunion de paix avec les chefs religieux à Abu Dhabi. Le cardinal Pietro Parolin coordonne cette initiative, qui veut se dérouler en dehors du Vatican, dans un territoire neutre qui invite tout le monde à la rencontre”.

Le Pape n’a ensuite pas hésité à poser une question sur l’emprisonnement injuste de Mgr Rolando Álvarez au Nicaragua. A ce propos, il a déclaré: “Continuons, nous essayons de négocier”. Et il a confirmé qu’il avait demandé, lors de sa récente rencontre avec Lula da Silva au Vatican, d’intercéder auprès de Daniel Ortega pour libérer l’évêque.

Parlant de conflit entre les idéologies, le pape a demandé dans l’interview de le garder hors de l’Église. “Une pastorale idéologique de gauche ou de droite ou du centre ne sert à rien, elle est déjà malade depuis le début et blesse les jeunes”, a observé François en parlant des jeunes dans l’entretien avec Vida Nueva donné avant de partir pour les JMJ en Lisbonne. “J’ai peur – a dit François – des groupes de jeunes intellectuels, de ceux qui appellent les jeunes à réfléchir et ensuite les remplissent d’idées étranges”.
“Avec les jeunes, nous devons utiliser – a-t-il suggéré – le langage des mains, car les jeunes ont besoin de faire des choses, et le langage des pieds, qui est la marche, pas un laboratoire aseptique”. Dans la lignée de ce thème, le Pape a également souligné que “nous avons besoin de séminaristes normaux, avec leurs problèmes, qui jouent au football, qui ne vont pas dans les quartiers pour dogmatiser…”.

Enfin, dans l’interview, le Pontife a raconté son amitié avec un groupe de transsexuels malheureux de Torvaianica qu’il a secourus pendant le Covid qui les avait privés de leurs revenus. « La première fois qu’un groupe de transsexuels est venu au Vatican et m’a vu, ils sont repartis en pleurant, disant que je leur avais tendu la main, un baiser… Comme si j’avais fait quelque chose d’exceptionnel pour eux. Mais ce sont des filles de Dieu ! » confiait François avant de partir pour Lisbonne.

Sante Cavalleri